Retour sur la rencontre-hommage avec Peter Biziou, BSC

Par Margot Cavret pour l’AFC

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Récompensé pour l’ensemble de sa carrière par le Lifetime Achievement Award, Peter Biziou, BSC, était à l’honneur cette année à Camerimage. Une rétrospective a permis aux festivaliers de (re)découvrir certains de ses plus grand succès, et une conférence sur l’ensemble de sa carrière a été donnée, devant une salle comble. Cette conférence a mis l’accent sur quatre films-clés de sa filmographie, avant de s’élargir à toutes les questions que l’audience pouvait se poser. (MC)

Avant d’entamer le parcours d’extraits qui allaient jalonner la conférence, Peter Biziou a souhaité partager son credo, la pensée principale l’ayant guidé tout au long de sa prolifique carrière. « Le plus important, c’est d’apprendre à utiliser ses outils, s’entraîner beaucoup, devenir compétant, pour connaître exactement ses possibilités, et ne pas se laisser dicter ses choix. Il faut travailler dur et passionnément, pour être capable de s’adapter facilement et rapidement aux changements et aux imprévus, et être en mesure d’accompagner le réalisateur et les acteurs avec fluidité. »

Le premier arrêt de cette conférence chronologique est Bandits, bandits (1981). Pour ce film, Peter Biziou retrouve Terry Gilliam, deux ans après La Vie de Brian. « Il a une superbe imagination, travailler avec lui, c’est entrer dans un autre monde. Dans la première version du scénario qu’il m’a envoyée, les personnages parcouraient neuf périodes temporelles, et j’ai d’abord refusé le film car je pensais que ce n’était pas faisable en douze semaines de tournage. On en a discuté, et il accepté de réduire à cinq. Entre ses mains tout est possible. C’est un bon dessinateur, en préparation il fait un story-board en bonhomme-bâton, qu’il accompagne d’un beau dessin du décor, qui donne une idée des échelles. Sur ce dessin, je peux commencer à placer les projecteurs. » Il raconte que parfois, l’équipe déco est restée la nuit durant afin de perfectionner le décor et le faire correspondre à la vision du réalisateur. « Curieusement, ça n’affectait pas trop le pré-light. Je prépare toujours l’éclairage du plan large, puis j’affine en enroulant la lumière sur les plans plus serrés. Je suis perfectionniste mais pas maniaque, j’essaye de donner le meilleur, mais j’essaye de ne jamais franchir la limite qui risque de mettre en péril la production. Je suis heureux de ce film, car je sais que j’ai fait aussi bien que je le pouvais. »

"Bandits, bandits", de Terry Gilliam (1981)
"Bandits, bandits", de Terry Gilliam (1981)


Le deuxième extrait est Mississippi Burning (Alan Parker, 1988), film qui a valu un Oscar de la Meilleure photographie à Peter Biziou. « Alan Parker est un metteur en scène difficile, qui connaît très bien la technique. C’est typiquement le genre de personnes avec lesquelles il faut très bien connaître ses outils, pour pouvoir argumenter ses choix, réussir à lui faire des suggestions, et rester confiant. Il tenait absolument à tourner à Jackson, dans le Mississippi. C’est une région plutôt plate, et il a fallu trouver comment rendre ça dramatique. Je commençais par poser un regard naturel, puis je l’amplifiais dans une direction en fonction de l’émotion. Si c’est dramatique, je renforce le contraste, si c’est joyeux, j’accentue la luminosité, etc. Ça me permettait de mêler l’émotion au réalisme. »

Bien que le film ait été tourné il y a presque quarante ans, le public se montre curieux et pose des questions pointues sur l’éclairage de certaines scènes. Peter Biziou convoque ses souvenirs pour essayer d’être le plus précis possible dans sa réponse. « Pour la scène de nuit où l’on voit les voitures rouler le long du lac, j’ai su dès le repérage que je voudrai mettre de la fumée, comme une brume émanant du lac. Cela impliquait de faire une lumière plutôt directive. J’ai mis un projecteur sur une grue. C’était un vrai pari car si Parker avait décidé de tourner dans un autre axe, toute l’installation aurait été à refaire. »

"Mississippi Burning", d'Alan Parker (1988)
"Mississippi Burning", d’Alan Parker (1988)


