"Le milieu du cinéma entre inquiétude et satisfaction"

Par Alain Beuve-Méry et Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°239

Le Monde, 10 janvier 2014
Si une polémique peut déboucher sur une réforme en profondeur du financement du cinéma, alors ce sera une bonne chose… Tel était l’état d’esprit de nombreux professionnels du cinéma, mercredi 8 janvier, à l’occasion de la deuxième édition des Assises pour la diversité du cinéma français, qui se tenait au cinéma Le Balzac, à Paris. Devant une salle comble, René Bonnell y présentait son très attendu rapport, fruit de sept mois de travaux, sur " Le financement et la production cinématographique à l’heure du numérique ", complété par cinquante propositions concrètes.

Le cinéaste Michel Hazanavicius a fait partie de la trentaine d’experts qui ont suivi ces travaux. Le réalisateur du film plusieurs fois primé The Artist (2011) se dit « très content » du résultat : « Après le rapport de Pierre Lescure, en mai 2013, le rapport Bonnell propose une analyse remarquable du secteur. On a désormais deux outils. Ces derniers temps, la profession avait le sentiment qu’elle n’arrivait pas à se réformer. A présent, la montagne paraît accessible. Il faut saluer le volontarisme d’Aurélie Filippetti, la ministre de la culture, qui a initié ce travail de fond », dit-il.
Il évacue, en revanche, la question du cachet des comédiens : « Cela me désespère. On devrait laisser le sujet aux journaux people ! En revanche, il faut renforcer la transparence de la remontée des recettes, lors de l’exploitation d’un film. Faute de quoi, les comédiens et les réalisateurs ont parfois tendance à se prémunir en se payant sur le financement du film. D’où l’alourdissement des budgets », résume-t-il.

Autre expert, le directeur du cinéma du groupe Canal+, Manuel Alduy, a un avis plus mitigé. Du fait de la concurrence entre les diffuseurs, Canal+ s’inquiète de l’une des propositions du rapport visant à rendre les films disponibles plus rapidement en vidéo à la demande – dix-huit mois contre trente-six actuellement. Par ailleurs, Manuel Alduy s’étonne que « certaines propositions concernant la chaîne cryptée n’aient pas été discutées avec les intéressés. Bonnell dit : “Canal pourrait faire ci, pourrait faire ça…” Je réponds : Canal+ verra le moment venu ! »

Une autre piste du rapport Bonnell, prévoyant que certains films " ragiles " pourraient faire l’objet d’une exploitation directe en vidéo, fait bondir le Syndicat des producteurs indépendants. « C’est juste inacceptable », tranche sa déléguée générale, Juliette Prissard.

Lors de son discours de clôture, Aurélie Filippetti a déclaré que le rapport Bonnell ne resterait pas dans un tiroir. La commande avait été passée à ce spécialiste du secteur il y a un an, après la querelle déclenchée par la tribune de Vincent Maraval (Le Monde du 28 daté 29 décembre 2012). Le producteur et distributeur de Wild Bunch y dénonçait les cachets exorbitants des comédiens et réalisateurs stars au regard des résultats décevants de leurs films en salles.
Aurélie Filippetti a ainsi demandé au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) d’engager « immédiatement », avec la profession, des travaux complémentaires, notamment sur « la chronologie des médias ».

Elle a repris à son compte l’une des propositions du rapport visant à encadrer les budgets, et notamment les cachets des comédiens : René Bonnell appelle à l’autorégulation de la profession, faute de quoi des mesures contraignantes pourraient être prises.
Le communiqué du ministère de la culture ne dit pas autre chose : il s’agit de « limiter l’inflation, s’il le faut en conditionnant à la maîtrise des coûts certains soutiens ou investissements ».

Enfin, la ministre a retenu deux autres axes : le premier doit permettre d’assurer la diversité de la production ; le second a pour but de lutter contre l’inquiétant turnover des films en salles (beaucoup ne restent à l’affiche qu’une seule semaine), en n’excluant pas « un renforcement des engagements de programmation » des exploitants.

(Alain Beuve-Méry et Clarisse Fabre, Le Monde, vendredi 10 janvier 2014)