Retour sur la conférence "First Look" proposée par Sony

Par Margot Cavret, pour l’AFC

Pour sa conférence "First Look", Sony propose la mise en lumière de caméras moins populaires que la Venice. Ayant tous trois eu l’occasion de tourner avec des caméras plus modestes de la gamme, les chefs opérateurs Chris Schmid, Peter Marsden et Oren Soffer ont été invités à partager leur expérience. Si le constructeur souhaitait surtout démontrer l’excellente qualité visuelle et l’inter-compatibilité parfaite de ses caméras, les chefs opérateurs ont également eu l’occasion de démontrer que chaque projet a ses spécificités, et que de ces spécificités doivent découler un choix de caméra qui peut parfois sortir des sentiers battus. (MC)

Chris Schmid est le premier à prendre la parole. Spécialisé dans le documentaire animalier, celui-ci a été invité par Sony à tourner quelques images en Zambie, en Burano. Il décrit une caméra à l’ergonomie parfaitement adaptée aux conditions de tournage parfois compliquées auxquelles il est souvent confronté, notamment la fonction d’auto-focus très évoluée, qui lui permettait d’opérer seul des plans sur gimbal, même avec des amorces. « Le milieu du cinéma peut être très conservateur, et je ne dis pas qu’il faut tout le temps utiliser l’auto-focus, mais l’expérience démontre que l’outil est très fiable, on peut l’utiliser en cas de besoin. Les caméras ont beaucoup de fonctionnalités, mais on peut toujours choisir si on les utilise ou pas », argumente-t-il. L’infinie patience couplée à l’extraordinaire réactivité nécessitées par ce genre de tournage sont également très bien accompagnées par la caméra, dotée d’un bouton d’allumage rapide et d’une fonction pré-roll. « Les lions dorment 20 heures par jour, donc on a passé beaucoup de temps simplement à attendre qu’ils se réveillent ! Pouvoir laisser la caméra éteinte, en sachant qu’elle ne mettrait que deux secondes à s’allumer, c’était précieux, et ça nous a également permis d’économiser beaucoup de batteries, ce qui est vraiment intéressant, car dans ce genre de tournage, on a généralement tout le matériel nécessaire pour la journée dans un sac à dos. »

Chris Schmid, Peter Marsden, Oren Soffer et Dan Perry (Sony, Californie) - Photo Katarzyna Średnicka
Chris Schmid, Peter Marsden, Oren Soffer et Dan Perry (Sony, Californie)
Photo Katarzyna Średnicka


Au delà de l’ergonomie de la caméra, Chris Schmid se montre impressionné par la qualité des images. Complètement dépendant de la lumière naturelle, le chef opérateur pouvait compter sur une montée en ISO de la caméra, sans perte de détail ni altération des images. Il illustre son propos avec des images très parlantes d’éléphants : bien que l’animal soit très sombre, on retrouve dans l’image tout le détail de sa peau granuleuse. Interrogé par Oren Soffer, participant également au panel, et fasciné par la patience requise, il explique avoir un soir attendu très longtemps le réveil d’un lion. « La lumière baissait, et il ne bougeait toujours pas. Les filtres internes sont très pratiques également, et je les ai retirés un à un, au fur et à mesure que la nuit arrivait. Finalement le lion s’est réveillé bien plus tard que ce que l’on aurait aimé, mais grâce à la montée en ISO, on a pu le filmer. La caméra y voyait bien mieux que nous ! »


Le deuxième invité à témoigner est Peter Marsden. Celui-ci a eu l’occasion d’essayer la Burano pour capturer des images de vol d’avion. Il décrit la complexité pour installer des caméras embarquées sur un avion qui a besoin de conserver exactement son centre de gravité et son aérodynamique. Pour résoudre ces problématiques, le chef opérateur a recours à différentes caméras de la gamme : « Les caméras sur l’extérieur de l’appareil et au sol sont des Burano, mais dans la cabine on ne pouvait rien installer d’autre que le Rialto. Je pensais qu’on verrait la différence, mais honnêtement quand je regarde les images, je n’aurais pas été capable de dire quelle caméra avait tourné quoi, elles raccordent parfaitement. C’est très pratique, même pour un film qui aurait besoin de faire des images avec une deuxième équipe, on sait qu’on peut utiliser une autre caméra si c’est plus confortable. Notamment pour toutes les questions de caméras embarquées, les machinistes n’ont eu aucun problème à fixer les caméras sur l’avion, et elles sont très solides ».