« J’ai relu plusieurs fois le scénario, comme d’habitude, pour essayer d’en sortir deux look spécifiques, nuit et jour, que j’essaye de conserver pendant tout le film. Ça permet également de rendre le chef électricien autonome, il sait quel type de lumière faire pendant tout le tournage. Ce projecteur sur grue, on l’a réutilisé plusieurs fois dans les scènes de nuit, avec toujours l’idée de la mettre au point le plus haut possible du décor, pour éclairer la plus grande surface avec ce seul projecteur. Pour la scène de l’église qui s’enflamme, elle a été placée en haut d’une colline, pour garantir un minimum d’exposition, avant que les flammes ne prennent le relais. »
Au sujet des scènes de nuit, un spectateur demande à Peter Biziou comment il éclairerait le film s’il devait être refait aujourd’hui. « C’est sûr que ce serait beaucoup plus simple avec une caméra digitale et son capteur sensible. Je remplacerais certainement la grue par un ballon Airstar. Tout l’équipement serait plus léger et simple d’utilisation, mais je ne changerais pas l’approche générale. »

"Mississippi Burning", d'Alan Parker (1988)
"Mississippi Burning", d’Alan Parker (1988)


La conférence se poursuit par le visionnage d’extraits du film Richard III (Richard Loncraine, 1995). « C’était une très belle expérience. C’était une vraie joie de travailler avec ce réalisateur très conscient des possibilités que lui offre la technique, et avec Ian McKellen, le comédien principal et co-scénariste, qui a une grande connaissance du théâtre de Shakespeare. Ensemble, nous avons conçu le film, l’ancrage dans les années 1930, la référence au nazisme, l’aspect très théâtral. Mon rôle était de dramatiser le regard, le rendre dur et froid, sans craindre la théâtralité puisque c’est ce que nous recherchions. »

"Richard III", de Richard Loncraine (1995)
"Richard III", de Richard Loncraine (1995)


Enfin, le dernier extrait présenté est tiré de The Truman Show (Peter Weir, 1998). « Quand j’ai reçu le scénario, je l’ai tout de suite adoré, c’était intelligent, et j’étais très intrigué, car le concept même du film allait nous permettre de tourner sous des angles qui n’avaient jamais été vus. On a fabriqué des petites maquettes à mettre devant la caméra pour créer toutes ces petites caméras cachées, qui n’existaient pas encore à l’époque mais que nous avons inventées ! »

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une grande partie du film est tournée en décor réel. « La femme de Peter Weir avait entendu parler de Seaview, un lotissement où les maisons étaient toutes identiques, et qui était exactement le décor que nous recherchions. Ça m’a posé quelques difficultés, car tous les bâtiments étaient blancs, et que le ciel très bleu venait remplir les ombres de dominantes froides. J’ai utilisé des réflecteurs, pour remplir les ombres avec des réflexions du soleil. » L’équipe est également mise au défi par des effets spéciaux exigeants, presque tous réalisés directement sur le plateau. « Pour la scène de l’orage, nous avons tourné dans les studios de Universal, dans une énorme cuve à eau. Il y avait une mécanisme hydraulique qui simulait les vagues, c’était une scène très compliquée techniquement. Puisque le principe du film est que tout le monde de Truman est faux, il y a une scène où le metteur en scène de l’émission ordonne un lever de soleil. Ça aurait coûté une fortune à faire en postproduction, donc ma super équipe machinerie a réussi à mettre un soleil sur une barre, qu’on a pu lever en direct, pour faire l’effet directement au tournage. »

"The Truman Show", de Peter Weir (1998)
"The Truman Show", de Peter Weir (1998)


Évidemment, la forte personnalité de Jim Carrey, l’acteur principal, intrigue le public, et Peter Biziou répond avec beaucoup de tendresse. « C’est un comédien très talentueux, il passe son temps à étudier les personnes qui l’entourent, et à essayer de les imiter, c’est comme ça qu’il obtient toutes ses mimiques. Je portais toujours une casquette sur le plateau, et un matin il est arrivé avec la même casquette que moi ! C’était assez difficile pour Peter de diriger un comédien aussi talentueux et extravagant. Au début, il n’arrivait pas à effacer Jim Carrey pour faire exister Truman. C’était très drôle, mais ce n’était pas le bon personnage. Il a pris le temps de montrer les rushes à Jim Carrey, qui s’est rendu compte lui-même du problème. »

