Iris et les hommes

C’est en parlant de rythme et de comédie, que nous avons commencé nos discussions avec Caroline Vignal. Nous partageons, tous les deux, une immense admiration des découpages chez Billy Wilder, ou dans les films de Woody Allen des années 1970, un goût pour les plans longs, où l’on peut voir le personnage circuler dans le décor, disparaître et réapparaître, sans être interrompu dans son rythme ; où le rythme de la comédie est celui des acteurs.

Cette poursuite de rythme a été au centre de notre préparation, la circulation dans les décors, en particulier, concentrant toute notre attention. Nous avons découpé en faisant tout pour lier les choses, comme une musique spatiale dans les scènes.

Comme il y a une séquence de comédie musicale dans le film, les deux mois de préparation ont été rythmés par les répétitions de cette séquence, qui était placée en premier dans le plan de travail.
A posteriori, je pense que c’était vraiment une excellente idée du premier assistant réalisateur, Léonard Vindry, parce que cela a donné le ton à toute notre préparation, de la recherche du rythme ou de la mélodie des séquences.

Caroline avait une idée assez précise du rythme visuel qu’elle voulait pour le film.
Elle m’a montré tout de suite des images de films décrivant deux envies fortes : du blanc et des taches de couleurs. On pouvait plus précisément voir : du blanc dans les décors et dans les contrastes, des intérieurs aux murs blancs frappés par le soleil, de la couleur dans les costumes, les accessoires et la direction artistique, avec des aplats de couleur très nets, et enfin, une sorte de transparence entre les états émotionnels du personnage et la direction colorée du décor et des costumes.

Images échangées lors de nos discussions sur le blanc, la couleur, avec Caroline Vignal - <i>The Shining</i> (S. Kubrick), <i>Rosemary's Baby</i> (R. Polanski), <i>Les Demoiselles de Rochefort</i> (J. Demy)
Images échangées lors de nos discussions sur le blanc, la couleur, avec Caroline Vignal
The Shining (S. Kubrick), Rosemary’s Baby (R. Polanski), Les Demoiselles de Rochefort (J. Demy)


Cette manière d’être subtilement expressionniste dans la direction artistique, de fabriquer une représentation fantasmée du réel, légèrement enchantée, me semblait nécessiter, du côté de l’image, une grande capacité de cohésion. L’image devait tenir cette disparité visuelle, comme elle devait tenir les écarts de registre, du drame intime à l’explosion chantée et dansée.

Recherche Colorée :
Si l’on a rapidement évoqué l’argentique, aucun de nous deux n’en avait vraiment envie en tournage, notamment parce que l’on voulait tourner de longs masters, ne pas subir de contrainte du métrage. En revanche, j’avais comme conviction que la capacité du film à tenir les écarts de saturation et de brillance était une bonne voie.

Le format Super 35, en revanche, semblait le bon. Caroline n’aime pas les flous d’arrière-plan trop prononcés et aime construire le plan dans la profondeur.
J’avais essayé la Venice 2 précisément pour son usage en Super 35. Ses performances en basse lumière me semblaient particulièrement intéressantes pour faire des choix de profondeurs de champ même en situation d’extérieur nuit. L’Alexa 35 venait à peine de commencer à être livrée au moment du tournage, sans quoi je l’aurais probablement considérée.

Nous disposions de trois semaines pour l’étalonnage au devis, après une courte discussion nous avons décidé d’en retirer une pour financer de la recherche en préparation et un tirage quotidien des rushes. Je préfère préciser le geste et travailler plus vite ensuite que de m’enliser en finition. Je trouve que les étalonnages trop longs produisent parfois quelque chose de "laborieux" dans le rendu.

Alors nous avons tourné des essais en 35 mm et en Venice 2. Avec l’aide d’un outil de postproduction nommé Diachromie – développé par Olivier Patron (DIT), Paul Morin (directeur de la photo) et moi-même – nous avons commencé à modeler l’émulsion numérique du film.

