La directrice de la photographie Claire Mathon, AFC, parle de son travail sur "Mon roi", de Maïwenn

par Claire Mathon

C’est en 2006 et pour le premier film de Maïwenn, Pardonnez-moi, que Claire Mathon, AFC, devient directrice de la photographie. Elle a dernièrement éclairé le film d’Alain Guiraudie, L’Inconnu du lac, et le premier long métrage de Louis Garrel, Les Deux amis, en sélection à la Semaine de la critique. Après sa collaboration au cadre sur les deux derniers films de Maïwen, Claire Mathon signe l’image de son quatrième film, Mon roi, en Sélection officielle sur la Croisette. BB

Après avoir reçu le prix du Jury en 2011 pour Polisse, Maïwenn propose avec Mon roi un tout autre registre : elle évoque, sur une période de sept ans, l’histoire passionnelle et destructrice d’un couple interprété par Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot. (BB)

Claire Mathon sur le tournage de "Mon roi" - Photo Shanna Besson
Claire Mathon sur le tournage de "Mon roi"
Photo Shanna Besson


Quelles étaient les intentions de lumières pour Mon roi, dont les décors sont très nombreux ?

Claire Mathon : Les décors sont en effet très nombreux et très variés. Maïwenn cherchait des lieux avec de la couleur, des contrastes et de l’espace. En repérage, le travail avec Dan Weil, le chef décorateur, consistait à donner aux décors une forte identité, en restant lisible et en offrant des possibilités à 360 degrés. Je suis également allée dans ce sens : mettre en évidence les couleurs des décors et des costumes et souligner l’atmosphère des scènes.
Le film retrace une histoire d’amour tumultueuse sur sept ans. Maïwenn avait envie que l’image serve la dramaturgie. De manière générale, l’univers visuel se refroidit au cours du film. Plus les tensions augmentent, plus les couleurs se font rares. Les mélanges de température de couleur s’atténuent.

Comment as-tu géré ces mélanges de couleurs ?

CM : J’ai souvent été confrontée à des décors en lumière du jour avec des lampes allumées. Maïwenn aime qu’il n’y ait pas trop de chaleur dans les peaux et est très attentive aux teintes des cheveux. Il me fallait donc limiter la chaleur des lumières intérieures tout en gardant des mélanges de couleurs qui donnent de la richesse à l’image. J’ai réchauffé systématiquement les fenêtres (1/4 ou ½ CTO) pour rapprocher la lumière du jour de la lumière artificielle.
Il y a une séquence que j’aime bien, un mélange sur les visages des comédiens entre la lumière du jour et la lumière des bougies. Je suis très attentive aux températures de couleur. La difficulté avec le fait de gélatiner les fenêtres reste les variations du soleil qui modifie au sein des prises la couleur de la lumière extérieure. À propos de mélange de couleurs, je pense aussi bien sûr à la séquence de la boîte de nuit au début du film. Collés au plafond ou cachés dans le décor, c’est le premier film où nous utilisons avec mon chef électro, Ernesto Giolitti, les rubans de LED et notamment les rubans de couleurs.

Quel est le point fort de l’univers visuel du film ?

CM : Dès la préparation, nous avons évoqué l’importance de la lumière sur les deux personnages principaux. Les précédents films de Maïwenn ont été tournés avec des caméras à petits capteurs, la Sony F55 offrait cette fois les atouts du grand capteur. Le choix des longues focales, de la faible profondeur de champ et des directions de lumière allait dans le sens de concentrer notre regard sur Tony (Emmanuelle Bercot) et Georgio (Vincent Cassel). Le film est assez dur, j’ai toujours cherché à garder de la douceur dans l’image et sur les comédiens.
J’ai essentiellement éclairé avec des boîtes à lumière (Lucioles de Maluna en nuit et Softubes de K 5600 en jour). Allier le désir de liberté et d’improvisation de Maïwenn et conserver des parts d’ombre et des directions marquées sur les comédiens étaient un des enjeux de mon travail sur ce film. Nous cherchions un rendu plus fictionnel.

On retrouve le dispositif de prise de vues, deux caméras à l’épaule…

CM : Oui, nous avons poursuivi le travail à deux caméras portées (sur Polisse, il y en avait même trois !). J’ai très souvent utilisé un Easyrig tandis que Jowan Le Besco, qui cadrait la 2e caméra, préférait La Bouée. Avec Jowan, du fait de nos collaborations passées – il a aussi cadré les deux précédents films de Maïwenn –, nous étions très rapidement placés et plus précis notamment dans notre utilisation du Scope. On était toujours prêt à poursuivre les scènes qui peuvent durer jusqu’à 20, voire 30 minutes (nous avons tourné 285 heures en 12 semaines). En effet, Maïwenn cherche toujours à pousser les scènes le plus loin possible, elle nourrit et redirige les acteurs pendant les prises.

Claire Mathon et Jowan Le Besco - Photo Shanna Besson
Claire Mathon et Jowan Le Besco
Photo Shanna Besson

Cela impliquait-t-il des contraintes pour ton installation lumière ?

CM : Oui, ça oblige en général à tout accrocher au plafond. Je l’ai fait parfois mais avec Maïwenn, nous savions que la lumière qui nous plaisait sur les comédiens n’était pas la lumière en douche mais celle à leur hauteur ! Pas simple… Dans un des grands appartements du film, il est même arrivé que les électros descendent ou remontent les Softubes à l’extérieur des fenêtres pendant la prise en fonction de la place des caméras.
Cela permettait d’avoir des directions assez basses et de filmer les fenêtres. Il y a de nombreux face-à-face dans le film, j’avais alors la possibilité d’installer des sources sur pied, toujours avec la logique des boîtes à lumière avec beaucoup de soie. Nous avons aussi expérimenté les SL1 de Smartlight sur batteries avec du coton, pratique pour la rapidité mais parfois la lumière reste un peu dure.

Et ton choix d’optiques ?

CM : J’ai choisi pour leur rendu, leur poids et leur compacticité les zooms Angenieux Optimo 28-76 et 45-120 mm. Dans l’idéal et vu notre configuration, j’aurais tourné le film entièrement avec ces deux zooms. Maïwenn aussi ! Pour les situations nocturnes, j’ai complété avec une série Zeiss GO. Tous ces choix allaient bien sûr dans le sens de la douceur dont j’ai parlé précédemment. J’ai également souvent filtré les gros plans avec des Soft FX. Je restais vigilante pour ne pas perdre le piqué de l’image. Je me suis par exemple rendue compte qu’il valait mieux ne pas filtrer les Zeiss à pleine ouverture.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)