Festival de Cannes 2024

Balthazar Lab nous explique ses choix pour "September Says", d’Ariane Labed

Par Lucie Baudinaud, AFC

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Diplômé de La Fémis en 2015, Balthazar Lab a travaillé sur de nombreux clips, spots publicitaires et courts métrages. En 2022, il a signé la photographie de La Jauria, de Andrés Ramírez Pulido (récompensé du Grand Prix de la Semaine de la critique en 2022). Il est présent à Cannes cette année dans la sélection Un Certain Regard avec September Says, le premier fim d’Ariane Labed.

July fait face à la cruauté du lycée grâce à la protection de sa sœur ainée September. Sheela, leur mère, s’inquiète lorsque September est renvoyée et July en profite pour affirmer son indépendance. Après un événement mystérieux, elles se réfugient toutes les trois dans une maison de campagne, mais tout a changé…

Comment aborder le projet ?

Balthazar Lab : Le premier élément donné était qu’on allait tourner en pellicule. C’était négocié à l’origine du projet entre Ariane Labed, la réalisatrice et ses producteurs et productrices. Ils et elles ont tenu parole !
Ensuite, il y a l’approche d’Ariane que je connaissais pour avoir déjà tourné un court métrage (Olla, sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, en 2019) avec elle : toujours mettre les acteurs et actrices au centre, faire confiance aux décors, aux costumes, avoir l’approche la plus minimale possible en lumière. Pourtant September Says est un film de genre, mais il fallait que ça vienne de la substance même, plus que des effets.
Les références à des films ne sont jamais un point de départ pour Ariane. On a commencé à partir de références photographiques principalement : Justin Kurdland, Janka Piotrovska… Même si très vite ces références sont mises de côté, il reste un côté "plein" à l’image, qui vient de cette école photographique : essayer de favoriser une profondeur de champ importante, favoriser des valeurs larges, des mouvements d’appareils lents…
Ça met le spectateur dans une position active, idéal pour le film sur lequel plane un mystère.

Deux formats ?

BL : Le script fonctionne autour d’un trou noir, d’un mystère, qui fracture le film en deux parties et qui va bouleverser la vie des personnages. Se posait la question de comment « ouvrir l’enquête » avec le spectateur, comment lui donner visuellement l’idée de changer son regard sur la deuxième partie de l’histoire. C’est là dessus que repose l’idée du changement de format. Une manière de dire visuellement au spectateur : « quelque chose à changer ».
Le mystère bouleverse aussi profondément le rapport entre nos trois personnages principaux. La première partie montre une famille plutôt fusionnelle, après l’événement mystérieux, les choses sont bouleversées et une distance s’installe entre les personnages. Ça fonctionnait bien avec l’arrivée du format Scope : soudainement de l’espace et de la distance apparait. Ça devient un plaisir de mettre les deux sœurs de part et d’autre du cadre avec ce grand vide au milieu. La distance, voire la confrontation entre les personnages devient sensible à l’image.

Ariane Labeb et Balthazar Lab
Ariane Labeb et Balthazar Lab


Tourner en pellicule en 2024

BL : On avait pensé faire le film intégralement en 16 mm, en passant en 16 mm anamorphique sur la deuxième partie. Malheureusement la production n’a pas réussi à conclure une négociation acceptable avec le loueur.
On a eu la chance de tester différentes options assez en amont du tournage. C’est tellement important ! Ce travail est parfois négligé. Ce fut aussi l’occasion de tester les différents scanners que nous offrait Digital Orchard, le partenaire de Kodak London. Les différences étaient vraiment sensible et je crois que c’est un sujet sur lequel on devrait se plonger encore un peu plus profondément…
Tailler un ratio 2,39 dans le Super 16 n’était vraiment pas une option viable pour moi, car ça aurait épaissi la matière sur la deuxième partie alors que j’avais l’intuition qu’une forme de clarté devait donner envie au spectateur de se plonger dans l’image pour enquêter sur le mystère du film.
L’option idéale était donc le 35 mm 2 perforations : éclaircir la matière, garder le côté "transparent" des optiques sphériques, tout en restant dans un certain réalisme budgétaire… J’ai longtemps cru que la production ne nous suivrait pas là-dessus, mais en dehors du 16 mm anamorphique je n’avais pas de proposition alternative. Ils ont vu les essais, ils ont compris la vision et ils ont dit oui !
De là, le 16 mm et le 35 mm 2 perforations étaient vraiment des support de choix, car ils favorisent une profondeur de champ importante, le bon dosage de la matière, des temps de tournage par magasin acceptable… Au final, tourner en film, en mélangeant 16 et 35 mm était une vraie joie. Toujours ce sentiment avec la pellicule que le médium travaille pour nous, que ce n’est pas à nous de travailler le medium pour le rendre intéressant.
Ça se justifiait spécialement ici où la matière film allait vraiment à 100 % dans la direction artistique choisie.

