Supplique pour le départ d’un ami
Yann, tu fus pour moi un exemple, pas comme un père plutôt comme un frère ainé, avec lequel les rapports sont souvent conflictuels mais empreints de tendresse. Ta maîtrise du cadre à l’image en caméra portée et ton engagement politique après ta période forcée de soldat d’élite dans la guerre d’Algérie, puis ta participation à la formation des militants du FLN, ont fait de toi une image d’un être solaire, révolté, discipliné et pourtant réfractaire. Tu étais terriblement doctrinaire, sectaire, stalinien, puis maoïste, et pourtant l’anarchiste un peu poète que j’étais trouvait auprès de toi cette fraternité d’arme, j’allais dire, mais disons plutôt de métier, rare à l’époque et plus rare encore aujourd’hui.
Sur Grand Prix, nous avons vécu seuls sur les pistes : équipe spéciale dévolue à Frankenheimer, dans un rapport symbiotique exaltant l’assistant que j’étais au service de l’homme grue, caméra Panavision 65 mm à l’épaule, en courte focale ou le 1 000 mm sur tête Mitchell, décidant ensemble des emplacements de la caméra et de ce que nous voulions faire.
Nous avons vécu l’histoire politique décalée de notre différence d’âge un peu comme une répétition : en 1967, j’ai fait pour le parti communiste réunionnais Réunion 67 quand tu faisais, en 1963, Sucre amer contre l’élection de Michel Debré, champion du trucage des listes électorales et du bourrage des urnes sous l’œil bienveillant des CRS aveugles et sourds sur commande.
Nos engagements parallèles et parfois divergents ont fait que tu encensais Fidel Castro quand je tournais pour la guérilla au Venezuela et que Douglas Bravo s’éloignait de Fidel après la mort du Che en Bolivie.
Nos routes se sont croisées maintes fois dans le temps et dans les lieux de tournages ou de fêtes, et de tournages de fêtes et autres circonstances ; mais aujourd’hui, j’ai trop à dire et souffrir de ton départ dans le vent. Ami, que nous reste-t-il en partage aujourd’hui, si ce n’est, camarade : Hasta la victoria siempre !