Les entretiens AFC au festival "Séries Mania", de Lille

Philippe Piffeteau, AFC, revient sur le tournage de la série "Homejacking", réalisée par Hervé Hadmar

"Home, Sweet Home", par François Reumont

Contre-Champ AFC n°353

Présent en compétition française à Lille, la série "Homejacking", produite pour Orange Cinéma Séries, est une variation qui s’inspire de l’éternel Rashomon et de sa narration du même fait divers par plusieurs personnages différents. C’est le réalisateur Hervé Hadmar (Pigalle la nuit, Au-delà des murs) qui est aux manettes, sans avoir cette fois-ci écrit le scénario. La série installant son récit autour d’une luxueuse maison d’architecte dont les occupants recèlent un passé bien sombre. Philippe Piffeteau, AFC, signe les images de ce thriller composé de nombreuses strates narratives. La série de six épisodes de 35 minutes est diffusée à partir du 7 avril sur la plateforme française. (FR)

Une magnifique maison d’architecte perdue au milieu de la forêt. Un matin, un couple bourgeois est victime d’une intrusion. Un agresseur cagoulé débarque chez eux et les séquestre violemment. On ne sait pas réellement ce qu’il cherche : voler, violer, tuer ? Peut-être a-t-il une tout autre intention à laquelle personne ne s’attend…

Quel réalisateur est Hervé Hadmar ?

Philippe Piffeteau : Hervé Hadmar est quelqu’un que je connais depuis une trentaine d’années, pour avoir tourné un de ses premiers courts métrages. Depuis, on a eu l’occasion de retravailler ensemble sur une série Arte ("Au-delà des murs", en 2016). C’est un réalisateur précis, avec lequel il est très agréable de travailler. Il sait exactement ce qu’il veut sur le plateau. Au montage tout ce qui a été tourné est utilisé, et il sait s’adapter dans le cas de difficultés techniques - ce qui nous fait toujours gagner beaucoup de temps. D’ailleurs c’est très rare de faire des heures supplémentaires avec lui, même sur cette série au budget très limité et au plan de travail bien chargé (environ six jours par épisode, soit 34 jours pour la série).

Vous évoquez sa faculté d’adaptation, avez-vous un exemple ?

PP : Oui, la décision qu’il a prise de basculer une grande partie des scènes, et notamment tout le premier épisode de la nuit au jour. En effet, la série commençait dans le scénario par l’agression nocturne de ce couple par un inconnu... Mais très rapidement, on s’est aperçu que ce serait vraiment compliqué à la fois en termes de matériel et en temps de tournage de faire ça de nuit. La maison elle-même pouvait bien s’y prêter, mais vu les 21 jours qu’on devait y passer (pour tourner également la forêt et les environs proches) on était dans une configuration trop lourde financièrement parlant. Hervé a donc décidé de tout faire de jour, avec une ambiance très différente de celle de départ, mais qui je trouve fonctionne très bien .

Hervé Hadmar dans le décor du salon
Hervé Hadmar dans le décor du salon


La maison du couple de protagonistes est en fait le personnage principal de cette série, non ?

PP : Cette maison, je peux dire que c’est une sorte de miracle. Il faut dire qu’à la lecture du scénario, se débrouiller pour trouver une maison d’architecte qui sort de l’ordinaire aux alentours de Paris, et qui n’ai pas été filmée sous tous les angles dans d’autres productions, c’est pas la chose la plus facile. Et pourtant aussi improbable que cela puisse paraître, notre repéreuse est tombée sur ce décor, qui n’avait jamais été utilisé sur un film précédent. Un bâtiment conçu par un architecte assez réputé, appartenant à une famille qui l’utilisait comme résidence secondaire pour les vacances. Une vraie aubaine, d’autant plus qu’elle était déjà meublée et que la grande majorité de ce que vous voyez à l’écran, c’est le décor tel qu’on l’a trouvé en arrivant ! Seule quelques baies vitrées ont été cachées çà et là, en plus de la question du couloir avec la bibliothèque de la porte secrète. Le sous-sol lui étant lui recréé dans un parking en banlieue.

Avez-vous pu préparer vu l’importance de ce lieu ?

