"Le Super 16 est-il soluble dans la HD ?", compte-rendu de la présentation

par Hervé Lefel, membre du département Image de la CST

La Lettre AFC n°191

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Le 2 septembre dernier à l’Espace Pierre Cardin, la Commission technique de la FICAM et le département Image de la CST avaient convié de nombreux professionnels participant à la création, la production, la postproduction et la diffusion des images de fiction pour la télévision à une matinée de présentation des résultats d’un groupe de travail commun " Super 16 – HD ".
Avec l’aimable autorisation de la CST, qui avait organisé cette rencontre, et avant même qu’il ne soit publié dans sa propre Lettre, nous vous proposons un compte-rendu de cette matinée, sous la plume d’Hervé Lefel, membre du département Image de la CST.

" Le Super 16 est-il soluble dans la HD ? " (Soluble : qui peut être résolu)

Devant une salle pleine, la séance fut ouverte par le président Pierre-William Glenn qui rappela que tout n’était pas encore numérique en prise de vues et son attachement au support argentique, bien que cela soit acquis en postproduction et dans un futur proche pour la projection. « Le plus vite n’étant pas également le moins cher », il argua sur « l’usine à gaz que pouvait être la " captation " en numérique » (captation : manœuvre frauduleuse, ce délicieux néologisme n’ayant rien à voir avec la prise de vues, peut-on en déduire que le numérique aurait " capté " l’héritage de l’argentique ?)
L’origine du groupe de travail commun CST-FICAM est due au rejet par certains diffuseurs de PAD de films tournés en Super 16, ainsi que le rappela Laurent Hébert, délégué général et modérateur des débats.

Tout d’abord, quelques rappels.
Pour faire une image en haute définition 16/9e, il faut :
- une résolution de 1 920 points x 1 080 points = 2 073 600 de pixels (soit 5 fois plus que le signal SD 720 x 576 = 400 000 pixels)
- un format non compressé dit " natif " avec une quantification en 4:4:4 RVB 10 bits log qui donne 1 025 valeurs nuancées dans chaque couleur RVB et ne pouvant être enregistrées que sur cassette HDCAM SR ou sur disque dur Data.
- Dans un format 16/9e, la surface argentique du Super16 est équivalente à 77,733 mm2 (11,76 mm x 6,61 mm) et elle permet d’aligner, au moyen d’un scan en résolution 2K 4:4:4 RVB 10 b, une quantité de pixels égale à 2 157 960 (1 960 en largeur x 1 101 en hauteur).
C‘est pourquoi une prise de vues dans la qualité supérieure du signal HD " natif " 4:4:4 RVB 10 bits non compressé est recommandée de manière explicite pour sauvegarder la qualité de résolution de l’image enregistrée et pour toute manipulation à posteriori de postproduction jusqu’à la phase finale du " master ".

Les essais furent présentés sur différents moniteurs (tous LCD) :
- deux BT-LH 2550, moniteur de vision sur les tournages téléfilms
- un Samsung 32 pouces HD ready (non full HD), visu des téléspectateurs
- un BVM-L230w, moniteur de référence pour l’étalonnage
- un Mac 23 pouces, moniteur pour le montage ou vision sur le terrain.
Ces moniteurs ont été équilibrés mais pas étalonnés de manière spécifique.
La première bande visualisée était le master SR, de référence, puis Marie-Pierre Moreuil (Kodak), Françoise Noyon-Kirch (CST) et Patrick Leplat (Panavision Alga Techno) nous résumèrent les processus de tournage et de postproduction :
- Matériel de prises de vues : caméra Aaton Xterà, optiques Zeiss GO, Master Prime et Ultra Prime
- Pellicules : 50 Daylight Kodak 7201, 250 Daylight Fuji 8663, 500 Tungstène Kodak 7219
Les séquences étaient composées de plans fixes, larges, moyens, serrés, et de panoramiques, en extérieur jour, intérieur jour, intérieur et extérieur nuit, avec plans de lumières expliqués par Françoise Noyon-Kirch (en l’absence de Guy Famechon, directeur de la photo des essais, Françoise a souligné que le matériel lumière utilisé, bien qu’à minima, était celui que l’on retrouve régulièrement sur les tournages de téléfilm).
La filière (workflow) de postproduction était la suivante :

A l’issue de cette projection, une première table ronde fut organisée avec les participants suivants :
- Luc Béraud, réalisateur
- Christian Bourguignon, Responsable technique régie finale à France Télévision
- Jean-Yves Carabot, Responsable normes techniques à TF1
- Christophe Massie, Directeur commercial à Eclair Group
- Bertrand Mouly, directeur de la photographie.
Jean-Yves Carabot indiqua tout d’abord qu’il avait également refusé des PAD, mais sans préciser si le support natif était en S16 ou en HDCAM et que (Oh surprise !) il n’avait aucune statistique sur ce sujet. Même son de cloche chez France Télévision, pas de statistiques, mais en plus, une obsession lancinante sur le fait que le S16 serait plus bruité que le HDCAM, bien que cela dépendît également du mode de diffusion : ADSL (quel débit ?), TNT (où habitez-vous ?), câble, etc.
Patrick Leplat faisant remarquer à cet égard qu’avec un codec Mpeg4, le téléspectateur pouvait recevoir (capter) des débits entre 4 Mb/s et 14 Mb/s avec une moyenne de 8. En fait, le désir des diffuseurs serait de garder une homogénéité de l’image quel que soit le support de départ. Pourrait-on dire un formatage de l’image ?
Christian Bourguignon reconnaissait paradoxalement que, malgré le bruit, depuis la suppression de la diffusion SD, le S16 avait autant de qualités que la HD native.
Luc Béraud, quant à lui, énonça son désarroi face au numérique : vision des rushes sur ordinateur, compression et décompression au montage, évoquant le coût de la HD, la maniabilité et l’ergonomie supérieures du matériel S16, arguments connus et récurrents,
Bertrand Mouly reprenait ces éléments, en ajoutant le fait que le S16 avait gagné en qualité (granulation, texture de l’image) et que le choix dépendait du film que l’on fabrique, rappelant au passage la dynamique supérieure de l’argentique.
Si tant est que le télécinéma est un élément primordial dans la filière de postproduction, Christophe Massie nous informait qu’en fait, 60 % des refus de PAD étaient dus à des problèmes de son, liés au Dolby E. Il soulignait l’hétérogénéité des modes de tournage (HD, HDV, etc., S16), les moyens de production disparates, et que le nombre de codecs ne facilitait pas les solutions.

