ENS Louis-Lumière, table ronde n° 1 " Le marché du travail "

Quel impact les évolutions économiques, technologiques et sociales ont-elles sur l’exercice des professions de l’image et du son ?

La Lettre AFC n°121

A l’occasion du séminaire professionnel de Louis-Lumière intitulé " 2000-2010 : quelles évolutions pour les métiers de l’image et du son ? ", ci-dessous les propos tenus lors de la table ronde " Le marché du travail ".

Jean-Emmanuel Casalta, directeur d’INA Formation

Parlons de là où chacun se trouve, en partant de ce que fait INA Formation, ou plutôt de ce qu’elle a modifié ces dernières années dans le domaine de la formation initiale et professionnelle.
Depuis trois ans, INA Formation a évidemment poursuivi son activité de formation professionnelle, pour laquelle elle est reconnue, et constate un maintien de son activité avec à peu près 3 500 stagiaires par an. Ce que nous avons constaté en revanche, c’est le besoin de développer la formation initiale sur des sujets qui, jusqu’à présent, n’étaient pas complètement traités.
Nous avons constaté un besoin, du côté des directeurs des ressources humaines et des recruteurs justement, d’une alternative au recrutement CDI classique via l’ensemble des intermittents.
Deuxième chose, on a souhaité développer la formation initiale supérieure, notamment le management et les questions économiques. Nous avons créé avec la Sorbonne, un diplôme universitaire qui s’appelle « Marketing et distribution dans l’industrie audiovisuelle européenne », il y a un besoin de compléter l’offre de formation initiale.

Par rapport à la demande de nos clients, dont certains sont dans la salle, nous avons constaté une volonté de voir évoluer de manière extrêmement significative, l’offre de formation qu’on leur proposait. Dans le sens d’une « modularisation » beaucoup plus grande. Des séries de petits modules forment un cursus qui peut s’étaler dans le temps et qui permet à l’entreprise de gérer la disponibilité de l’effectif sur une population cible.
Autre ressenti, c’est le réel effort de reconversion et de requalification que fait l’ensemble des professionnels du secteur.

Marie-France Salaün-Dutrey, directrice de l’ANPE Culture spectacle

Je dois dire que j’étais un peu dans le rêve, je me disais : « c’est formidable, il y a des écoles et des tuyaux formation qui s’adaptent exactement aux besoins des employeurs et aux emplois proposés » ! Je dois dire qu’à l’ANPE, on est toujours dans des situations de crise.
L’ANPE travaille sur des méthodes plus que sur des contenus. Méthodes d’intermédiation et de mise en relation.
Ce que l’on trouve comme difficultés aujourd’hui, c’est l’absence de ce compagnonnage dont on parle beaucoup. Ce qui semble difficile c’est d’intégrer ce milieu, ce réseau. Pourquoi les professionnels ne font plus autant fonctionner qu’autrefois la cooptation, et ne font plus, n’acceptent plus de former leurs pairs, leurs successeurs ?

La réalité du marché du travail est aussi celle-ci : ce sont des métiers qui deviennent de plus en plus difficiles. Est-ce qu’il faut effectivement avoir une polycompétence ? Est-ce qu’il faut être de plus en plus pointu sur les techniques ? Comment faire pour se former sur le matériel nouveau, alors que justement on ne laisse pas de place aux jeunes ?
Ce que l’on rencontre comme difficulté pour les techniciens, n’ont pas l’habitude d’aller vers les autres. Je pense qu’en termes de formation, il faudrait apprendre à travailler à la fois sur le savoir-faire technique et sur le savoir-être... Où que l’on aille, on a affaire à une entreprise.
Ensuite parce qu’apprendre le savoir-être, apprendre à se conduire en entreprise, apprendre comment fonctionne le milieu professionnel avec sa hiérarchie, avec les évolutions qui conduisent à la perte de cet apprentissage et de ce compagnonnage sur le tas, ça me paraît être la plus grande difficulté aujourd’hui, sur ce marché.

Kris Ludhor, directeur du développement à l’AFDAS

A l’origine l’AFDAS est constitué par deux grands secteurs : d’un côté, « le spectacle en boîte », c’est-à-dire le cinéma, et de l’autre le spectacle en public, c’est-à-dire le spectacle vivant... Les techniciens forment la population majoritaire qui accède au dispositif de formation instrumenté par l’AFDAS...
Je pense que l’enjeu n’est pas la formation initiale car il y a suffisamment d’établissements et d’enseignements de qualité, la question qui se pose c’est : comment structurer ces questions d’emploi et de formation avec des populations qui sont un petit peu « disproportionnées » en termes de diplômes et de certification ?
Nous devons réfléchir à la manière de certifier, valider et reconnaître officiellement un certain nombre de savoirs, savoir-faire et compétences acquis, pour un certain nombre de professionnels intégrés mais dont le degré de qualification ne reflète pas la valeur réelle.

Jacques Arlandis

Merci. Laurent Creton pour introduire le débat avec toute la salle.