L’outil se présente sous la forme d’un plug-in pour DaVinci permettant de moduler le comportement coloré de l’image de manière plus globale que les outils d’étalonnage. Le look (ou l’émulsion, peu importe comment on l’appelle) est ainsi intégralement paramétrable (décalage de teintes, contraste, épaule/pied, dominantes, compression des saturations, etc.).
Depuis peu nous avons aussi développé un équivalent texturel, Diaphanie (séparation fréquentielle, diffusion, grain…), il n’était pas encore disponible pour Iris et les hommes.

Une session de travail avec Diachromie
Une session de travail avec Diachromie


Au début nous avons reproduit à peu près à l’identique une 5219 tirée sur 2383, et je suis parti aux essais costumes avec une petite Komodo pour laquelle l’émulsion avait été adaptée.
Après quelques costumes, Caroline m’a demandé pourquoi il y avait une telle variation de teinte entre la réalité et ce rendu "film". Je lui ai expliqué que ces décalages de teintes étaient constitutifs du comportement coloré du film. Comme ce conservatisme par rapport au film ne lui semblait pas nécessaire, on a redressé les teintes, rendant finalement cette émulsion plus fidèle que le film. C’est quelque chose que j’adore avec cet outil : la possibilité d’isoler les composantes d’un rendu coloré, et d’y revenir pour les modifier, au fur à mesure que la réflexion sur l’identité visuelle évolue.

On a donc reproduit de manière assez précise la capacité du film à compresser et tenir les saturations, ainsi que les hautes lumières et le rendu des peaux. En revanche les teintes et les dominantes appartiennent davantage à un rendu contemporain.
Cette confiance acquise dans le rendu des saturations nous a permis de donner une totale liberté dans le choix des intensités de couleurs à Pierre Du Boisberranger, chef décorateur, et à Marité Coutard aux costumes.


Il y avait à mon avis deux manières de gérer la question de la palette. On voit beaucoup de directions artistiques contemporaines opter pour des palettes assez tenues en contraste et en couleurs, pour ne pas avoir à gérer des grands écarts en postproduction.
A l’inverse les films qui faisaient référence en termes de couleur pour Caroline avaient des choix de directions artistiques tout à fait explosifs, mais parfaitement tenus par le rendu coloré du film. C’est donc cette deuxième voie que nous avons empruntée, même si le rendu n’a rien de strictement film.

Durant le tournage, Charlotte Bouché, chez Poly Son, a tiré tous les jours des rushes de manière tout à fait remarquable. En plus d’être un gain de sérénité au tournage, ainsi qu’un gain de temps au moment de l’étalonnage, c’est tout à fait stimulant dans le travail de finition.

