"Des jaunes de Van Gogh menacés par les ampoules LED"

Par Harry Bellet

AFC newsletter n°228

Le Monde, 4 janvier 2013

Des jaunes de Van Gogh menacés par les ampoules LED, tel est le titre d’un article, paru récemment dans le quotidien Le Monde, où il est question des effets de la lumière sur le jaune de chrome, un pigment que Vincent Van Gogh a maintes fois utilisé pour nombre de ses peintures.

Pour que Van Gogh retrouve ses couleurs, il a fallu le passer au synchrotron. Celui installé à Grenoble sert depuis plusieurs années aux chercheurs qui tentent de comprendre l’altération constatée sur les œuvres – nombreuses – pour lesquelles l’artiste a utilisé du jaune de chrome.
Ce pigment, inventé au début du XIXe siècle, est à base de chromate de plomb. Eclatant sur la palette, il est hélas fugace et passe à la lumière, ou devient d’un marron assez indéfinissable.

Le défaut est connu depuis longtemps : dès 1959, dans un ouvrage qui fut le bréviaire des peintres durant des décennies, intitulé La Technique de la peinture à l’huile (Flammarion), Xavier de Langlais conseillait de les rejeter impitoyablement : « Fugaces à la lumière, ils ne résistent pas aux émanations sulfureuses et noircissent au contact des combinaisons métalliques de la plupart des autres colorants. »

Restait à en comprendre les causes et, pourquoi pas, à tenter d’y remédier. C’est ce à quoi s’est attelée une équipe de chercheurs européens, dans le cadre de la thèse de la jeune chimiste Letizia Monico, dirigée par le professeur Koen Janssens, de l’université d’Anvers. En 2011, cette équipe met en évidence un premier phénomène, en analysant des tubes de peinture de la fin du XIXe siècle : tous les jaunes de chrome ne réagissent pas de la même manière, les plus clairs étant ceux qui brunissent le plus vite quand ils sont exposés aux rayons UV.
Mais les rayons du soleil ne sont pas seuls en cause. Cette première étude montre que les pigments qui contenaient des sulfates sont plus prompts à une dégradation. Observation faite à la fois sur ces échantillons prélevés dans des tubes de peinture, et artificiellement vieillis, ainsi que sur des microprélèvements faits sur deux tableaux de Van Gogh, conservés au Van Gogh Museum, à Amsterdam.

L’hypothèse était alors que le mélange, avec du blanc notamment, entraînait une réaction chimique néfaste, que le pauvre Van Gogh ignorait lorsqu’il mêlait du blanc à son jaune pour, croyait-il, le rendre plus lumineux.
Une première précaution consisterait donc à protéger les tableaux par un verre anti-UV. Las, il semble qu’il faille en dévernir certains auparavant. En analysant Fleurs dans un vase bleu, peint en 1887 et propriété du Musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas), une autre équipe a montré, en septembre 2012, qu’un vernis, ajouté après la mort de l’artiste, altérait également les couleurs, le jaune de cadmium en l’occurrence.

Enfin, les musées vont devoir changer leurs ampoules, ceux en tout cas qui se sont équipés en LED. C’est la dernière découverte de l’équipe animée par Letizia Monico, dont les résultats ont été publiés le 14 novembre dans la revue Analytical Chemistry : ce sacré jaune de chrome s’assombrit plus vite encore lorsqu’on le soumet à des lumières vertes ou bleues, ces dernières étant notamment émises par les lampes LED. Lesquelles, disent les chercheurs, équipent notamment le Musée d’Orsay à Paris et le Musée Van Gogh d’Amsterdam.

Certaines teintes plus stables que d’autres
Tous les jaunes de chrome ne sont pas logés à la même enseigne : si le jaune moyen, selon sa dénomination commerciale, est relativement stable, Van Gogh utilisait également du jaune citron et du jaune primevère. C’est la conclusion de Letizia Monico : les mélanges hasardeux sont moins la cause du mal que la nature du pigment employé.
« Nous avons trouvé des formes instables de jaune de chrome dans quelques tableaux très connus, comme le Portrait de Gauguin, et le fameux Vase aux tournesols du Musée Van Gogh d’Amsterdam », écrit Letizia Monico. Son collègue Koen Janssens ajoute que Van Gogh n’est pas seul en cause, et que Paul Cézanne, entre autres, utilisait aussi ce pigment.

La bonne nouvelle vient de Bruno Brunetti, de l’université de Pérouse, en Italie, lequel précise que l’identification de la présence ou de l’absence de jaune de chrome dans un tableau peut se faire avec des moyens relativement simples, un équipement mobile fondé sur la réflexion de la lumière infrarouge qui peut être utilisé dans les musées eux-mêmes pour identifier les peintures concernées.
« Celles qui sont déjà atteintes ne risquent plus rien », précise Marine Cotte, responsable du département des rayons X et de la microspectroscopie au synchrotron de Grenoble, qui explique que la couche de surface altérée protège la couleur d’origine qui est au-dessous. Mais si on restaure le tableau pour en retrouver le jaune voulu par Van Gogh, il faudra préférer une lumière rouge, moins agressive que le bleu ou les UV. Et donc changer les ampoules...

(Harry Bellet, Le Monde, 4 janvier 2013)