A propos du film " Le Couperet " de Costa Gavras
par Christian Guillon de L’ESTLe contraste entre les deux films était alors particulièrement saisissant, le budget du deuxième représentant peut-être le dixième de celui du premier.
Plus tard, nous alternerons également les présentations de trucages aux deux salles de montage. Là aussi, la confrontation était frappante. Je me souviens m’être fait la remarque que le cinéma français était riche d’une diversité incroyable, et que nous avions de la chance de pouvoir travailler sur des films aussi différents.
Sur le tournage du Couperet, caméra à l’épaule, avec un seul électro, Patrick Blossier est là, au centre du dispositif de Costa Gavras. Tous deux ont plus qu’une complicité. La mise en scène est précise, efficace, rapide. L’économie de moyens est assumée et maîtrisée. L’équipe " commando " est rodée et silencieuse.
Par la suite, le montage image sera structuré en quelques jours. La base narrative du film a été construite en amont, à l’écriture, et le temps de montage est consacré aux améliorations et peaufinages.
Il y a, entre autres trucages, des " matte-paintings ", dont certains extérieurs à créer en " découverte fenêtre ". On sait combien ces effets sont délicats et fragiles. J’ai longtemps pensé que le dioptre qui sépare les deux univers (l’intérieur de la pièce, en général tourné en studio, et l’extérieur, qui fait l’objet du trucage), constituait un atout pour la réussite du trucage : il justifierait une différence de nature de lumière, de contraste, de saturation, de teinte, etc. Maintenant je me demande si ce n’est pas le contraire, s’il n’a pas été plus simple de réussir un " matte " noyé dans la prise de vues réelle, car on dispose d’outils de plus en plus précis de manipulation des paramètres de l’image. Par contre, lorsqu’il s’agit de faire cohabiter deux univers lumineux, un extérieur et un intérieur, la marge d’interprétation est telle qu’il s’agit désormais plus d’une décision de direction artistique. A ce titre, la manipulation des images devient sujette aux influences de trop d’intervenants, à finir par l’étalonneur, qui désormais numérique, reçoit les images en dernier avec encore un fort pouvoir sur elles, et la tentation d’en faire une interprétation personnelle, sans prendre en compte l’historique (et parfois l’histogramme) de l’image.
Des choix liés à la narration peuvent nous amener dans certains cas à délibérément mettre de côté une crédibilité purement technique (géométrique ou photométrique par exemple) d’un trucage. Je me souviens qu’un " matte-painting " d’un précédent film avait choqué certains de mes amis (alors qu’ils n’avaient détecté aucun des autres mattes dans le film), à cause d’une saturation assumée, destinée délibérément à donner au plan un sens précis et particulier.
Je crois qu’il en va ainsi pour nos collègues de l’image, de la déco, et de tous les autres postes d’un film, lorsque les partis pris sont forts.
Costa sait toujours ce qui lui importe avant tout dans un plan : le sens produit par l’image.
Quand j’étais à l’école (de Vaugirard), on avait le droit d’aimer l’image, à condition de toujours préciser qu’elle était " au service du sens ". Il fallait avant toute chose faire cette allégeance à la filiation littéraire du cinématographe, ensuite seulement pouvait-on s’occuper de la forme, de ce qui nous intéressait. Il y avait pourtant déjà des films qui nous apprenaient que l’image est productrice de sens. Costa cultive cette science-là depuis toujours, et sait particulièrement bien utiliser la force émotionnelle propre des images. Il va toujours droit à l’essentiel. Pour ce film, il s’est servi des conditions de tournage induites par un budget modeste comme d’une arme pour donner au film efficacité, vitalité, et vivacité. Il faut le suivre dans cette énergie et ne pas tergiverser.
Le Couperet est le quatrième film que nous faisons, François Vagnon et moi, avec Costa Gavras et Michèle Ray, qui produit et dirige KG Productions. Cela devrait me sembler plus facile chaque fois, car nous nous connaissons mieux et nous nous entendons bien. D’autant que nous avons aussi partagé des aventures précédentes avec Patrick Blossier, Yannick Kergoat ou Yvon Crenn, tous immenses professionnels. Il me semble toutefois que cette fois plus encore que les autres tout doit être parfait, car le film, formidable, sur un fil, en équilibre constant et féroce entre le film noir, la comédie, et la critique sociale, ne supporterait pas l’imprécision et nous voulons rester fiers d’y avoir contribué, même modestement.
On peut s’étonner que le financement d’un film de Costa soit difficile, après tout ce qu’il a fait. Mais c’est peut-être qu’il ne reconduira pas les thèmes qui, à l’époque de Z ou de L’Aveu, faisaient peur à tout le monde, et que tout le monde voudrait maintenant avoir produits. Il prend le spectateur là où on ne l’attendait pas, une fois de plus.