  • Laurent Ripoll, étalonneur, à propos du travail sur Iris et les hommes :
    Lorsque nous avons tourné des essais comparatifs en 35 mm / Venice 2, j’étais très curieux du résultat. C’est un travail préparatoire passionnant que je n’ai l’occasion de faire que sur des films de cette envergure, alors que chaque film mériterait de pouvoir le faire tant cela influe sur le résultat final. On me demande très souvent un rendu argentique en essai caméra, et c’est un terme tellement vaste, qui regroupe tant de composantes différentes que c’est très compliqué à circonscrire sans faire ce travail de comparatif et d’analyse de l’image, qui permet de pointer les composantes de contraste, de couleur ou de texture qui nous intéressent. 
    Sur Iris et les hommes, nous avions justement ces images de référence en 35 mm à partir desquelles nous pouvions partir pour fabriquer le look, puis s’éloigner progressivement en conservant les composantes qui nous intéressaient. Je rejoins Martin Roux sur l’intérêt d’utiliser un outil paramétrique pour façonner le look d’un film (Diachromie en est un, Chromogen de FilmLight est tout à fait passionnant aussi), c’est l’inverse absolu d’une LUT obscure qu’on me demande d’utiliser et que je ne peux absolument pas contrôler. Dans le meilleur des cas je peux utiliser des émulsions toutes faites comme Filmbox ou Dehancer, mais ce sont des solutions de Color Science qui sont parfaitement opaques, et je n’ai une action que très minime sur leur interprétation de l’image (en réalité, ces plug-ins fonctionnent comme des catalogues de LUTs, mais les modifications que l’on apporte à leurs émulsions sont très primaires).
    Sur Iris et les hommes, plusieurs ajustements du look ont été faits sur Diachromie à partir de la première version, mais en ne modifiant que les composantes qui ne nous satisfaisaient pas tout à fait, ou qui ne convenaient pas à la réalisatrice Caroline Vignal, qui pouvait suivre l’évolution du look et nous faire ses retours, ce qui est à la fois très intuitif et pédagogique pour atteindre un résultat correspondant à nos attentes réelles, et non une idée de ce que l’on se fait de l’image. Nous avons notamment progressivement redressé les torsions colorées, tout en conservant la densité des couleurs saturées, composante propre au rendu film. Notre look final conservait une sensation de film argentique, tout en ayant un rendu plus moderne. 
    En l’occurrence, sur Iris et les hommes, nous avons continué jusqu’au dernier jour de préparation à modifier le look, notamment lors de la projection d’essais avec l’équipe, où nous avons ajusté le rendu des teintes pour correspondre aux attentes sur les costumes, ou encore le rendu texturel pour affiner le rendu de peaux. 
    En travail d’étalonnage, ce qui est formidable pour moi c’est que ce travail de Color Science et de tirage permet d’arriver à un rendu extrêmement avancé au premier jour d’étalonnage. 
    C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai beaucoup de mal à faire comprendre en préparation de long métrage. Il vaudrait parfois mieux allouer une partie du poste étalonnage à la recherche de look et au tirage des rushes, tant cela influe sur le résultat final du film. Durant la finition on a parfois moins de latitude sur la modification du look car une partie du désir d’image a été sédimentée par la copie de travail.
    Sur Iris et les hommes, Martin Roux a décidé de "convertir" en préparation une semaine d’étalonnage sur les trois qui nous étaient proposées, et pourtant nous avons terminé en avance en travaillant de la sorte.
    La robustesse d’un look savamment construit change le geste d’étalonnage, on peut "déplacer" une scène ou une ambiance en un seul mouvement, tout en sachant que toute l’émulsion suivra et permettra de maintenir en place toutes les composantes du film, son identité.
    Que raconte cette scène ? Comment peut-on accompagner encore l’émotion d’une séquence à l’étalonnage ? Ce sont des questions que nous ne nous posons pas assez lorsqu’il n’y a pas eu de travail préparatoire de Color Science, alors que ça devrait être la majeure partie du travail d’étalonnage.
    Derniers essais avant le tournage, où il était justement question du niveau des dérives colorées
    Derniers essais avant le tournage, où il était justement question du niveau des dérives colorées

Texture optique, texture numérique, postproduction.
Lors des différents essais d’optiques à l’aveugle que j’ai pu voir, j’ai toujours trouvé les Zeiss T2.1 remarquablement équilibrés, cela fait précisément partie de ces séries d’optiques un peu sous-cotées dont la vraie valeur ne se révèle que lors d’essais à l’aveugle.
Caroline n’aime pas vraiment les phénomènes ou les manifestations optiques trop ostentatoires, mais elle tenait, pour des raisons de composition, à un filmage en 2,39.
Les Zeiss T2.1 en 2,39 sur une Venice 2 avaient une forme de douceur et de droiture qui me faisait un peu penser au TechniScope de Pierrot le Fou, à la fois ample et sobre.
C’était exactement le ton que je cherchais, et puis c’était un geste optique très simple ; nul besoin de diffusion additionnelle ou travail de texture trop complexe en postproduction.

