Claude Ruellan et le bras du Teppaz

par Jean-Noël Ferragut

Sur les plateaux de cinéma, lorsqu’un film se termine et que la caméra s’arrête de tourner pour la dernière fois, le directeur de la photo et toute son équipe sont toujours un peu tristes.

Lorsqu’un proche collaborateur s’éteint, c’est un peu de la mémoire et du savoir-faire collectifs qui disparaissent avec lui.

Comme beaucoup d’entre nous, j’ai eu cette chance de côtoyer Claude Ruellan, rue Saint-Maur et surtout aux plus belles heures de la rue Jean-Moulin à Vincennes, lorsqu’il réglait, au quart de cheveu près, cotes, mouvements et presseurs pour que fonctionnent, tels des horloges helvètes, les mécanismes des appareils que nous emportions avec nous sur l’aventure de nos tournages.

Claude, sache que je garderai toujours en bonne place dans le magasin de mes souvenirs ton visage rayonnant d’ouvrier amoureux des belles mécaniques, toi qui ne t’es jamais lassé de nous les bichonner, blouse grise ceinturée à la taille et cigarette aux lèvres, entre tes doigts experts. Mais surtout cette profonde humanité dont tu n’as cessé de faire preuve, cette extrême gentillesse, cette même générosité mêlée d’une égale bonne humeur, qu’un malheureux assistant t’apporte à vérifier l’objet de ses tracas ou qu’un célèbre confrère te donne à réparer le bras de son Teppaz ! Autres temps...

Ces qualités, on te doit de les avoir transmises aux générations qui ont travaillé avec toi. Comme celle, par exemple, de ne pas considérer en premier lieu l’assistant qui vient t’importuner comme un technicien uniquement soucieux du parfait état de son matériel mais avant tout comme un être humain.

Alors, cher Cloclo (si tu veux bien me permettre une dernière fois cette familiarité), dès que tu auras pris tes aises dans ton nouvel atelier, n’oublie pas, une fois la dernière petite vis serrée et l’ultime pointe de graisse déposée, d’affiner le réglage, afin qu’il tourne à une cadence un peu plus raisonnée, du grand Teppaz universel et de son régulateur de vitesse.

Nos pensées les plus chaleureuses vont à Jean-Claude, ton fils, à sa famille ainsi qu’à ses proches.