Camerimage 2022, retour sur le voyage de 4e année à La Fémis

Par Antoine Pirotte, étudiant en Image à La Fémis
A l’occasion de la présence, au 30e Camerimage, d’étudiants de La Fémis, l’AFC leur a proposé de contribuer d’une manière ou d’une autre aux articles publiés sur le site. Antoine Pirotte, étudiant en 4e année au département Image de La Fémis, propose de partager, dans la contribution ci-après, une conclusion du journal qu’il a tenu durant le festival.

Depuis plusieurs années, Angénieux permet aux étudiants Image de La Fémis de participer au festival Camerimage qui a lieu au mois de novembre à Toruń, en Pologne. Dans le texte qui suit, Antoine Pirotte, étudiant en 4e année au département Image de La Fémis, revient sur cette 30e édition du festival.

Peu de temps après être rentré de Toruń, où j’ai vécu ma première expérience de festival de Camerimage, j’écris ce texte comme pour conclure le journal tenu durant cette semaine.
Avec le recul, un lien s’établit maintenant dans mon esprit et me permet de réunir toutes les projections, rencontres, workshops pour les réfléchir depuis le métier de chef ou cheffe opérateur ou opératrice.
Ce qui m’a frappé lors de chaque évènement de cette semaine de Camerimage, c’est de voir qu’il est d’une manière ou d’un autre toujours question du soin. Chaque film ou évènement ouvrant sur une question différente de cette notion, c’est ainsi que je souhaite me souvenir de ce festival.
Je repense à la découverte des films Under Snow, Ticket of no Return et Paris Calligrammes, réalisés par Ulrike Ottinger, invitée d’honneur du festival qui a récompensé son œuvre par le prix "Avant-Garde Achievements in Film Award". Photographe, peintre et cinéaste, je ne connaissais pas du tout son travail et la découverte de ces films est un émerveillement. Qu’elle filme dans la province d’Echigo au Japon, à Berlin ou à Paris via des archives, Ulrike Ottinger porte un soin éblouissant à suivre les transformations vivantes des lieux, des êtres, de l’Histoire. Son œil de photographe est sur la composition des cadres d’une justesse imprenable. Il s’agit à mes yeux de l’exemple idéal à voir lorsque l’on est étudiant en cinéma : tous les modèles connus sont remis en question, les genres et régimes d’images se mélangent et se métissent, l’organisation des équipes de tournage et les manières de fabriquer les films aussi.

Une photographie de la projection du documentaire "Under Snow", d'Ulrike Ottinger - Photo Antoine Pirotte
Une photographie de la projection du documentaire "Under Snow", d’Ulrike Ottinger
Photo Antoine Pirotte

Il a beaucoup été question de soin à l’image lors de l’hommage à Sven Nykvist, avec Charlotte Bruus Christensen, Ed Lachman, Lars Petterson, et Benjamin B. A l’aide de divers extraits principalement des films d’Ingmar Bergman, les participants et participantes ont étudié le travail de lumière et de cadre du grand directeur de la photographie. La collaboration entre Bergman et Nykvist est une relation sur le long terme, ils travaillent ensemble dans un rapport de confiance. Il était très intéressant de découvrir les choix techniques de Sven Nykvist discutés par des directeurs et directrices de la photographie. J’ai appris, par exemple, qu’il avait établi au cours de sa carrière une "Shadow Light List", qui répertorie les différentes qualités d’ombre. La tendance dans sa carrière à aller vers des lumières de plus en plus douces, des "lumières sans ombres", me paraît aussi très inspirant. Les images de Sven Nykvist sont effectivement très habitées, l’utilisation d’un zoom discret lui permet de changer subtilement le cadre pour toujours trouver le plan juste. J’y ai appris que le langage visuel de Bergman et Nykvist est composé de plans larges et de gros plans, en essayant d’éviter le plus souvent les plans moyens. Enfin, quelque chose qui m’a semblé essentiel, surtout dans le contexte particulier de profusion de matériel à Camerimage : il a été rappelé que Sven Nykvist pouvait travailler avec le matériel qu’on lui donnait, préférant la simplicité et la parcimonie. Il utilisait des sources simples et rapides, des 2 kW diffusés au lieu de 10 kW, privilégiant le travail avec une seul source de lumière. Il prenait soin de construire l’exposition des images à partir des visages, pour équilibrer ensuite le décor.
Charlotte Bruus Christensen conclura cet hommage en parlant de la responsabilité de nos choix, des images que nous fabriquons, des manières de travailler que nous pratiquons. Tout cela m’inspire et guide mon désir.

Une photographie de projection d'un extrait de "Cris et chuchotements", d'Ingmar Bergman, lors de l'hommage à Sven Nykvist - Photo Antoine Pirotte
Une photographie de projection d’un extrait de "Cris et chuchotements", d’Ingmar Bergman, lors de l’hommage à Sven Nykvist
Photo Antoine Pirotte

Camerimage, c’est aussi beaucoup de workshops et de conférences techniques. Si c’est peut-être l’aspect du festival qui me passionne le moins car parfois trop marketing, l’idée que cela aussi puisse être une manière de prendre soin des images que nous fabriquons m’intéresse plus que la recherche d’une soi-disant perfection qui serait la même pour toutes les images et tous les films. Peut-être que les diverses évolutions techniques que nous avons vues permettront de trouver les images justes à chaque film.
Parmi ces découvertes, je retiens la présentation des nouveaux zooms Full Frame et Open Gate Angénieux. Après avoir parlé de l’utilisation du zoom de Sven Nykvist, je suis curieux de tester le 37-102 mm et le 21-56 mm sur une caméra grand capteur. Leur ergonomie légère et pratique et leur qualité optique me donnent à penser qu’ils pourraient être utiles à de multiples occasions, par exemple sur des tournages légers et rapides, documentaires ou fictions.
Nous avions déjà eu l’occasion de tester les focales de la série Optimo Prime IOP avec Jean-Yves Le Poulain, le workshop Angénieux a confirmé le fait que ces optiques ouvrent des possibilités créatives. Parmi les possibilités que je retiens pour mettre au service d’un film : les filtres internes IOP Uncoatted ou Glimmer Glass. Cependant, j’aimerais bien faire des tests avec des filtres externes et des filtres numériques pour comparer les différents rendus, car la manipulation nécessaire pour mettre ces filtres demande d’être sûr à l’avance de son choix (compliqué de changer le filtre sur le plateau).

Une éclaircie sur le pavé de la ville - Photo Antoine Pirotte
Une éclaircie sur le pavé de la ville
Photo Antoine Pirotte

De manière générale, j’ai été intéressé cette semaine par les films et le matériel qui prennent soin de ne pas figer la vie, d’accueillir les accidents et les imprévus et de leur trouver une place dans les films que nous faisons. Peut-être que c’est une phase de ma réflexion mais je suis de plus en plus persuadé que c’est ainsi que j’ai envie d’exercer le métier de chef opérateur, en travaillant des cadres et des dispositifs techniques et humains qui plutôt que de faire du cinéma une prison ou une machine ultra-contrôlée seraient des lieux d’expérimentations et d’ouvertures.
Merci à toutes les personnes qui ont rendu ce voyage possible, ce temps de rencontre et de réflexion est une véritable chance dans le cursus de La Fémis.