Follia

Follia raconte l’histoire d’un réalisateur perdu dans sa fiction. Cette aventure de tournage renoue avec une manière de fabriquer les films qui date de la nouvelle vague et dont je suis peut-être nostalgique. Une époque où un producteur pouvait lancer un tournage avec son propre argent, sur trois lignes de scénario. Une époque où l’invention de pellicules sensibles, conjuguée à l’invention de caméras légères, a créé un langage cinématographique dont nous sommes encore les héritiers.

Aujourd’hui, l’invention de matériels incroyablement performants et mobiles, tout en étant accessibles, permettent à des films comme Follia d’exister, pour peu qu’on les utilise à bon escient.
Charles m’a contacté seulement un mois avant le début du tournage, en me présentant son film comme une “romance dramatique, portée par un certain souffle de folie, autour d’une villa antique, aux pieds de l’Etna, avec des acteurs français, italiens, russes, chinois... le tout, filmé en trois semaines”.

Pas mal de conditions semblaient réunies pour donner envie de fuir.
C’était un film fauché, en grande partie auto-produit (le reste des fonds venait de Chine).
Et comme souvent dans ces cas-là, les envies de Charles étaient incompatibles avec ses moyens.

L’apparente naïveté avec laquelle il abordait les problèmes de mise en scène (et de production) me rappelait trop l’inconscience des projets sur lesquels j’ai pu faire mes premières armes. Avec leurs lots de journées de travail qui se finissent en nuits blanches, d’organisations ubuesques, de dispositifs dangereux, de rapports humains toxiques.
Son envie de trouver des combines pour louer du matériel professionnel et faire comme les “vrais réalisateurs” (comme si accoler au projet le nom d’une caméra en vogue pouvait avoir une influence sur la qualité du film) semblait sonner comme un aveu d’incompétence.
Avais-je vraiment envie de me retrouver dans un remake de Ça tourne à Manhattan, mais en Sicile et pour de vrai ?
J’ai refusé, prétextant mon manque de disponibilité.

J’ajoutais quand même à mon refus un e-mail, dans lequel je lui donnais quelques conseils qui allaient à l’opposé de ce que je le voyais faire. Je lui suggérais entre autres d’acheter une caméra grand public plutôt que de louer du matériel professionnel, quitte à tout revendre après sur Leboncoin.
Charles m’a répondu dans la minute, en acceptant toutes mes suggestions.

Cette rapidité de décision, cette faculté à changer radicalement sa manière de faire m’ont immédiatement séduit. J’ai senti qu’on allait pouvoir travailler ensemble.
Deux jours après, je me retrouvais au pied de l’Etna à repérer les décors d’un film qui se révèlera l’une de mes plus belles expériences de tournage.

Luc Pagès, selfie sur fond d'équipe du tournage de "Follia"
Luc Pagès, selfie sur fond d’équipe du tournage de "Follia"

L’aventure de Follia illustre bien à quel point, sous certaines conditions, la ténacité et la candeur peuvent faire bon ménage pour créer un film singulier. Cela, grâce à la personnalité de son réalisateur qui, malgré ses maladresses (souvent dans le champ sans s’en rendre compte), malgré quelques lacunes (la règle des 180 ?), savait faire preuve d’écoute, de bienveillance, de fulgurances surtout.

Avec lui, je devais constamment rester sur le qui vive, car parmi ses demandes qui pouvaient paraître incongrues, certaines se révélaient incroyablement justes. J’avais l’impression d’être dans un film de Jacques Tati où M. Hulot faisait son propre cinéma, mais avec Antonioni en tête.
Je ne savais jamais si je tournais avec Ed Wood ou Godard.
Les deux probablement.

Sur le tournage, les divergences entre Charles et son interprète principal ont profondément modifié le projet original. Le scénario devenant comme une matière organique, évoluant au fur et à mesure de leurs difficultés à se comprendre, créant des tiroirs, des mises en abîme, d’une manière assez jouissive.

Et le spectateur dans tout ça, comment allait-il s’y retrouver ?
Les montages se sont succédé. Les années ont passé. Aucune projection de travail ne faisait l’unanimité. Jusqu’à ce qu’une version sorte finalement du lot.

Le film était enfin mixé, étalonné et le DCP fabriqué.
Charles sentait toujours confusément qu’il n’était pas abouti.
Je lui ai suggéré de repartir en Sicile avec une micro équipe. Rajouter encore un tiroir à cette histoire ferait peut-être la différence.
Charles a vidé ses poches pour payer les billets d’avion et on est reparti.
C’est ce qui lui a permis de remettre l’ouvrage sur l’établi, de remonter le film.
De comprendre enfin quel était son vrai plan de fin.
Et de le tourner… dans un coin de son appartement à Paris.

Équipe

Equipe image polyvalente : Pauline Sicard et Manon Blanc

Technique

Location matériel : Cineloc
- Caméra : Blackmagic BMPCC 4K
- Optiques : Samyang Xeen - 16 mm T2,6 et 24, 35, 50, 85 mm T1,5 (+ bague EF-Micro4/3)
- Pour le retournage, remplacement de la série Samyang par un zoom Olympus 12-40 mm F2,8 M. Zuiko ED
- Filtre : Digital Diffusion FX1 (Tiffen)
- Machinerie : stabilisateur Ronin S
- Lumière : 6x LED panel de 40 W sur batterie (Neewer 660 Bicolore)
- Drones : Phantom 3 Pro - Mavic Air 1
Postproduction : M141
Etalonnage : Yov Moor

synopsis

A la suite d’un accident sur un tournage, un réalisateur tente de recoller les morceaux de la réalité. Peu à peu, il apparaît que le film n’a pas forcément eu lieu, et que son seul sujet est qu’il revient perpétuellement vers son amour perdu.