La directrice de la photographie Céline Bozon, AFC, parle de son travail sur "Tip Top", de Serge Bozon

par Céline Bozon

Céline Bozon a éclairé le film de son frère Serge Bozon, La France, qui avait obtenu le prix Jean Vigo en 2007. Tip Top est le quatrième long métrage de Serge. Céline a travaillé au côté de Tony Gatlif (Exils, Transylvania) et de Jean-Paul Civeyrac (Toutes ces belles promesses, Tristesse beau visage, A travers la forêt). Elle nous livre ici un texte personnel relatant la démarche photographique particulière pour ce film en sélection à la Quinzaine des réalisateurs. (BB)

Le 17 mars 2011, je reçois de mon frère, Serge Bozon, le texto suivant à propos de Tip Top, son prochain film : « Graphique, primitif, nu, une impression de banlieue blanche où tous les espaces fonctionnels et anonymes se touchent, se contaminent ; bureaux blancs, chambres blanches, pièces blanches, une petite butte, un petit lac. Une image fragile qui donne l’impression de trembler comme dans certaines séries B ou dans les Gordon Lewis. Brut, jeté, d’une pièce, rock, poster, nu, économe, aplat, fragile. »

Photogrammes issus de films de Gordon Lewis
Photogrammes issus de films de Gordon Lewis


Suite à son film précédent, La France, ou plutôt contre celui-ci, Serge voulait une image moins picturale, moins plastique, plus rugueuse, plus brute, plus fragile, mot qui revenait sans cesse dans nos discussions. Et il y avait le blanc. La volonté d’aplats. Ce n’est pas un mouvement qui m’est naturel, j’ai tendance à aller vers le volume, le modelé, le contraste, la densité... Filmer des gens contre des murs blancs. Comment dompter le blanc sans entrer dans une image solaire. Comment ne pas tomber dans des aplats vides et sans fonds, dans la fadeur, comment garder ce côté rock, poster ? C’est peu de dire que j’avais pas mal d’angoisses en préparation.

Au gré de mes recherches, et après une première série d’essais sur les décors, je suis tombée sur une solution qui pourra paraître triviale, voire trop évidente, mais qui m’a comblée : le Fresnel à cru, non diffusé sur les visages. Le système serait le suivant : un niveau au plafond et des Fresnel ponctuels, en essayant que les comédiens ne soient touchés que par une source à la fois, source qu’il ne faudra pas tenter de rééquilibrer. Assumer les ombres nettes et dures qui vont avec. Manière très peu contemporaine d’éclairer. Et puis, sur certaines séquences, pas de mélange, que du niveau, assumer totalement la platitude ; et faire des allers retours.

Tip Top est un film de grands écarts, de rupture. Écarts de tons, écarts de langage, écarts de cinéma. J’espère que l’image a contribué à ces écarts, en leur donnant un style, une énergie et qu’elle a servi la question du film : « Quelles sont les choses heureuses qui donnent envie de tout casser ? »

Nous avons tourné en argentique (pour aller dans le sens de cette fragilité dont on parlait plus haut) en trois perfos, dans ce très beau format qu’est le 1,66 ; avec une série d’optiques Elite et Cooke S4. La pellicule était la Fuji 500 D pour sa texture, sa granularité notamment que j’aimais beaucoup, ainsi que ses montées naturelles de bleu dans les noirs. J’ai corrigé à moitié avec un 82A quand je tournais en tungstène. Grâce à la confiance de mon frère, nous avons pu tourner des nuits américaines en chien et loup sur un temps très court en maintenant le principe des Fresnel, ce qui donne ce côté très irréel à certaines séquences.

Un grand merci à mon équipe : Olivier Godaert à la lumière et Gaston Grandin à la machinerie ! Le film était une coproduction entre France, Belgique et Luxembourg ; le matériel venait de chez Eyelight, le labo de développement et de rushes était " Studio l’équipe " ; l’étalonnage et les effets avaient lieu chez Espéra au Luxembourg sur Baselight avec une étalonneuse avec qui j’avais travaillé chez Eclair, Raphaëlle Dufosset. Juliette Malon, directrice de postproduction, nous a aidés à nous retrouver dans ce montage difficile entre les différents pays.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)