Entracte (Intermission)
La deuxième partie de cette matinée consistait en une présentation plus détaillée de ces outils avec différentes déclinaisons.
Marie-Pierre Moreuil revint tout d’abord sur l’évolution du S16 : épaisseur de l’émulsion, grains fins et plats (alors qu’ils étaient auparavant cubiques), une dynamique de 13 diaphragmes alors qu’une F35 (Sony) n’en présente que 11, une plus grande souplesse d’étalonnage, une gamme allant de 50 ISO à 500 ISO (les caméras numériques vont de 200 à 320) et, enfin, une définition de 2,2 millions de pixels.
L’évolution des caméras S16, l’Aaton Xterà à la place de l’XTR, l’arrivée de l’Arriflex 416 en remplacement de la gamme SR, la qualité des optiques fixes (Zeiss et Cooke), contribue au renouveau du S16, souligna Patrick Leplat.
Françoise Noyon-Kirch revint, quant à elle, sur la façon dont ont été tournés et exposés ces essais (- 1, 0, + 1).
Christian Lurin (Eclair) entra dans le détail de la filière postproduction, à savoir un télécinéma sur Spirit DataCine HD en 4:2:2 8 bits (et non en 4:4:4 10 bits, tout a un prix) avec rushes étalonnés, ce qui est toujours le cas en téléfilm en général, puis après montage et autoconfo, report sur HDCAM SR, étalonnage def sur da Vinci 2K, une correction de défauts, c’est-à-dire passage par DVNR, "Digital Video Noise Reduction" (est-ce systématique ?) et enfin Dolby E et PAD.
La deuxième visualisation était une déclinaison du premier montage avec des variations d’exposition de N, +1, N- 1 enchaînant avec deux algorithmes de compression effectuée de la façon suivante :
Mode de compression
- logiciel : ATEME KFE 2
- codec : MPEG-4/AVC (h.264)
- résolution : 1 440 x 1 080, affiché 1 920 x 1 080
Débit de compression
CBR (Constant Bit Rate)
4 Mb/s
14 Mb/s

Les participants au deuxième débat étaient :
- Bernard Cassan, directeur de la photo
- Karim Canama, directeur de production
- Michel Danger, responsable qualité vérification France 2
- Patrick Leplat, Directeur marketing technique Panavision Alga Techno
- Christian Lurin, Directeur fabrication Eclair
- Guy Manas, Directeur industriel LTC
- Marie-Pierre Moreuil, Kodak
Michel Danger revint tout d’abord sur le bruit et le grain en S16 et admit qu’il passait toujours par un DVNR pour les PAD, ce qui laisse songeur sur la marge de manœuvre laissée aux directeurs photo et aux réalisateurs, et reprochait une mauvaise qualité au codec Mpeg4.
Bernard Cassan revint d’une part sur la qualité du réseau de diffusion (il n’y a pas qu’en ADSL que l’image se fige, en TNT aussi, si, si… au fin fond de la campagne) et d’autre part sur la qualité d’un bon télécinéma avec un bon négatif de départ.
Karim Canama replaça les choses d’une façon pragmatique, et à partir d’exemples concrets, il indiqua que le choix entre HD et S16 dépendait du rapport avec le diffuseur et surtout du type de film effectué, il fut plus facile pour lui de tourner une fiction légère dans certains quartiers en S16 qu’en HD, il rejoignait ainsi la position des réalisateurs et opérateurs. Il rappela qu’en production, on est toujours sur le fil du rasoir, en se posant la question de savoir jusqu’où il est possible d’aller.
Patrick Leplat insista sur la diversité des différents processus, de l’importance d’adapter la quantification au télécinéma lié aux outils postérieurs et la diversité des filières de postproduction. Il nota enfin qu’il y avait une absence d’artefacts dans les essais visualisés.
Marie-Pierre Moreuil rappela le fait qu’il fallait utiliser la bonne pellicule au bon moment et qu’il y avait une large gamme en sensibilité proposée pour toutes les conditions de tournage : il est certain qu’utiliser (par facilité, par gain de temps) une 500T en plein soleil a des conséquences visibles (bruit, grain dans l’image) sur un moniteur HD de 26 pouces avec une compression à 4 Mbits/s.

En conclusion, si quelques sujets ne furent pas abordés (laboratoires inconstants dans les développements, par exemple), il est à noter que les conditions de diffusion sont un paramètre important et que la récurrence des arguments sur les filières de postproduction est la même qu’en long métrage.
Mais l’attitude des diffuseurs est pour le moins ambiguë : ils refusent à des PAD français ce qu’ils tolèrent dans les séries et téléfilms étatsuniens (tournés en 35 ou HD). Sont-ils également prêts à mettre le prix de la qualité (TC en 4:4:4, par exemple) ? Laurent Hébert le rappela : l’économie d’un tournage est composée de coûts mais pour d’autres de revenus, et que le savoir-faire est lié a une expérience, donc une formation.