Disparitions de John Bailey, ASC et de Victor J. Kemper, ASC
Par Marc SalomonJohn BAILEY, ASC
Révélé au début des années 1980, quand il travailla avec Paul Schrader (American Gigolo ; La Féline), le premier film réalisé par Robert Redford (Des gens comme les autres), John Schlesinger (Honky Tonk Freeway), Lawrence Kasdan (Les Copains d’abord) et Stuart Rosenberg (Le Pape de Greenwich Village), John Bailey aspirait d’abord à devenir écrivain, puis critique ou théoricien du cinéma en passant par l’université de Loyola puis par l’USC. Il avait découvert le cinéma dès ses années de lycée, se prenant de passion pour les réalisateurs européens (Bergman, Antonioni...) et surtout la Nouvelle Vague : « Je découvrais une manière de filmer qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu voir jusqu’alors. »
Les cours de l’USC l’orientent vers la caméra, encouragé par Woody Omens, ASC. Mais c’est surtout le travail de Vittorio Storaro sur Le Conformiste, de Bernardo Bertolucci, qui achève de le convaincre d’embrasser la carrière de directeur de la photographie.
Il fera d’abord ses classes comme assistant puis cadreur dans le cinéma indépendant aux côtés de directeurs de la photographie tels Gregory Sandor (Macadam à deux voies, de Monte Hellman), David Meyers, Jules Brenner, Ric Waite, Charles Rosher Jnr. Mais on retiendra surtout qu’il fut le cadreur de Nestor Almendros sur Les Moissons du ciel, en 1976, et de Vilmos Zsigmond sur Winter Kills, de William Richert.
C’est aussi durant cette période qu’il entame sa carrière de directeur de la photographie grâce à la réalisatrice Karen Arthur (Legacy, en 1974, et The Mafu Cage, en 1977).
Puis c’est la première de ses six collaborations avec Paul Schrader, American Gigolo, avec une référence affirmée et assumée au Conformiste, suivie l’année suivante par La Féline, remake du film de Jacques Tourneur.
La collaboration entre Schrader et Bailey, ces deux cinéphiles esthètes, culmine en 1984 avec Mishima, une plongée introspective, théâtralisée et fortement stylisée, dans l’univers et la vie de l’écrivain japonais.
John Bailey rejoint ensuite Lawrence Kasdan pour un western languissant, Silverado, tourné dans les paysages du Nouveau-Mexique, dont la photographie ne nous fait malheureusement pas oublier les grands maîtres de l’ouest américain, William Clothier, Winton Hoch, Lucien Ballard...
La suite de sa filmographie comportera un grand nombre de comédies, films d’aventure ou d’action, auxquels il a apporté un savoir-faire indéniable mais quelque peu éloigné des prétentions formelles de ses débuts, lui qui se définissait ainsi : « Je me considère comme un classique, même si au début j’ai fait quelques films comme American Gigolo, qui étaient considérés comme innovants. J’ai toujours beaucoup aimé le cinéma classique et les cinéastes classiques. »
Retenons tout de même quelques succès comme : Un jour sans fin (Harold Ramis), Dans la ligne de mire (Wolfgang Petersen), Un homme presque parfait (Robert Benton), Mesure d’urgence (Michael Apted), Pour le pire et pour le meilleur (James L. Brooks), Permis de mariage, Miracle en Alaska et Les Randonneurs amateurs (Ken Kwapis).
Ajoutons que John Bailey était passé à la réalisation à cinq reprises entre 1991 et 1996, il assura lui-même la photographie sur trois de ses films, faisant appel à son ami Willy Kurant, AFC, ASC, pour China Moon, en 1994, et à Paul Sarossy, CSC, BSC, ASC, pour Mariette in Ecstasy, tourné en 1996, mais qui ne sera montré qu’en 2019 au festival Camerimage, de Toruń.
John Bailey avait rencontré Willy Kurant en 1968, au café de Flore, lors d’un séjour à Paris quand il rejoignit son amie et future épouse, la cheffe monteuse Carol Littleton, qui avait obtenu une bourse pour venir étudier à la Sorbonne. Il rencontra aussi Raoul Coutard et Nestor Almendros. Des liens d’amitié s’étaient noués entre Willy Kurant et John Bailey, qui le parrainera en 1996 pour son admission au sein de l’ASC.
A lire sur le site Internet de l’ASC :
- "John Bailey, ASC : Inside the Outsider" by David E. Williams
- "In Memoriam : John Bailey, ASC (1942-2023)" by David E. Williams
- "In Memoriam : Willy Kurant, ASC, AFC (1934-2021)", by John Bailey, ASC.
On pourra aussi consulter le magnifique album noir, richement illustré, que lui a consacré le festival Camerimage en lui décernant le "Lifetime Achievement Award", en 2019.
