« Philippe, est-ce que tu penses que l’on peut aller plus loin ? » Cette phrase, je l’ai entendue très souvent au cours des six années pendant lesquelles j’ai travaillé sur Océans avec Jacques Perrin. J’étais superviseur technique et l’un des 24 directeurs de la photo de ce film.
Comédien puis producteur et réalisateur engagé, le parcours de Jacques Perrin n’emprunte pas les sentiers habituels d’une “carrière” cinématographique. Enfant de la balle, il a cependant tracé une voie originale et exigeante, affronté avec audace et ténacité les difficultés et les paris les plus improbables, se reconnaissant pour seul talent, celui de « savoir réunir des gens qui en possédaient. » Les personnes qui auront participé à ses films retiendront de lui, entre autres qualités, sa bienveillance, son courage, son obstination, sa confiance et son respect envers elles.
Comme beaucoup d’entre nous, la disparition de Jacques Perrin m’a beaucoup affecté. Il est de ces êtres qu’on croit immortels tellement ils remplissent votre paysage et qui vous montrent le chemin à suivre. Mon chemin, il m’a aidé à le tracer, au début, sur Le Peuple migrateur.
On a tous et toutes un parrain ou une bonne fée qui nous a permis de rentrer dans le milieu très fermé du Cinéma. La rencontre avec Jacques Perrin a été décisive pour moi et en a entraîné beaucoup d’autres. Il cherchait un assistant caméra pour accompagner Luciano Tovoli sur le premier et unique film de Marc Grünbaum qu’il produisait, L’Adoption. On était en 1979, j’allais enfin travailler sur un long métrage ambitieux avec un chef opérateur talentueux.
Lors du tournage du film Le Peuple migrateur, cherchant désespérément la bonne solution pour filmer le vol particulier des cigognes, de grandes circonvolutions à travers les courant thermiques, j’avais suggéré d’utiliser une caméra Aaton A-Minima 16 mm, pour rendre plus aisé le travail de l’opérateur accroché à la nacelle d’un paramoteur. La réponse de Jacques Perrin avait été tranchante : « Dominique, nous tournons un film de cinéma en 35 mm ».
Jacques, tu as rejoint ton complice et notre ami Luc Drion, qui avait pris bien trop d’avance, et je suis sûr que tous les deux, vous allez discuter à bâtons rompus en nous regardant nous agiter dans ces temps difficiles pour le cinéma, pour la politique, pour l’avenir de la planète Terre.
Jacques, Trente-cinq années d’échanges ont du mal à se résumer en quelques lignes. Ce que je sais, c’est que tu avais une relation particulière avec chacun de nous, c’était ta force. Tu as pu soulever une armée de cinéastes pour partir à la conquête de tes folies, nous faire croire que rien d’autre n’avait plus d’importance que le cinéma et que seule la poésie donnait du sens à la vie.
À la suite du décès de Jacques Perrin, plusieurs témoignages nous sont parvenus afin d’honnorer sa mémoire. Outre des textes de directeurs de la photo de l’AFC* ayant travaillé avec lui, voici ceux de collaborateurs ayant participé au tournage de plusieurs de ses films, Alexander Bugel, Laurent Charbonnier, Christian Guillon, Martine Todisco et Philippe Barbeau.
Jacques Perrin a été élu membre de l’Académie des beaux-arts le 7 décembre 2016 dans la section des Créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel au fauteuil précédemment occupé par Francis Girod. Il a officiellement été installé à l’Académie des beaux-arts par son confrère Jean-Jacques Annaud, membre de la même section. Juste après avoir été reçu, alors qu’il était en préparation du film The Photographer, coréalisé avec Thierry Machado, AFC, Jacques Perrin écrivait un texte livrant ses impressions et réflexions sur la lumière, texte publié sur le site Internet de l’Académie. Jacques Perrin, « une lumineuse personne qui vient de s’éteindre ».