Paris, 15 août 2010...

par Gilles Porte, directeur de la photo du film "La Conquête" de Xavier Durringer, produit par Mandarin Cinéma

by Gilles Porte AFC newsletter n°201

Cela fait plusieurs années que je m’interroge sur les motivations qui poussent les décideurs des télévisions hertziennes à financer telle ou telle œuvre cinématographique.
Combien de fois les ai-je entendu parler d’audace devant des réalisateurs en souhaitant voir débarquer sur leurs bureaux respectifs des propositions nouvelles !

A l’heure où je m’interroge sur la manière d’éclairer un lieu que la production demande aux techniciens et aux comédiens de tenir secret en raison du sujet du film dont je suis actuellement directeur de la photographie, je me dis que si France 2, France 3 ou TF1 était entré dans le financement de ce film, alors notre chef décorateur aurait probablement reconstitué Matignon, Beauvau et l’Elysée en studio et non pas dans ce magnifique établissement qui nous héberge.
Alors sans doute aurais-je eu droit d’imaginer des plafonds techniques qui me sont légitimement refusés aujourd’hui en raison des tapisseries et dorures qui couvrent les murs des différentes pièces qui sont mises à notre disposition dans cet établissement dont je n’ai pas le droit de vous révéler l’identité...

Voilà une occasion, si tant est que nous en ayons besoin, pour constater combien les décisions de quelques bureaucrates influencent finalement parfois la photographie de certains films...
Persuadé cependant qu’une lumière contraste laissant quelques zones d’ombres dans les images était plus opportune pour ce film, je n’ai pas opté pour des boules à hélium qui avaient pourtant permis un jour à un autre directeur de la photographie d’éclairer les salons de Versailles sans risquer de toucher des murs ou des plafonds...

Cela ne m’a été possible que grâce à la virtuosité de mon chef électricien Philippe Porte et l’ingéniosité de mon chef machiniste Simon Magiolo ainsi que des techniciens qui les accompagnent.
Grâce à leurs tours de passe-passe pour glisser un projecteur " en contre " entre deux dorures, Denis Podalydès et Bernard Le Coq ont pu entrer dans la peau d’un président et d’un ex-président en toute liberté d’une part et, d’autre part, l’image de notre Elysée ne ressemblera pas trop à celle de Versailles, même si un autre exercice aurait pu consister à souligner les similitudes entre ces deux lieux et ceux qui les ont occupés...

Là où finalement nous assistons à la mise en place du fameux " principe de précaution " par des décideurs de chaînes de télévisions hertziennes (mais aussi par des grandes marques qui refusent de mettre à la disposition de notre accessoiriste des objets de luxe en raison du sujet de notre film) n’était-il pas intéressant de louer la " prise de risques " de machinistes et d’électriciens qui nous permettent, à nous directeurs de la photographie, de proposer les images que nous avons entrevues sur le papier ?

Ironie de l’histoire...
A l’heure où toute une équipe de tournage s’apprête à quitter les couloirs d’un Elysée situé sur la rive gauche de la Seine, j’apprends aujourd’hui même, dans le très sérieux journal Le Monde, que le nouveau président de France Télévision prend ses fonctions dans une semaine, en plein courant du mois d’août...
Que faut-il lui souhaiter ? De l’audace et de l’ambition ou un résultat aux prochaines élections présidentielles conforme à son souhait afin que la descente de son piédestal soit plus légère ?