Enfin, le troisième et dernier intervenant était sans aucun doute le plus surprenant. Oren Soffer a été sollicité par Greig Fraser pour prendre son relais sur le tournage de The Creator, de Gareth Edwards. En arrivant sur le projet, il a été très surpris de découvrir que celui-ci serait tourné en Sony FX3. « Quand j’ai vu les images qu’avait déjà faites Greig pour des publicités avec cette caméra, ça a apaisé tous mes doutes, et j’ai tout de suite compris qu’on pouvait faire le film avec cette caméra ». Avec beaucoup d’humour, Oren Soffer décrit un tournage atypique, avec un réalisateur surprenant : « Son premier film, Monsters, était aussi un film de science-fiction, et il était réalisateur, chef opérateur et responsable des effets spéciaux ! Ils l’ont tourné avec une équipe de sept personnes, en Sony EX1, presque comme un documentaire. Ils n’avaient pas de décor choisi à l’avance, ils déambulaient dans la nature, et se disaient : « Tiens, tournons ici ! ». C’est quand il a ajouté les effets spéciaux que le film est devenu un film de science-fiction épique. Il voulait faire la même chose pour The Creator, donc ils ont cherché quel était le nouvel équivalent de la EX1. Ce choix radical apporte beaucoup de contraintes à l’image mais également beaucoup de liberté. Oren Soffer décrit un réalisateur cadreur, tournant quatre heures de rushes par jour, dans des prises allant parfois jusqu’à 40 minutes. Le poids réduit de la FX3 est un paramètre non négligeable dans cette situation, ainsi que son prix. En effet, la production a pu acheter huit caméras, qui ont ensuite chacune été pré-installées dans différents types de configurations : drone, grue, Ronin, pied, dolly, épaule, l’équipe peut ainsi passer d’une configuration à l’autre en un instant. Les caméras sont accessoirisées au minimum, d’un enregistreur externe pour tourner en RAW, d’un Teradek et d’un Tilta Nucleus. Cette configuration apporte au réalisateur une immense liberté, qui lui permet de cadrer instinctivement, dans les conditions documentaire qu’il recherche, pour donner une sensation d’authenticité à son film.


A défaut d’une liste technique fournie, le budget est alloué à donner du temps à l’équipe. Les caméras sont achetées par la production, elles sont donc disponibles pour les quatre mois de préparation et les 90 jours de tournage. Elles sont emmenées en repérages, et les LUTs peuvent être préparées sur des images tournées quasiment dans des situations réelles. Cette disponibilité permet également à toute l’équipe de prendre en main cette caméra à laquelle elle est peu habituée. N’étant pas initialement conçue pour ce genre de production, beaucoup de temps est alloué à trouver des solutions d’ergonomie et de machinerie. Le chef opérateur, quant à lui, s’intéresse surtout à la fonction dual ISO de la caméra, et choisit de l’utiliser dans sa sensibilité la plus élevée, afin de pouvoir construire son image avec la lumière naturelle, toujours dans l’idée de spontanéité documentaire. « Ça nous permettait de n’avoir aucun gros projecteur, juste des petites LEDs sur batterie. Notre plus gros projecteur, c’était un Aputure 200D. Le plus souvent on cherchait à enlever de la lumière plutôt que d’en rajouter. La caméra avait la même dynamique qu’une Venice, on n’a pas eu à faire de compromis. On recherchait le look particulier d’un film de science-fiction des années 1970, donc on a recherché l’objectif vintage anamorphique le plus petit et léger possible. On s’est arrêté sur un Kowa anamorphique 75 mm, avec lequel nous avons tourné quasiment tout le film. Pour certains plans seulement, nous avions un 32 mm. Nous avions trois 75 mm, qui n’étaient pas parfaitement raccords, mais qui étaient pré-étalonnés par le DIT pour les aligner dès les dailies.
Le chef électricien était thaïlandais, mais bilingue en anglais. On avait beaucoup de scènes de crépuscule et de "blue hour", et à chaque fois il me rappelait : « Attention, ici ce n’est pas le "blue hour", c’est le "blue 15 minutes" ! ». Même avec autant de temps de tournage, on en voudrait toujours plus. On avait beau passer au moins deux jours dans chaque décor, ce n’était jamais assez ! Si on avait tourné avec une plus grosse caméra, on aurait été plus lents, et au final le film aurait été moins bien. La précision du film est le résultat d’inlassables répétitions des scènes, encore et encore, jusqu’à avoir la prise parfaite, un moment de magie, un petit accident qui rend la prise unique. On a préféré mettre les 80 millions de budget dans le temps plutôt que dans le matériel. On avait une petite équipe par choix, mais comme nous n’étions pas limités par un budget trop court, on a pu s’adapter rapidement, notamment quand on s’est rendu compte qu’on avait besoin d’un deuxième machiniste, on a pu débloquer les fonds sans problèmes. »

Finalement, le chef opérateur conclut : « Ce tournage m’a fait me rendre compte qu’il faut repenser l’approche des films. Il faut se demander quels sont réellement les besoins du film, comment on veut le faire, sans se limiter par les conventions. Ce n’est pas une question de budget, ça doit réellement être une conversation avec le réalisateur, pour trouver un mode de tournage qui corresponde au film qu’on cherche à réaliser, sans préjugés ».

Oren Soffer - Photo Katarzyna Średnicka
Oren Soffer
Photo Katarzyna Średnicka