Humbert Balsan nous a quittés

La Lettre AFC n°141

Le producteur Humbert Balsan est mort le jeudi 10 février au matin, après s’être pendu dans les locaux de sa société de production, Ognon Pictures. Il était âgé de 50 ans.
La mort de cet acteur majeur de la production indépendante française jette le monde du cinéma, depuis l’Occident jusqu’à ce Moyen-Orient qu’Humbert Balsan affectionnait tant, dans la stupeur. Il émanait de cet homme un sentiment de facilité et de plaisir, de volonté souriante de jouir du sel de la vie. Deux mots le caractérisaient au plus près : élégance et panache. Il était l’un des derniers, à l’heure où la production devient de plus en plus l’apanage des technocrates, à nourrir cette image du producteur altier et flambeur, généreux, risque-tout, humain. Plus encore, à rebours de beaucoup de ses confrères, Humbert Balsan, dans la réussite comme dans la difficulté (ni l’une ni l’autre ne manquèrent au cours de sa carrière), affichait la suprême politesse de sa bonne humeur. [...] (Jacques Mandelbaum, Isabelle Regnier, Nicole Vulser, Le Monde, 12 février 2005)

Salut Humbert, par Jimmy Glasberg
Humbert Balsan a décidé de partir. Il s’est suicidé...
Le jeudi 10 février 2005, on l’a retrouvé pendu dans les locaux de sa production Ognon Picture.
Humbert, tu nous fais là une sortie spectaculaire. Clap de fin. On ne joue plus. C’est sans doute ce que tu as voulu exprimer avec cette dernière image. L’acte authentique questionne, nous laissant sceptique devant la question du réel et de l’imaginaire : ton thème de combat favori dans le cinéma. Il nous renvoie à notre pratique d’hommes à la caméra. Tu nous jettes ta mort-réalité en pleine gueule. Brutale.
Je t’ai connu à tes débuts de producteur sur le premier film de Rachid Bouchareb Bâton Rouge, puis on s’est retrouvé avec Stéphane Paoli sur le documentaire Un homme apparaît, le portrait d’un banquier Suisse et enfin sur le film courageux de Sabine Franel Le Premier du nom. Des films atypiques comme je les aime.
Flash-back. Tu arrivais toujours sur le plateau le sourire aux lèvres, élégant et hâbleur. Pour toi, il n’y avait jamais de problèmes, uniquement des solutions...
En 2003, tu m’avais reçu aux aurores dans ton bureau à ton retour de la Berlinale que tu venais de présider. Je venais te montrer quelques extraits de l’expérience cinématographique que je menais à la prison des Baumettes. Tu as été le seul producteur à voir immédiatement dans les images le sens de mon travail. Ton point de vue m’a encouragé à poursuivre. Derrière l’apparence d’un producteur mondain, désinvolte, élégant, flambeur, il y avait surtout un homme sensible, authentique, talentueux, passionnel.
Humbert tu vas nous manquer.
Adieu l’artiste !!!

Lettre à Humbert par Hélène Louvart
Cinq films que nous avons faits ensemble. Dont le dernier en Normandie que nous avons terminé deux semaines avant ce qu’on pourrait appeler " votre départ ".
Je reprends quelques moments passés ensemble, dans l’ordre chronologique...

Notre rencontre, vous étiez entouré de plein de gens qui s’activaient dans votre bureau, vous parliez fort, en anglais, vous m’aviez paru très élégant, au-dessus de la " mêlée ". Vous étiez en train de préparer un film de James Ivory en coproduction avec Ismaël Merchant. Vous avez évoqué en deux phrases ce que Sandrine Veysset souhaitait faire comme genre de film - vous parliez en fait d’Y aura-t-il de la neige à Noël -, me laissant sous-entendre que les deux films que vous étiez en train de produire avaient à eux deux un budget équivalent à 102,4 millions de francs. J’ai dû avoir un air totalement dubitatif..., et là, très content de vous, vous m’avez précisé que le film d’Ivory coûtait en fait 100 millions de francs à lui tout seul et que vous n’aviez que l’avance pour celui de Sandrine..., qu’il faudra donc songer à faire de sérieux efforts. Puis, dans la foulée, vous m’avez demandé de vous faire au plus vite une liste de consommable - " gaffer ", gélatine... - et dit que vous iriez vous-même vous servir dans leur camion.