Trois formats ?

BL : Oui ! Plus tard dans le film arrive la "révélation", une séquence où le mystère se dévoile. On avait l’intuition que ce moment devait être très spécial ; sortir de la temporalité cinématographique habituelle.
L’idée de photos avec de longs temps de pose est venue mais ça provoquait une vraie tension : traiter l’ensemble de la séquence comme ça c’était prendre un risque narratif. De plus la complexité de la séquence et le temps de tournage du film ne laissaient pas de place à l’expérimentation. J’ai proposé qu’on fasse les deux !
On a mis en place un Rig-3D avec en lieu et place des deux caméras numériques, l’Arricam LT d’un côté et un Canon EOS-3 de l’autre pour pouvoir prendre les photos avec le temps de pose qu’on souhaitait. Ariane, la réalisatrice, avait un déclencheur à distance et pouvait prendre les photos quand elle le voulait depuis le combo.
Au final le montage mélange les photos de l’EOS-3 et les image en mouvement de l’Arricam LT. On a donc trois formats dans le film : 16 mm, 35 mm 2 perforations et le 35 mm 8 perforations des photos.

Optiques ?

BL : Comme évoqué plus tôt l’idée était d’éviter trop d’effets, de pouvoir travailler finement avec les décors et la distances aux acteurs et actrices, et de pouvoir travailler avec très peu de lumière. J’ai donc pris les séries : Ultra 16 et Master Primes, c’était aussi les séries qui offraient le plus d’options de focales intermédiaires, ce qui est important en 2 perfs, où on se retrouve assez vite sur des focales relativement courtes, où beaucoup de série ont des "trous". Le 12 mm Master Prime, une focale relativement rare, fut vraiment une optique de choix pour les plans larges.
Associés avec des Angénieux Optimo, le 15-40 mm et le 24-290 mm pour deux plans "spéciaux" on avait au final un ensemble vraiment cohérent et parfait pour le film.

Balthazar Lab
Balthazar Lab


Lumière ?

BL : L’idée était de mettre en place un dispositif minimal et de s’appuyer sur la qualité de la pellicule. La manière dont ce support absorbe et restitue les couleurs est toujours magique. Le gain de temps que ça produit en étalonnage est vraiment appréciable face à des workflows où l’on passe beaucoup de temps à chercher une texture et une identité à un support numérique.
C’est probablement le plus petit pack lumière que j’ai fait pour un long métrage. On sous estime beaucoup ce que permet de la 500T avec des Master Primes ! La séquence de feu sur la plage est par exemple intégralement faite avec la lumière du feu… On avait des rampes à gaz mais à part ça, pas un projecteur ! Ça a fait bizarre à l’équipe lumière ! J’aime beaucoup ce que ça produit : du naturel et une focalisation sur les personnages. Un noir épais les entoure et je retrouve la sensation et les souvenirs de moments similaires. Seule une lampe torche fend la nuit et nous fait découvrir les rochers et les vagues.
De la même manière il y a quelques séquences avec des écrans qu’on a filmées en utilisant uniquement la lumière qu’ils produisent. C’est tout à fait possible avec les émulsions et les optiques modernes. Il faut seulement avoir confiance dans le support, ça apporte beaucoup en simplicité et en fluidité sur le plateau. Tim Fletcher, le gaffer, m’a vraiment suivi là-dessus et c’était d’une grande aide de pouvoir complètement réduire notre dispositif lumière sur une grande part du film et afin d’avoir plus de moyen sur les séquences les plus critiques. Je dois dire que le soutient voire l’incitation de la réalisatrice d’aller dans cette direction était essentiel au fonctionnement de ce dispositif.

Machinerie ?

BL : On savait qu’on ne voulait pas d’épaule sur ce film et on voulait des cadres simples avec des mouvements d’appareil signifiant et clair. J’aime beaucoup combiner dolly et une tête stabilisée, ce qui permet souvent de faire des travelings ou des mouvements complexes avec une grande simplicité de dispositif. Ce fut relativement simple à mettre en place avec la 416, mon Ronin 2 fait très bien l’affaire, mais on a eu beaucoup plus de mal à trouver la solution avec l’Arricam. Le retour HD encombrant nous empêchait de la mettre sur la SRH3, l’option disponible en Irlande. Les autres options étaient vraiment trop encombrantes ou dispendieuses. On s’est rabattu sur une Talon Head, qui nous a vraiment sauvés sur certaines séquences notamment dans la microscopique salle de bain de la maison principale.

(Propos recueillis par Lucie Baudinaud pour l’AFC)