Victor J. KEMPER, ASC
Il fut, à ses débuts, un des opérateurs emblématiques d’un certain renouveau du cinéma américain des années 1970, d’abord dans sa mouvance new-yorkaise, quand il collabora avec John Cassavetes (Husbands) et Sidney Lumet (Un après-midi de chien), mais aussi avec Michael Ritchie (Votez McKay), Bob Rafelson (Stay Hungry) ou Irvin Kerschner (Les Yeux de Laura Mars). Il fut un peu trop rapidement catalogué comme un spécialiste du décor naturel, des tournages dans la rue au milieu de la foule, adoptant un style plus proche du reportage, aux antipodes de l’esthétique hollywoodienne. La suite de sa filmographie révèle cependant à quel point Kemper pouvait aussi maîtriser les codes et les techniques du studio, à commencer par Le Dernier Nabab, d’Elia Kazan, en 1976. Des compétences techniques et artistiques qui lui avaient valu d’être admis au sein de l’ASC dès 1971.
Pour autant, et contrairement à bon nombre de ses confrères, Victor Kemper n’évoquait pas une quelconque vocation précoce pour le cinéma mais plutôt une attirance pour l’électronique, bricolant des radios dès son plus jeune âge et réparant les téléviseurs des voisins. « Devenir directeur de la photographie – ou, plus exactement, avoir un quelconque lien avec l’industrie cinématographique – était la chose la plus éloignée de mon esprit », dira-t-il plus tard.
Né le 14 avril 1927, à Newark, dans le New-Jersey, il obtient un diplôme d’ingénieur à l’université de Seton Hall. Il intègre alors une chaîne de télévision locale, plutôt en charge des prises de son mais aussi de la réparation des caméras et de la direction technique. Puis il s’intéresse à une nouvelle technologie, la vidéo deux pouces en noir et blanc, mise au point par la société Ampex, dont on prédit déjà qu’elle va remplacer la pellicule !
Il en devient un spécialiste, engagé par une société commerciale new-yorkaise, nous sommes alors au milieu des années 1950. C’est progressivement qu’il se tourne définitivement vers la caméra, refaisant ses classes comme assistant avant de travailler régulièrement, durant les années 1960, comme cadreur au côté d’Arthur Ornitz, en pub comme en longs métrages, mais aussi de Michael Nebbia (Alice’s Restaurant, d’Arthur Penn, en 1969).
C’est cette même année qu’il est engagé comme couverture syndicale sur Husbands que doit photographier l’italien Aldo Tonti. Mais l’obstacle de la langue contraint rapidement Cassavetes à se séparer de Tonti pour confier la photographie à Kemper, ce qui marque le vrai démarrage de sa carrière comme chef opérateur.
On retiendra ensuite des collaborations extrêmement variées qui couvrent un large spectre du cinéma commercial américain. Citons d’abord Le Rivage oublié, d’Anthony Harvey (1971), une sympathique parodie de Skerlock Holmes, puis Votez McKay, de Michael Ritchie (1972), un film qui cherche à donner l’impression d’un reportage TV en filmant le personnage principal, candidat aux élections sénatoriales en Californie (Robert Redford), immergé dans des situations réelles, parmi la foule, dans les lieux publics et lors d’événements en direct : « Cela nous a obligés à improviser, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous sommes pas préparés avec soin », expliquait Kemper. « Nous savions que nous n’aurions qu’une seule chance de filmer, notre première prise devait être la bonne, car elle ne pouvait généralement pas être répétée. »
Victor J. Kemper enchaînera en 1975 avec Un après-midi de chien, qui reste sans doute le film le plus connu de sa filmographie, puis Le Flambeur, de Karel Reisz, Le Dernier Nabab, d’Elia Kazan, La Castagne, de George Roy Hill et Magic, de Richard Attenborough.
Durant les années 1980-90, la filmographie de Kemper regorge de comédies (familiales, dansantes ou policières) faiblardes et quasi réservées à un public américain. A côté de ces films, citons Nimitz, retour vers l’enfer, de Don Taylor, l’étrange Xanadu, de Robert Greenwald, avec Olivia Newton-John et Gene Kelly, le premier film de Tim Burton, Pee Wee’s Big Adventure, en 1985, mais aussi Beethoven, en 1992, énorme succès au box-office pour ce premier opus des aventures d’une famille américaine qui adopte un Saint-Bernard.
A lire sur le site Internet de l’ASC :
- "In Memoriam : Victor J. Kemper (1927-2023)" by Rachael Bosley
- "Victor J. Kemper, ASC : The American Society of Cinematographers salutes his exceptional career with its 1998 Lifetime Achievement Award", by Bob Fisher.