Effets visuels sur le film d’Andrew Niccol " Lord Of War "

par Christian Guillon de L’EST

La Lettre AFC n°151

J’ai manqué l’occasion dans la Lettre 150 de janvier 2006 de parler d’un film qui sortait, et sur lequel nous avons fait les effets visuels. Mais comme le film marche bien, et qu’il sera peut-être encore à l’affiche en février, je me rattrape. Il s’agit de " Lord Of War ", le film d’Andrew Niccol, produit par Philippe Rousselet.

Il y a 120 plans truqués dans le film, dont deux séquences particulièrement remarquables.
La première est celle du générique début : un plan-séquence de 4 minutes qui suit une balle de Kalachnikov en plan subjectif, depuis l’usine où la balle est fabriquée jusque dans la tête d’un jeune enfant africain, en passant par la machine qui en assemble les divers éléments, la caisse de transport plusieurs fois ouverte par divers trafiquants intermédiaires, le chargeur d’un mercenaire dans un combat de rue et le canon de l’arme mortelle.

La balle depuis l'usine...
La balle depuis l’usine...
... jusque dans la tête d'un jeune enfant africain
... jusque dans la tête d’un jeune enfant africain

Cette séquence contient à elle seule toute l’essence du film. Il fallait mélanger efficacement prises de vues réelles et éléments 3D sans que le spectateur puisse détecter l’origine de chaque élément. Il y aura à l’arrivée une présence constante de la 3D dans l’image, tantôt partielle, tantôt plein écran.

En 3D les villageois dépècent l'Antonov
En 3D les villageois dépècent l’Antonov

La seconde grosse séquence est celle du " dépeçage " de l’Antonov, un avion-cargo appartenant à Yuri Orlov, le personnage principal du film joué par Nicolas Cage. L’avion est forcé à un atterrissage d’urgence par une équipe du FBI en pleine brousse africaine. Cet atterrissage, sur une route au milieu de la figuration, fait déjà l’objet de nombreux trucages, de compositing entre des éléments tournés séparément pour ne pas mettre en danger les figurants, ainsi que de création pure et simple en 3D de pelures impossibles à tourner.

Les villageois finissent de dépecer l'appareil (3D)
Les villageois finissent de dépecer l’appareil (3D)

Un peu plus tard, Nicolas Cage est abandonné à côté de son avion pendant 24 heures. C’est le délai que les villageois vont avoir pour démonter la totalité de l’appareil, aux fins de récupération des matériaux. Au matin suivant, il ne restera plus rien de l’Antonov. Andrew Niccol voulait montrer ce dépeçage systématique en plan séquence accéléré, comme un " time lapse " (accéléré en image image). Pas question toutefois de réaliser cette séquence avec un véritable avion qu’on aurait sacrifié pour le démonter. Il était clair qu’il fallait faire la séquence intégralement en 3D, non seulement l’avion lui-même, mais aussi les nombreux personnages qui démontent l’appareil.

Yann Blondel, notre superviseur des effets visuels a pu prendre ces deux séquences très en amont et travailler en étroite collaboration avec le metteur en scène. Plusieurs versions des séquences truquées ont ainsi pu être prévisualisées en 3D à L’EST, nous permettant d’une part de les chiffrer précisément, et d’autre part de spécifier quels éléments seraient tournés en prises de vues réelles ou réalisés en 3D.

Sur le tournage en Afrique du Sud, Yann Blondel a supervisé toutes les séquences truquées. Grâce à une " mixette intelligente " (un petit logiciel qui tourne sur un portable) il pouvait opérer des extractions sommaires de fonds vert et des " compositings " provisoires, ainsi que de l’animation 2D en temps réel, en direct sur le plateau. La conformité des prises avec les prévisions et leur intégrabilité dans la séquence pouvaient ainsi être validées sans délai. Dans d’autres cas, cette réactivité permet à l’inverse d’adapter très rapidement les prévisions de postproduction à d’éventuelles contraintes imprévues de tournage, voire à des idées nouvelles surgies sur le plateau.

En l’occurrence, les prévisualisations de Yann ont même été utiles pour des séquences non truquées, comme celles de prises de vues aériennes avec plusieurs avions. Faites rapidement à partir d’options de base (optique, place caméra), et de contraintes de vol données par les pilotes (vitesses respectives, distances minimum, etc.) les " previz " permettent de dégrossir les choix de mise en scène avant d’avoir dépensé le moindre crédit d’heure de vol.

En postproduction, nous avons monté une équipe 3D en interne à L’EST. Il a fallu mettre en place un pipeline puissant et fiable avec le logiciel 3D XSI de Softimage. Il s’agissait en effet de produire plus de 4 minutes de 3D hyperréaliste. Nos images devaient absolument être raccord avec la prise de vues réelle, non seulement " plan sur plan " mais par endroits avec substitution des mêmes objets, réels et 3D, successivement dans un même plan.

Il y avait en outre un défi à relever pour L’EST : prouver aux Américains que le travail à distance ne poserait aucun problème. La postproduction du film se passait en effet à Los Angeles : laboratoire, développement, montage, scan, shoot, étalonnage, mixage, etc.

Nous étions les seuls français mangeurs de fromage de cette aventure.

Les images 4K et 2K définitives ont voyagé sur des disques par transporteur spécial et Yann a fait plusieurs allers-retours, mais pour toutes les étapes intermédiaires, maquettes, tests, trucages à valider, sorties montage, etc., en format vidéo, nous avons mis en place une liaison haut-débit avec un serveur FTP que nous avons loué aux USA, de sorte que le flux soit le plus favorable à nos clients. Lorsque le montage " downloadait " la livraison de la nuit au petit matin, Yann pouvait commenter depuis Paris, à distance, avec le monteur Zach Staenberg et le réalisateur, les images qu’ils avaient devant les yeux. Ils n’ont absolument pas souffert de la distance.

À la sortie du film aux USA, en septembre 2005, plusieurs magazines américains ont félicité le chef opérateur, Amir Mokri, pour la réalisation du " time lapse " de l’avion, ainsi que le chef monteur pour la séquence d’ouverture avec la balle de Kalachnikov ! C’est pour nous une forme de compliment, il semble que notre intervention sur ce film ait été réellement transparente aux yeux des spectateurs.

Il y a bien sur de nombreux autres trucages tout au long du film, " matte-paintings ", retouches ou incrustations, comme par exemple dans la séquence de l’interception en vol de l’Antonov par les avions de chasse. Les intérieurs cockpits ont été tournés sur fond vert, pour être composés en postproduction avec des arrière-plans filmés séparément depuis un avion caméra. Même si ce genre de travail est devenu courant désormais sur beaucoup de films, que ce soit pour des voitures, des trains, des avions, etc., il mérite une attention particulière dans les moindres détails, dont aucun n’échappe aux metteurs en scène précis et exigeants comme Andrew Niccol.

La balle dans sa caisse de transport (prise de vues réelle et 3D)
La balle dans sa caisse de transport (prise de vues réelle et 3D)
La même image dans sa version finale
La même image dans sa version finale
La balle dans sa caisse ouverte une nouvelle fois
La balle dans sa caisse ouverte une nouvelle fois