Puis vous de dos, votre chemise bleue en sueur, vous jouiez une partie de ping-pong avec Sandrine V. en 3 manches, dont l’enjeu, pour elle, était d’obtenir une journée de tournage supplémentaire. Et je peux dire que je vous ai vu miraculeusement gagner les 2 dernières manches, vous ne saviez pas bien jouer au ping-pong, il faut le dire, Sandrine était donnée comme gagnante dès le début, mais vous vous êtes battu sur tous les points, sans vous déconcentrer. A peine la partie terminée, vous vous êtes précipité au volant de votre Mercedes, prétextant que vous étiez très en retard.

Puis cette " passionnante " journée passée sur les hauteurs de Nice, dans ce restaurant en terrasse, nous devions occuper Sandrine d’une manière ou d’une autre, puisque vous attendiez la réponse de la Caméra d’or, à savoir si elle devait rester à Cannes ou si elle pouvait rentrer à Paris. Vous nous avez fait visiter un musée d’Art Moderne l’après-midi, et vous, tout en faisant semblant de vous y intéresser, vous n’arrêtiez pas de tapoter sur votre portable de peur d’un faux contact, parce qu’en fait, personne ne vous appelait. A mes yeux, votre nervosité était de plus en plus visible et risible. En fin d’après-midi, ne tenant plus, vous avez vous-même appelé le bureau du Festival, Sandrine n’avait pas été choisie, nous sommes repartis aussi sec, et je vous entends encore pester avec des bouts de phrases du genre : « De toute façon, les prix, c’est de la foutaise... C’est les films qui sont les plus importants, c’est eux qui comptent, c’est ça qui reste... ».

Puis sur le film de Franssou Prenant, Paris, mon petit corps..., vous m’aviez appelée pour m’apprendre " la bonne nouvelle ", à savoir que vous aviez obtenu, pour moi, de la part de Didier Diaz (Transpalux) carte blanche sur la liste électrique, c’est-à-dire que j’étais entièrement libre de choisir n’importe quel type de projecteurs, que tout était " cadeau ". Parfait. Je me rends donc avec Simon, mon chef électricien, chez Transpa, afin d’essayer quelques projecteurs et d’établir une liste, comme on fait ses courses au supermarché, mais sans passer par la caisse. Mais bien évidemment, on aurait pu s’en douter, les étagères étaient quasi-vides, et il n’y avait eu aucune répercussion entre votre accord avec Diaz et René du planning qui nous a plutôt regardés comme des... Je vous ai appelé de suite, et vous m’avez demandé si je pouvais quand même choisir des projecteurs qui restaient disponibles, au moins pour commencer le tournage, et qu’on verrait après, selon les scènes... Une semaine après, tout était résolu, nous avions tout de même une liste convenable dans le camion.
Et le tournage a commencé, il devait faire un temps très ensoleillé sur Paris - c’était écrit dans le scénario, en plus nous étions fin juin, début juillet - mais il a plu tous les jours, et vous essayiez de me convaincre, à la vision des rushes, que c’était une chance ce mélange de pluie et de faux soleil, que cela amènerait quelque chose de plus au film. Un matin, il tombait des trombes d’eau à la Bastille, je vous ai appelé d’une cabine après 1/2 heure de prépa, pour vous tenir informé qu’on ne s’en sortirait pas sous cette pluie. Vous m’avez dit : « OK, on libère tout le monde » - c’est-à-dire journée non travaillée mais payée - « et rendez-vous dans 3/4 d’heure au bureau pour étudier la suite ».

