L’éditorial de juin
Par Gilles Porte, président de l’AFCCombien de fois nous, directeurs et directrices de la photograhie de l ’AFC, nous interrogeons-nous, au sein d’une fiction ou à l’intérieur d’un documentaire, afin de savoir ce que l’on choisit de montrer ou pas… Je me souviens d’une scène dans le film Un condamné à mort s’est échappé, où Robert Bresson avait décidé de ne pas suivre avec sa caméra son personnage principal qui s’échappait d’une traction avant conduite par des soldats allemands, préférant laisser aux spectateurs l’image d’un siège arrière vide et les sons, hors-champ, d’une mitrailleuse…
Bien que la question de filmer ou pas certains gestes se pose pour des cinéastes, il serait souhaitable que des hommes et des femmes politiques ne répondent pas trop vite à cette interrogation à l’heure où un député vient de déposer un projet de loi[1] afin d’interdire à quiconque de diffuser la moindre image de violences policières.
Si la situation des États-Unis est sans commune mesure avec celle de la France, n’aurions-nous pas intérêt à nous arrêter un instant ? N’assistons-nous pas souvent à un racisme systémique, tous les jours, au sein de notre petit Hexagone ?
Si nous parlons très justement entre nous, à l’AFC, de « parité », ne serait-ce pas également temps de parler beaucoup plus de « diversité » dans un milieu qui en manque singulièrement ?
Avez-vous lu le livre-manifeste Noire n’est pas mon métier[2], sorti il y a tout juste deux ans, où Nadège, Mata, Maïmouna, Eye, Rachel, Aïssa, France, Sara, Marie-Philomène, Sabine, Firmine, Sonia, Magaajyia, Shirley, Assa et Karidja, seize actrices françaises de couleur, dénoncent des discriminations et des stéréotypes dont les femmes noires sont victimes dans le milieu du cinéma, du théâtre, de la télévision et dans le monde culturel en général ?
Si, à la fin du documentaire Le Procès contre Mandela et les autres[3], Nicolas Champeaux[4], Alexandra Strauss[5] et moi-même avons décidé de terminer le film sur le plan d’un vieil homme noir, de dos, qui regardait la télévision, ce n’était pas pour compter les marches du Capitole mais pour s’attarder sur les rides de la nuque d’Andrew Mlangueni (94 ans), dernier survivant d’un procès qui l’a conduit, avec "Nelson Mandela et les autres", plus d’un quart de siècle en prison.…
J’avais décidé de réduire la profondeur de champ du 50 mm qui était sur ma caméra. Nous étions le 20 janvier 2017… La nuit tombait à Johannesburg et un léger crachin accompagnait le nouveau président des Etats-Unis qui venait de poser une main sur la Bible en prononçant quelques mots devant la Cour suprême. Une fanfare militaire jouait… 21 coups de canons allaient être tirés…
Plus tard, Nicolas et moi avons demandé à Andrew son sentiment sur la cérémonie à laquelle nous venions d’assister ensemble, il nous avait répondu : « We did our job, young men… Now, it’s time for you to do it… »[6]
[2] Noire n’est pas mon métier
[3] Le Procès contre Mandela et les autres
[4] Nicolas Champeaux : co-réalisateur du film et correspondnant de RFI, 3 ans en Afrique du Sud
[5] Alexandra Strauss : monteuse du film et également du film I Am Not Your Negro, documentaire de Raoul Peck
[6] « Nous avons fait le boulot, jeunes gens, maintenant, c’est à vous de le faire. »
[7] Qui est Oerd, le dessinateur qui met des images sur la voix de Mandela ?