Denis Rouden, de l’utilité de la planche à voile
Par Ariane Damain Vergallo, pour Ernst Leitz WetzlarC’était comme passer d’un film en Technicolor où tout le monde est beau et bronzé à un film en sépia forcément plus triste. Mais qu’importe. A Paris, Denis Rouden, pressé, se proclame "autodidacte" avec ce sens aigu du contact et ce goût du bonheur que Marseille enseigne peut-être.
A ses débuts, il a la chance folle de remplacer au pied levé un cadreur qui tombe malade et de se faire remarquer par le réalisateur pour ses cadres d’une étonnante stabilité. Un équilibre dont il ignorait qu’il lui servirait autant un jour et qui lui venait alors d’une pratique assidue de la planche à voile. Marseille toujours.
Sa carrière est lancée. Il ne passera jamais par la case assistant et débute tout de suite comme opérateur ; films institutionnels, fausses pubs des Nuls et Les Guignols, de Canal+, puis des clips, et enfin LE premier long métrage en 35 mm – celui qui fait de vous un véritable directeur de la photo adoubé par ses pairs. Mais un long métrage de Francis Leroi, pas le réalisateur le plus glamour qui soit, mais plutôt le plus sulfureux, Emmanuelle 7, alors qu’il a à peine 30 ans, suivi de quelques autres, sans doute les films dont on se glorifie le moins mais qui néanmoins vous donnent la technique et surtout la vitesse, la rapidité d’exécution qui enchantent tous les réalisateurs.
Aujourd’hui, vingt-cinq ans de métier donnent à Denis Rouden de la bouteille, de l’assurance mais aussi du recul, il se fie toujours dans ses choix de films et de réalisateurs à son instinct, son goût du plaisir partagé. « Il faut se sentir bien, il faut qu’il y ait du désir, une confiance, c’est ça qui prime. »
Et de citer son ami Olivier Marchal, dont le superbe 36, quai des Orfèvres, film culte, relança le polar en France, son ami Jérôme Salle dont il est fier d’avoir éclairé le film Zulu, tourné en Afrique du Sud, et enfin son ami Laurent Tirard, subtil et discret réalisateur, avec qui il vient de terminer la saison 2 de "10 %".
Tous des amis, des frères, une famille. Des histoires d’hommes.
Il avoue aimer follement les tournages, s’y sentir plus que bien avec ce goût à la fois du "cadre" qu’ils procurent - dans un sens que ne renierait pas son père le capitaine - et de "l’ailleurs" qu’ils promettent.
La rencontre fructueuse - et amicale encore - avec Dany Boon, dont il vient de faire le dernier film RAID dingue, et qu’il va retrouver dans quelques semaines pour son prochain long métrage, marque l’acmé d’une carrière bien remplie. Ce goût du "cadre", il le partage avec Dany Boon, dont on n’imagine pas que le succès "dingue" vienne d’un travail acharné.
La préparation de ses films commence toujours par le découpage de l’ensemble des scènes sur les lieux mêmes du tournage en présence de la scripte – qui est aussi celle de l’autre maître de la comédie, Francis Weber, une valeur sûre – de son directeur de la photo et de son premier assistant. Les scènes d’action sont même entièrement dessinées, un goût pour le dessin que Dany Boon a gardé de ses débuts de comédien lorsqu’il qu’il gagnait sa vie comme storyboardeur.
RAID dingue étant leur première collaboration, Denis Rouden avait imaginé, dans un premier temps, que comme le film devait être tourné en Scope, il prendrait, comme à l’accoutumée, des optiques anamorphiques Hawk. Puis il avait inclus dans les essais une série Cooke, la série Masterprimes de Zeiss, et en outsider une série espagnole Scorpio, jusqu’à ce que Didier Grezes de Next Shot lui suggère d’ajouter aux essais une série sphérique – les Summilux-C de Leica – et de tourner en Super 35, chose à laquelle il n’avait absolument pas songé.
Le choix final s’imposa. Une Alexa Mini et les Summilux-C de Leica.
Un ticket gagnant qu’il emmena aussi sur la série "10 %" tournée juste après RAID dingue.
« Les Summilux-C sont des optiques à la fois contrastées et définies mais avec un rendu sur les peaux rond et velouté. Une luminosité avec une répartition globale unique… et la pureté. »
Cette pureté, il l’évoque aussi quand il parle de cette lumière unique de Marseille – la lumière du paradis perdu de l’enfance –, cette lumière cristalline, ces ciels comme lavés par le vent du Mistral. Il avoue ne jamais s’être vraiment acclimaté à nos régions – se promener dans l’humidité des bois en automne reste une torture ! – et se sentir en plénitude dans le désert quand il embrasse l’horizon et le soleil, le soleil…