Nous avons en revanche travaillé un peu sur le bruit. On voulait un peu de grain et il se trouve que l’on avait un peu de bruit de caméra dans les scènes en base 3 200 ISO. On a conservé ce bruit en le traitant pour lui donner la finesse désirée, nous l’avons complété avec du grain film dans les moyennes et les hautes lumières, et dans les scènes en base 800.
J’aime bien qu’il y ait un continuum texturel, et j’étais ravi de cette solution qui conserve tout de même la texture produite de la caméra et qui la complète.

Du blanc et de la couleur
Du blanc et de la couleur


Lumière :
En lumière, les envies de blanc, parfois d’aplats ou d’accidents de Caroline Vignal, m’ont poussé à accepter davantage de lumière à la face que je ne l’aurais peut-être fait spontanément. La courbe de contraste que l’on avait construite rendait les surexpositions très agréables.
Avec Rémy Pigeard, le chef électricien avec qui je collabore depuis plusieurs années, nous avons tâché de concevoir des dispositifs qui permettent un maximum de circulation des comédiens, dans l’appartement ou dans le cabinet de dentiste avec une grande versatilité dans les dispositifs.
Les intérieurs jours étaient parfois assez lourdement éclairés, pour remplir ces grands volumes haussmanniens de blanc, et organiser des accidents solaires en HMI. Et avec la même structure convertie en LED, on a organisé des nuits dont le niveau de travail de référence était la réverbération de sodium qui parvenait au 5e étage, juste quelques lux. On pouvait ainsi jouer les découvertes réelles et l’atmosphère des intérieurs parisiens la nuit. Je trouve très enthousiasmant ces écarts de pratiques, permis par des caméras versatiles comme l’est la Venice 2 et puis par des équipes électriques aussi agiles que celle que j’avais sur Iris et les hommes.

Intérieur nuit au niveau photométrique de la réverbération de l'éclairage urbain parisien
Intérieur nuit au niveau photométrique de la réverbération de l’éclairage urbain parisien


Cette idée de blancheur et de couleur, on l’a également poursuivie dans les extérieurs urbains, en cherchant des IRC parfaits dans l’éclairage public, pour transformer la rue en une sorte de scène de théâtre aux couleurs chatoyantes. De projet en projet, avec Rémy Pigeard, on a développé une passion pour le remplacement des lampes d’éclairage public, pour modeler la ville à nos envies.

A Paris, le travail avec le département d’éclairage public et un site OpenData remarquablement bien fourni rendent les choses très faciles.

Je finirai en remerciant mes brillantes équipes caméra (Adèle Maurin-Bonini, Anouck Mathieu et Louis Douillez), machinerie (Robin Gaillard et Tanguy Dolou) et électricité (Rémy Pigeard, Adrien Dodin, Lucas Coulon, Benoit Dupont, Thibault Maillard et Thomas Lefourn), qui m’ont entouré et ont entouré le film avec une grande douceur et une grande précision, rendant le travail vraiment agréable tous les jours.

  • Bande-annonce officielle :

    https://youtu.be/3RZEAQCvrkw?si=WLxXUjka1wRLM7gK

Équipe

Première assistante opératrice : Adèle Maurin-Bonini
Seconde assistante opératrice : Anouk Mathieu
Chef électricien : Rémy Pigeard
Electriciens : Adrien Dodin, Lucas Coulon, Benoit Dupont, Thibault Maillard et Thomas Lefourn
Chef machiniste : Robin Gaillard
Machiniste : Tanguy Dolou
Etalonneur : Laurent Ripoll
Tirage des rushes : Charlotte Bouché

Technique

Matériel caméra : TSF Caméra (Sony Venice 2 et série Zeiss T2.1)
Matériels lumière et machinerie : TSF Lumière et TSF Grip
Postproduction : Poly Son

synopsis

Un mari formidable, deux filles parfaites, un cabinet dentaire florissant : tout va bien pour Iris. Mais depuis quand n’a-t-elle pas fait l’amour ? Peut-être est-il temps de prendre un amant. S’inscrivant sur une banale appli de rencontre, Iris ouvre la boite de Pandore. Les hommes vont tomber… Comme s’il en pleuvait !