Puis un autre séjour à Cannes. Vous m’aviez proposé de venir quelques jours dans la maison que vous aviez louée pendant la période du festival - il y avait eu pour moi cette année-là, le film Pau et son frère de Marc Recha en officiel et le 3e film de Sandrine V. Martha qui faisait l’ouverture de la Quinzaine. Un soir, alors que les autres dormaient, vous nous avez préparé des œufs au plat (très poivrés), vous étiez soudainement affamé - il était environ 3 heures du matin - tout en continuant d’échanger nos points de vue sur tel ou tel film. Vous êtes allé ensuite vous coucher tout habillé sur le canapé du salon, tout en me lançant : « ... Et la presse, très important, la presse, dans le cinéma ! ». Le lendemain matin, au petit-déjeuner, vous aviez tous les quotidiens devant vous, et vous commentiez à voix haute tous les articles de presse des films qui avaient été projetés la veille.
Quelques soirs plus tard, vous sortiez de la projection d’un film que moi j’avais vu le matin même, et nous avons commencé à évoquer son succès potentiel. Vous avez parié votre Mercedes contre ma Nissan Micra que le film fera moins de " 200 000 entrées France ". Au moment de taper, vous vous êtes repris, et vous avez rectifié à 300 000. Et là, j’ai commis une des erreurs de ma vie d’accepter votre rectification au dernier moment comme ça. Quelques semaines plus tard, le film a terminé son exploitation à environ 292 000 entrées, et vous m’avez laissé un message narquois comme quoi je pouvais encore me dépêcher d’acheter 8 000 places pour ce film... Le tout s’est fini dans un restaurant un midi, près du bureau, avec votre fameux " steak salade ", vous avez choisi une assez bonne bouteille de vin pour vous faire un peu pardonner, et l’affaire était close.

Et j’aurais, Humbert, encore plein de souvenirs à vous raconter, mais je dois un peu abréger... La manière dont vous regardiez les rushes, comment vous perceviez tel ou tel plan tout en parlant en même temps au téléphone, le fait de vous laisser pousser la barbe tant que le film continuait à faire des entrées - c’était le cas du film de Suleiman, Intervention divine, et de Quand la mer monte, vos phrases " typiques ", sans que votre naturel ne soit remis en cause, du genre « Allo, oui, oui, je vous entends moins bien, je rentre dans un tunnel... », et vous raccrochiez aussi sec, et aussi « Oui oui, tout à fait, mais ça va couper, je rentre dans un ascenseur, alors au revoir ! »

Mais depuis deux ans, il y avait votre diabète, les médicaments, vous aviez recommencé à fumer. Même à ce petit-déjeuner en Normandie, après avoir complimenté la dame du gîte sur sa tarte aux pommes " faite maison ", vous l’avez mangée tout en allumant en même temps votre cigarette, il était à peine 8 heures, ce n’était pas très poli, et ça ne vous correspondait pas.
Sur le dernier tournage, nous avons très peu parlé. Juste un matin en préparation, où je vous ai dit un peu froidement que ce n’est pas grave de ne pas avoir assez d’argent pour faire le film, mais qu’il faut le dire clairement. On a convenu qu’il fallait enlever des nuits de tournage, passer des scènes en jour, et qu’il fallait tout simplement en parler à Sandrine. Vous m’avez demandé de commencer à aborder le sujet moi-même, que vous la verriez très prochainement pour argumenter cette décision. Finalement, vous vous êtes " échappé " à nouveau de tout cela, et je me suis retrouvée un peu " le bec dans l’eau ". Au résultat, seulement une nuit a été enlevée.

Puis juste avant de commencer le tournage, un retour de Normandie en voiture où j’ai passé pas mal de temps à chercher votre carnet d’adresse que vous aviez perdu et cela vous rendait nerveux, et comme nous avions convenu que vous ne dépassiez pas les 140 km/h, pour vous calmer il fallait vite que je le retrouve - il était en fait tombé sous un siège. Vous m’avez dit que pendant le nouvel an, vous partiriez pendant une semaine faire du ski chez votre neveu aux Etats-Unis.
« Tu vois, cela fait des mois et des mois que je n’ai pas pris de vacances, je travaille tous les jours... »
« Même les dimanches, Humbert ? »
« Oui oui, je t’assure, même les dimanches... »