PP : J’ai eu très peu de temps de préparation sur ce tournage, à peine un week-end de repérage, et puis une petite semaine avant le tournage. Il a fallu prendre des décisions très rapides, notamment sur cette maison. Sachant que la nature du terrain aux abords proches nous interdisait, par exemple, d’utiliser des nacelles ou des constructions lourdes. Nous avons installé des cadres depuis la terrasse afin de contrôler les entrées côté sud et d’installer des Vortex pour assurer les entrées de lumière du jour. Comme vous pouvez le voir dès le premier épisode, la maison est entièrement jalonnée de baies vitrées. On se retrouve à tourner presque comme en extérieur jour. Heureusement l’axe du salon dans lequel la plupart de l’action se déroule avait l’avantage d’être orienté nord. En utilisant essentiellement des grands cadres négatifs (6x8 m) qu’on déplaçait au fur et à mesure de la journée, j’ai réussi à maintenir le raccord sans la présence habituelle de grosses sources placées dans le jardin.

Était-ce un changement dans vos habitudes ?

PP : Non pas vraiment. C’est vrai que je préfère utiliser le moins de sources possibles sur un extérieur jour. Jouer avec le négatif fill pour doser le contraste, je trouve ça souvent bien plus efficace que de rajouter de la lumière. De même, sur les séquences qui se déroulent dans les souterrains (tournées dans des carrières à Auvers-sur-Oise), j’ai essayé de tout faire uniquement avec les lumières des téléphones portables, car Hervé ne voulait absolument pas de niveau de base sur le décor, ni de contre-jour ou quoi que ce soit d’artificiel. Mes uniques dérogations à la réalité étaient des petites minettes LEDs qu’on accrochait parfois dans le dos des téléphones des comédiens.

Dans les souterrains secrets
Dans les souterrains secrets


Photogramme


Un mot sur la caméra ?

PP : Sur cette série, Hervé voulait vraiment tout tourner au grand angle. Résultat : 90 % des plans ont été faits au 21 ou 24 mm en Alexa Mini LF. Ça c’était un vrai challenge au cadre, car il y a toujours un moment dans la journée où vous vous dîtes : « Bon, ça serait peut-être pas mal au 85 mm ce gros plan, non ? ». Mais nous sommes restés sur la même ligne.

Photogramme


En termes d’optique, j’ai choisi la série Sigma LF, non seulement pour des raisons de budget, mais surtout aussi parce que Hervé aime une image précise, sans flares et moderne. En ce qui concerne l’étalonnage, avec Aline Conan, la coloriste qui me suit depuis de nombreux projets, nous avons créé deux ambiances bien distinctes. Les séquences se déroulant dans le passé une tonalité plus froide et celles du présent plus chaude. Un effet assez simple que j’avais aussi anticipé à la prise de vues en filtrant un peu plus avec des filtres Glimmer (2 ou 3 pour le passé, les scènes dans le présent ne dépassant le grade 1). Enfin, tout a été tourné dans la maison sur dolly, la plupart du temps sans rail car le sol nous le permettait, ainsi qu’avec le Steadicam.

Que retenez-vous de cette série ?

PP : Un grand plaisir de retravailler avec Hervé Hadmar. Les deux comédiens principaux Marie Dompnier et Yannick Choirat (déjà rencontré sur "Victor Hugo") étaient tous les deux formidables, et je suis plutôt fier du résultat. C’est une série avec beaucoup de niveaux narratifs différents, et il faut vraiment en attendre l’issue pour découvrir où la vérité se cache. Autre particularité, c’est Hervé lui-même qui a composé la musique pour la première fois, et sa maîtrise du rythme et du montage son me semble exemplaire.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Série "Homejacking"
Production : Lincoln TV - OCS
Réalisation : Hervé Hadmar
Scénario : Florent Meyer, Tigran Rosine, Emmanuelle Faguer
Directeur de la photographie : Philippe Piffeteau, AFC
Décors : Arnaud Bouniort
Costumes : Sabrina Riccardi
Son : Olivier Leroy
Montage : Aurique Delannoy, Diane Logan, Emmanuelle Labbé
Musique : Hervé Hadmar