Retour d’expérience après une semaine intensive à Camerimage

Par Ariane Luçon

La Lettre AFC n°281

Cette année, douze étudiants de Louis-Lumière et de la Ciné Fabrique ont eut la chance d’être invités à Camerimage. Quelques jours après le retour en France, reste le sentiment d’avoir participé à une expérience unique et originale, tant sur le plan humain que cinématographique.

Dès le dîner d’accueil organisé par Jacques Delacoux (Transvideo) et Marc Galerne (K 5600 Lighting), le ton est donné ; le festival est comme une grande réunion de famille parlant la langue du cinéma, un véritable « congrès de dentistes norvégiens », selon Denis Lenoir, AFC, ASC, également présent lors de ce dîner. Cela se confirme ensuite au cours des multiples conférences, séances de questions/réponses en fin de film, discussions avec les fabricants... Tout le monde est enclin à partager ses expériences, ses interrogations, ses projets à venir.
Ce climat de perpétuelle ébullition intellectuelle autour des questions techniques et esthétiques, ajouté au rythme soutenu imposé par ce festival où le temps manque pour assister à toutes les séances, conférences, workshops, place le spectateur dans une posture de réception à part entière. Ainsi, le regard porté sur les films est différent, on délaisse un peu le récit pour se concentrer davantage sur l’image, et cela d’autant plus que l’anglais, langue officielle du festival plus ou moins maîtrisée, n’aide pas à une compréhension immédiate des dialogues.

Les images sont ainsi encore plus ressenties comme vectrices de sens, surtout si l’on a pu assister en amont à une conférence sur le film. C’est par exemple le cas pour Wonder Wheel, le dernier film de Woody Allen, dont la projection était précédée par un long entretien avec son chef opérateur, Vittorio Storaro, AIC, ASC.
Au cours de cette conférence, il a évoqué sa façon de travailler et notamment la théorie des couleurs développée tout au long de sa vie et appliquée radicalement sur ce dernier travail, permettant ainsi d’avoir quelques clefs supplémentaires au moment de la réception du film. Nourri des théories de la couleur des peintres naïfs, adeptes notamment des couleurs vives et des à-plats, il associe dans son film une couleur propre aux deux personnages féminins, présentés comme complémentaires. L’une sera ainsi associée au bleu, symbole de l’avenir selon l’alphabet coloré du film élaboré par Storaro, tandis que l’autre, représentée par de l’orange, sera rattachée au passé ; opposées et complémentaires, comme l’heure bleue et l’heure dorée, si chères aux chefs opérateurs.
Cette vision de la couleur comme langage à part entière entraîne une organisation particulière du travail, avec la collaboration indispensable d’un DIT, présent sur le plateau pour visualiser directement les couleurs du film telles qu’elles seront développées ensuite par l’étalonneur. La caméra choisie, la Sony F65, l’est pour sa précision dans la description des couleurs, notamment grâce à une profondeur de codage en 16 bits. L’adoption des outils numériques est ainsi pleinement assumée par ce chef opérateur qui a fait ses premières armes à l’époque du Noir et Blanc, et signe ici son deuxième film en numérique.

A l’inverse, c’est une toute autre stratégie qui a été présentée par Caroline Champetier lors de la Master Class de l’AFC, au cours de laquelle elle a montré des images choisies du prochain film de Xavier Beauvois, Les Gardiennes, auquel elle a collaboré. L’importance accordée aux couleurs est aussi omniprésente dans son discours que dans celui de Storaro, mais le parti pris esthétique est radicalement différent, avec la recherche d’un rendu des « vraies » couleurs. Si la caméra est la même, la méthode de travail diffère énormément. Ici, pas de DIT sur le plateau, mais une étroite collaboration en amont du film avec l’étalonneur pour trouver le labo et élaborer une méthode de "développement" du RAW originale, donnant au film son identité visuelle. Là où Storaro assumait pleinement l’usage de multiples masques d’étalonnage, Champetier affirme, non sans une certaine fierté, qu’il n’y en a pas un seul dans toutes ses images.

À travers ces deux exemples, on comprend à quel point les conférences permettent de mettre en avant les spécificités propres à l’image de chaque film et accroissent l’acuité du regard sur la technique. Ainsi, si l’on regrettera peut-être une certaine perte de naïveté dans la posture "spectatorielle" imposée par le festival, l’on ne peut s’empêcher d’admirer d’autant plus le travail de tous les artisans du cinéma, confirmant, s’il en était besoin, la joie et la fierté d’appartenir à cette grande famille.

Ariane Luçon est sortie en juin de l’ENS Louis-Lumière (Cinéma, promotion 2017).
Six étudiants de l’Ecole Louis-Lumière et six de la Ciné Fabrique étaient invités à Camerimage par Transvideo et K 5600 Lighting.