Laurent Creton, professeur à l’Université de Paris III Sorbonne nouvelle

Il y a cinq points que je voudrais mettre en évidence :

1 - Evolutivité, avec une réponse à deux niveaux :
Positionnement de jalons : « je ne sais pas comment les choses vont évoluer, mais être dans le stratégique c’est effectuer des investissements techniques, de ressources humaines, qui constituent des pôles à partir desquels je peux m’appuyer, qui dessinent des orientations. »
Emettre des hypothèses, c’est-à-dire être dans l’expérimental.

2 - Question de l’exigence
Etre capable de travailler de plus en plus en termes de qualité, de délais, de certification.

3 - Dialogique entre spécialisation et formation générale
Comment remettre la technique en perspective et la réinscrire dans des logiques socio-techniques.

4 - Le monde du travail et la régulation dans le monde du travail
Est-on dans un modèle dans lequel on va capitaliser sur des savoirs-faire, gérer une évolutivité, ou plutôt sur des modèles de rupture.

5 - Question du statut
La question est celle du rapport au réel, c’est-à-dire la manière dont on va rencontrer l’entreprise, la comprendre.

Jacques Arlandis

C’est maintenant le temps des échanges et des contributions.

Sylvain Rigollot, scénariste et réalisateur

Je voudrais réagir sur ce qu’a dit Madame Salaün-Dutrey, à propos du compagnonnage. Vous posez la question de sa disparition.
Or nous sommes aujourd’hui dans une civilisation du zapping, j’ai l’impression que le fait de s’engager dans une carrière qui va durer toute la vie fait un peu peur à tout le monde. Sans cesse on se réoriente vers d’autres métiers.
C’est un effet de civilisation, et pour mettre en adéquation les métiers et les formations, il faut réfléchir d’abord à notre civilisation.

Marie-France Salaün-Dutrey

Le non-choix me rassurerait plutôt.
Moi, ce que j’entends dire, auprès des professionnels, c’est que les équipes se sont beaucoup resserrées, que du fait des nouveaux outils et des nouvelles façons de travailler, on n’a plus le temps de s’occuper d’un stagiaire.
Si cette contrainte économique ou technique rejoint, comme vous le dites, un phénomène de civilisation, tout va bien.

Jean-Pierre Barry, président directeur général, Société Française de Production (SFP)

Je voudrais juste ajouter que la problématique des stagiaires est énorme pour les entreprises.
C’est vrai que de moins en moins de techniciens acceptent d’assumer un stagiaire, pas seulement parce qu’ils n’ont pas le temps mais simplement parce c’est de la concurrence.
Et donc, placer un ou des stagiaires à côté d’un directeur photo est difficile parce que ce dernier veut conserver l’exclusivité.

Serge Challon, président, Syndicat des agences de presse photographiques d’information et de reportage

Le secteur d’activité dont on parle aujourd’hui pratique l’intermittence, ce qui signifie par définition que parfois on travaille, parfois on ne travaille pas, mais qu’en tout cas, le chômage occupe la moitié du temps.
Dans les métiers de la photographie et de l’intermittence, on a cette nécessité d’acquérir une technique, on considère que c’est le degré zéro de la légitimité d’un demandeur d’emploi. Elle doit être acquise, ce n’est pas ce qui fait le recrutement. Le stage, c’est ce qui permet de découvrir des expériences, de rencontrer des univers différents...

Autre remarque, le souci est que l’on considère que lorsque l’on est en formation, on n’est pas au chômage. On forme, on forme, on forme et pendant ce temps, les gens ne sont pas au chômage, c’est déjà pas mal !
Lorsque l’on est chef d’entreprise dans ces domaines, ce n’est pas un cursus que l’on recrute, c’est une rencontre, une compatibilité d’humeur, un désir d’apprendre de l’autre plus qu’une vraie notion de recrutement.

Stéphane Pozderec, délégué général du Syndicat National des Techniciens et Travailleurs de la Production Cinématographique (SNTP)

Le problème de la formation, de la qualification, de la haute technicité serait un empêcheur de tourner en rond, compte-tenu des contingences économiques qui interviennent dans la production ?
Louis-Lumière a formé des générations et des générations de techniciens qui ont été formés, théoriquement, techniquement, pour mettre leur savoir au service de l’artistique. Aucun technicien que je connais ne m’aurait avoué avoir une difficulté compte-tenu de l’intervention de la DV. Aujourd’hui, que faut-il faire ?
Il est indispensable que l’enseignement donné ici ne soit pas jeté à la poubelle, il ne fait pas partie du passé, il faut qu’il demeure.
Filmer une image est une chose, écrire, créer par l’image en est une autre, et cette école doit s’inscrire dans cette seconde optique.

Jacques Arlandis

Louis-Lumière n’est que l’amphitryon de cette réunion commune autour des métiers de l’image et du son. J’enregistre votre remarque, mais je garde la réponse pour une autre réunion portant sur ce que l’école sera amenée à faire.
Je propose que l’on enchaîne sur la seconde table ronde.

table ronde n° 2