Panavision interviewe le DoP Martin Levent pour "Kidnapping Inc."

par Panavision Alga Contre-Champ AFC n°352


Martin Levent revient avec nous sur le look du long métrage Kidnapping Inc., de Bruno Mourral, tourné à Port-au-Prince et qui a été sélectionné dans le section Midnight du Festival Sundance pour l’édition 2024.

Comment avez-vous été impliqué dans le projet ?
Martin Levent : J’ai rencontré le réalisateur Bruno Mourral sur une publicité en Côte d’Ivoire en 2018. Il venait de finir la postproduction de son moyen métrage, Kafou, tourné à Haïti, lui aussi. Je l’ai revu à Paris lors de la promotion du film. Je n’avais rien vu de son travail auparavant. J’ai été happé pendant 52 minutes par la maîtrise de la mise en scène aux références purement hollywoodiennes (surtout Quentin Tarantino), le jeu des acteurs, les cadrages, le montage dynamique. Je ne m’attendais pas du tout à cela. Par la suite, nous nous sommes revus lors de ses passages à Paris. Il m’a beaucoup questionné sur les expériences que j’ai pu avoir en tant qu’assistant opérateur sur des films américains, des productions EuropaCorp… Comment gérer un plateau d’une telle envergure, les cascades, les VFX… À la fin de la soirée, il m’a demandé si cela m’intéressait de faire la lumière sur son long métrage. J’ai dit oui sans hésiter.

Comment décririez-vous le look du projet ?
ML : Le film se passe sur 24 heures, de l’aube jusqu’à la nuit. Avec Bruno, nous souhaitions une image élégante et moderne, avec une esthétique puissante et riche en contraste et en couleurs. Beaucoup de références d’éclairage et de cadrage sur lesquelles nous nous sommes appuyés dans le film proviennent de films ou de séries américaines. J’ai créé un look cinématographique avec un rendu naturel et une large palette chromatique de Port-au-Prince. J’ai voulu refléter la réalité de la lumière des Caraïbes. J’ai particulièrement adoré mettre en valeur les différentes tonalités de peaux noires (Haïtiens, mulâtres). À ce sujet, Hieu, mon étalonneur, chez Bonjour Saigon, a fait un superbe travail complémentaire.


Nous avons travaillé les extérieurs jour de façon à créer une ambiance extrêmement lumineuse, une lumière dure qui permet de refléter la brutalité de la ville, de donner de la texture aux visages perlant de sueur.

Grâce à l’architecture du pays, avec ses maisons aux persiennes qui occultent la lumière, les intérieurs jour sont plus ombragés et les lumières plus douces.
Je savais que les séquences de nuit allaient être compliquées à éclairer, notamment dans les rues et aux bords de l’océan. Nous voulions, là aussi, beaucoup de contrastes de couleurs. Beaucoup de sources lumineuses intégrées aux décors venaient de lampes baladeuses, de plafonniers néon, de faux lampadaires, de lampes hublot ou même de feux !


Y a-t-il des références visuelles particulières qui vous ont inspirés ?
ML : Dès le départ, Bruno m’a donné comme référence le film de Denis Villeneuve, Sicario, et La Cité de Dieu, de Fernando Mereilles, pour le travail de la caméra épaule mais aussi en termes d’image. Lors des repérages, la ville de Port-au-Prince m’a beaucoup impressionné par son côté chaotique, des maisons mélangeant style colonial français avec des influences de l’architecture victorienne et des techniques de construction traditionnelles haïtiennes, des bidonvilles de béton et de tôles ; le soir, les rues sont peu éclairées, voire pas du tout.

Il y a tellement de références qu’il est difficile de toutes les citer ! Bruno m’a très vite suivi dans mon approche visuelle et m’a laissé cette liberté créative. Avec nos nombreuses discussions sur les films et séries, nous nous sommes fait confiance mutuellement sur la grammaire cinématographique de ce film.


Qu’est-ce qui vous a amené chez Panavision pour ce projet ?
ML : Je connais Panavision depuis que je suis second assistant opérateur, nous avons établi une relation de confiance avec les techniciens et les commerciaux. Il m’a semblé naturel de me tourner vers eux. Alexis Petkovsek et son équipe nous ont accompagnés et soutenus sur les trois sessions de tournage.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans les objectifs spécifiques que vous avez choisis ?
ML : Les objectifs Primo sont mes préférés car ils possèdent plusieurs caractéristiques qui conviennent parfaitement à ma façon de travailler : vitesse d’objectif, mise au point rapprochée, large choix de focales, et taille compacte. Ils ont du caractère, ils donnent du volume aux visages. On avait l’impression de voir une toile de Turner lors des plans large de la ville ! De plus, je ne voulais pas utiliser de filtres de diffusion pour casser la dureté du capteur de la RED, et les Primo ont apporté cette douceur sans altérer la qualité visuelle du film.


Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir directeur de la photographie, et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?
ML : Je suis issu d’une lignée de directeurs de la photographie (père et grand-père [respectivement Alain Levent, AFC, et Pierre Levent, NDLR]). Naturellement, j’ai depuis tout petit côtoyé cet univers. J’ai très vite compris le potentiel de l’image. L’idée de transmettre une émotion ou un sentiment en utilisant la caméra et les éclairages, accompagner une histoire et la raconter, tout comme le ferait un peintre.

Ce qui m’inspire le plus aujourd’hui, ce sont les rencontres, les gens, leurs histoires, l’ambiance d’un lieu, ses odeurs, ses sons, ses couleurs.