"The Truman Show", de Peter Weir (1998)
"The Truman Show", de Peter Weir (1998)


La conférence s’est terminée par une ouverture à des questions plus libre. Peter Biziou est interrogé quant à sa façon de choisir les projets et de les préparer. « Il faut que je me sente appelé par le script, que je rencontre le réalisateur en ayant une vision à lui proposer, pour le convaincre que je peux apporter quelque chose au film. Ensuite, je reste toujours à l’écoute des envies du réalisateur, et je demande des répétitions si possible, pour comprendre dans quelle direction on va. Sur Au nom du père, j’avais un cadreur local, très bon, mais qui dès qu’il arrivait sur le décor, il commençait à mettre des marques au sol. Je lui ai demandé d’arrêter, ce n’est pas à nous de décider où se placent les comédiens, il faut attendre de les voir évoluer sur le décor, c’est à l’histoire de nous dicter ce qu’il faut faire. Chaque film guide lui-même le traitement qu’on lui donne. »

Il est également invité à donner son avis sur la cinématographie actuelle, et ce qu’est devenu le métier. « J’ai toujours tourné en pellicule, même mes derniers films, sur lesquels il y avait la possibilité de tourner en numérique. C’était encore les balbutiements, et les images étaient trop précises, trop brutales, je ne retrouvais pas du tout le côté organique de la pellicule. Aujourd’hui ça a évolué, et il y a beaucoup de nouvelles technologies, mais également beaucoup de nouveaux chefs opérateurs qui savent très bien s’en servir. Certes, ces technologies invitent parfois à la paresse, mais elles offrent également beaucoup de possibilités, et je vois des chefs opérateurs très talentueux s’emparer de ça. Ça change pour tous les corps de métier, pas seulement pour les chefs opérateurs. Maintenant qu’on peut tourner avec des diaphragmes de plus en plus ouverts sans détériorer l’image, c’est de plus en plus dur pour le premier assistant caméra. J’ai été assistant pendant très longtemps, et à cette époque, le chef opérateur me demandait toujours de quelle profondeur de champ j’avais besoin. Maintenant, ça s’est inversé, et c’est à l’assistant caméra de s’adapter, c’est très dur ! Moi-même en tant que chef opérateur j’ai parfois tourné avec de grandes ouvertures, mais j’en parlais toujours au pointeur, et c’est moi qui disait au réalisateur si la prise n’était pas bonne à l’image et qui en demandait une autre. J’avais conscience que pour six prises, une seule peut-être serait bonne, et je prenais ce risque sur moi, pour toujours protéger mon équipe. »

Photo Katarzyna Średnicka


Le lendemain, Peter Biziou, accompagné de Bob Geldorf, musicien et acteur principal du film, présentait le film Pink Floyd : The Wall. Témoignant avec beaucoup d’humour de sa première (et désastreuse selon lui) expérience en tant que comédien, Bob Geldorf a aussi profité de la présence de Peter Biziou pour lui rendre hommage. « J’étais beaucoup plus intéressé par la technique, et j’en suis venu à comprendre que tout cela fonctionnait un peu comme dans un groupe de rock : le réalisateur est le compositeur, et il essaye d’accorder tous ses musiciens, tous ses collaborateurs, pour obtenir le film qu’il veut, comme une chanson. Le comédien est l’instrument de musique. Et le chef opérateur, c’est l’ingénieur du son. L’ingénieur du son s’assure que la musique que joue le groupe est bien reçue par le public pour qu’il puisse l’apprécier. C’est exactement ce que fait le chef opérateur, c’est lui qui rend le film réel, concret, pour pouvoir le délivrer au spectateur. Pendant très longtemps j’ai détesté le film, mais en le revoyant ce soir, je commence à comprendre pourquoi il plaît tant. Il est totalement ouvert à l’interprétation. Finalement, c’est très proche de la musique également, car ce que j’aime dans la musique, c’est qu’elle ne dicte rien, l’imagination reste libre. Je comprends que The Wall parle aux gens, mais de manière différente, en fonction de l’expérience de chacun. C’est ce qui rend le film puissant. À ce titre, je suis heureux d’avoir pu faire partie de ce projet. »

"Pink Floyd : The Wall", d'Alan Parker (1982)
"Pink Floyd : The Wall", d’Alan Parker (1982)