80e édition de la Mostra de Venise

Jonathan Ricquebourg, AFC, revient sur le tournage de "Casablanca", d’Adriano Valerio

"Fouad & Daniela", par François Reumont pour l’AFC

Contre-Champ AFC n°346

Entre documentaire et fiction, Casablanca, d’Adriano Valerio, dresse une cartographie des visages et des cultures entre Fouad, immigré marocain, et Daniela, une ex-toxico qui passent un bout de leur chemin ensemble. Ce film d’une heure est présenté le 7 septembre à Venise dans la section Venetian Nights. Jonathan Ricquebourg, AFC, partage les crédits d’image avec Diego Romero. Il revient sur les enjeux d’images et de narration de ce film pas comme les autres. (FR)

Fouad, fils de l’imam d’un quartier populaire de Casablanca, est en Italie, sans papiers depuis dix ans, en attente d’un traitement médical. Ancienne toxicomane, Daniela est issue d’une famille de la classe moyenne supérieure des Pouilles. Ils se rencontrent en Ombrie et tombent amoureux. Cependant, au fil des années, Fouad se lasse d’attendre des documents, épuisé par un environnement où il ne se sent pas à sa place. Retournera-t-il à Casablanca, quitte à ne jamais retourner en Italie ?

Parlez-moi du réalisateur, Adriano Valerio...

Jonathan Ricquebourg : C’est en 2015 que j’ai rencontré Adriano sur un film nommé Banat – Il viaggio. C’est un cinéaste très précis, qui travaille beaucoup les situations à l’échelle de la scène. Pour ce nouveau film, qui joue beaucoup sur la voix off et qu’on peut difficilement classer entre le documentaire et la fiction, l’idée est partie de Fouad, le personnage principal. Et c’est à partir de conversations avec lui que le script s’est peu à peu mis en place. Même si on reste dans cet esprit documentaire, avec ces interprètes issus de la réalité, il y a quand même un côté fiction à travers chaque scène et chaque direction très précise dans le dialogue que leur demande Adriano. Pour prendre un exemple dans le film, la scène du bowling, avec la prière effectuée par Fouad, est une mise en scène totalement recréée, ce dernier ne travaillant même plus dans ce lieu quand on a tourné... De même, cette histoire de retour au Maroc n’est pas exactement le trajet du personnage. Seule la relation ambiguë entre Fouad et Danila est, elle, bien réelle.

Au centre : le réalisateur Adriano Valerio
Au centre : le réalisateur Adriano Valerio


Parmi les plans très forts du film, il y a ces séquences au milieu du brouillard...

JR : Ça, c’est quelque chose à laquelle tenait particulièrement Adriano. Ce petit homme cabossé, ressemblant presque à un personnage de la commedia dell’arte, l’a fasciné. Le montrer au milieu de cet endroit paumé, dans un contexte hivernal et brumeux complètement à contre-emploi de ce que l’on imagine de l’Italie... C’était tout l’enjeu de ce déracinement au cœur du film. Et puis la lumière est une chose très importante pour Adriano. Certaines séquences nocturnes notamment sont autant pensées pour la lumière que pour ce qu’elles racontent. Je vais citer, par exemple, la séquence de l’arbre de Noël en tubes néons, ou celle du bar avec la petite lampe qui fait des effets de lumière... Là, on traduit à l’image le sentiment de solitude que traverse son personnage.

Vous partagez les crédits d’image avec Diego Romero...

JR : Le film a été tourné en 2019, et c’est Diego qui s’est d’abord occupé de la première partie du tournage (le Maroc essentiellement, ainsi que quelques scènes d’intérieur en Italie).
J’ai pris ensuite la relève pour des raisons de disponibilité, filmant la plus grande partie des scènes hivernales sur une dizaine de jours, plus un jour à Paris pour la courte séquence qui s’y déroule.
Adriano avait choisi de travailler avec Diego principalement en référence au Cœur battant, de Roberto Minervini, un film qu’il avait lui-même photographié en 2013. Un très beau travail où la caméra était toujours collée à la protagoniste, à son visage.



Comment se passe le travail sur le plateau ?

JR : C’est quelqu’un qui laisse beaucoup de liberté à l’opérateur. Certes, j’arrivais sur le projet après les premières sessions effectuées par Diego, mais je ne me suis jamais senti limité dans mon travail. Si je me souviens bien, ce dernier avait démarré le film en Alexa avec une seule optique (le 32 mm) et ce côté très dénudé me plaisait beaucoup. Surtout quand on tourne un film comme ça dans des conditions documentaire, se restreindre à une seule focale contrebalance les choses et donne tout de suite un côté fiction à l’image. Si en plus, comme Adriano, vous prenez soin au repérage, vous pouvez alors tirer le meilleur parti de chaque lieu en fonction des conditions de lumière et du créneau horaire que vous choisissez. Là, sur ce film, l’hiver était au centre de tout, avec ce brouillard, ce soleil bas, la buée... Autant de choses qui sont plus du niveau du ressenti que du narratif pur.
J’ai donc pris la suite en changeant juste de caméra pour des raisons de disponibilités (la Sony F55 en RAW) mais en gardant le 32 mm Zeiss Ultra Prime sur tous les plans. Seule nécessité dans ce cas de figure, c’est la présence d’un pointeur car on se retrouve toujours très près des comédiens, avec peu de profondeur et beaucoup de rushes ! On se retrouve sur le plateau à effectuer une sorte de chorégraphie avec les comédiens, très différent finalement de la tentation du zoom, plus classique en documentaire.


Une heure, c’est une durée assez inhabituelle pour un long métrage, non ?

JR : Je suis content que ce soit un film un peu court. Franchement, la plupart des films sont trop longs actuellement ! Je trouve que pour Casablanca, on est exactement dans le tempo pour ce qu’il a à raconter... Le film a passé pas mal de temps en montage, car c’est toujours très difficile de mettre la touche finale sur un projet aussi atypique. Il faut savoir doser exactement les éléments très graphiques (comme ces plans dans le brouillard ou ceux filmés au drone...) et éviter toute complaisance. Le fait que le style du film soit à la fin assez fragmentaire aide beaucoup à sa réussite. Ce côté syncopé choisi au montage empêche un peu le spectateur de s’installer dans une situation. Et c’est la force du film de ne jamais trop savoir qui est ce type, qu’est-ce qu’il fait en Italie, pourquoi il bosse dans ce bar, etc.

Et l’italien, vous maîtrisez ?

JR : Adriano parle couramment français. Ça facilite bien sûr énormément les choses, notamment en préparation. Moi j’arrive un peu à comprendre l’italien, mais la manière de parler de Fouad et même de Daniela est parfois très peu académique. Mais ce n’est pas grave... On réagit souvent au cadre à l’instinct sans pouvoir tout suivre.

(Entretien réalisé par François Reumont pour l’AFC)