Entretien avec Guillaume Schiffman, AFC, à propos du film de Sandrine Kiberlain, "Une jeune fille qui va bien"

Photographiquement parlant

par Guillaume Schiffman

Situé sous l’occupation, le premier film en tant que réalisatrice de Sandrine Kiberlain brouille pourtant les pistes pour jouer ouvertement la carte de la contemporanéité dans sa mise en scène.
Guillaume Schiffman, qui avait déjà mis en image son premier court métrage, signe également ce premier long portée par Rebecca Marder, une jeune comédienne très émouvante...

C’est tout de même un film de comédiens, non ?

Guillaume Schiffman : Je ne dirais pas que c’est un film de comédiens, je dirais que c’est un film de visages, ce qui n’est pas pareil. Sandrine Kiberlain tenait à faire un film sur les visages, les expressions, les regards, plutôt que purement sur des performances d’acteurs. Elle voulait raconter la petite histoire dans la grande. J’ai toujours fait ce métier pour filmer des acteurs, c’est pour ça que je fais très peu de publicité. J’aime les films contemplatifs mais ce n’est pas mon métier. Mon métier à moi, c’est filmer des acteurs qui jouent la comédie.

Sandrine vous parlait d’autres films en prépa ?

GS : On n’avait pas les moyens de la pellicule. Elle avait en référence un film que j’avais fait qui est Le Redoutable, mais qu’on avait tourné en pellicule et, très étrangement, Baisers volés et Domicile conjugal, qu’en plus je restaure en ce moment, donc c’est très drôle.
Elle voulait des visages lumineux. Il y a des pénombres mais elle voulait voir les gens. Il fallait faire un travail sur toutes ces carnations très différentes : Rebecca est très limpide, André Marcon est très rouge, surtout quand il joue. La grand-mère est un peu brune, Anthony Bajon est très clair... Ça m’intéressait beaucoup de travailler sur ces différentes carnations dans des zones de pénombre.

Comment avez-vous discuté réalisation avec elle ?

GS : J’ai fait beaucoup de premiers films et beaucoup de premiers films de comédienne, c’est très étrange. On a travaillé longtemps en amont à découper dans l’appartement, ce qui était très important pour moi. Elle m’a parlé de zooms qu’on pouvait commander... Mais je lui ai dit que pour ce film-là il fallait un point de vue sur chaque scène. Il fallait qu’on choisisse à chaque fois l’objectif qui était bien pour la scène. Donc finalement on n’a pas utilisé de zooms du tout, seulement des focales fixes, avec des envies très précises de gros plans, de profondeur de champ... Elle s’est avérée être une réalisatrice très perfectionniste. Je lui ai expliqué comment jouer sur les profondeurs de champ avec l’Alexa LF, en mettant des neutres et en ayant une base de diaphragme un peu plus élevée pour pouvoir moduler la zone de netteté. Elle a souvent joué avec ça, elle aimait beaucoup ça. On en discutait mais elle était très précise. Il y a très peu d’improvisation dans ce film, tous les plans, même les plans de suivi, on les a répétés plein de fois pour avoir exactement ce qu’elle voulait au bon moment. C’est très précis comme mise en scène.

Guillaume Schiffman et Sandrine Kiberlain - Photo Jérôme Prébois
Guillaume Schiffman et Sandrine Kiberlain
Photo Jérôme Prébois


Vous avez donc adopté le Full Frame...

GS : Depuis que je travaille avec ce format-là, je me rends compte que je retrouve quelque chose qui est proche de la pellicule, surtout sur les visages d’ailleurs, avec certains filtres. Il faut rajouter un peu de grain en post-production forcément, mais c’est assez proche. C’était un budget relativement peu élevé, mais j’adore ce format, ce que ça amène de cinéma, donc je l‘ai très vite proposé à Sandrine, et en voyant les essais, les films que j’avais faits avant avec, elle a tenu à ce qu’on fasse le film en Full Frame.
Et puis j’aime beaucoup la douceur des Signature Prime. Pour un film sur des visages, personnellement jusqu’à maintenant, c’est ce que je trouve de mieux. Sandrine me faisait confiance mais elle voulait voir. Forcément, elle s’était renseignée sur le matériel utilisé pour les derniers films qu’elle avait faits en tant que comédienne, donc elle a voulu faire des essais, elle n’a pas dit oui tout de suite. On a effectivement abouti à mon premier choix, qui était ce qu’il y avait de mieux, mais elle a quand même voulu voir trois séries d’objectifs avant.

Le visage de Rebecca Marder porte le film...

GS : Elle a un côté Antoine Doinel je trouve, c’est-à-dire qu’elle est très inventive, elle a un peu de folie, elle est drôle, presque sans le vouloir, et à la fois elle peut avoir un visage tragique d’un seul coup. Quand on a fait les essais, je suis tout de suite tombé très amoureux de son visage, photographiquement parlant ! J’y voyais les petits défauts qu’il fallait garder, les petites rougeurs… J’ai beaucoup travaillé avec le maquilleur pour avoir des teints qui nous intéressaient, tout en gardant ces choses qui sont très naturelles. Sandrine y tenait beaucoup. Au départ comme toutes les comédiennes qui se font beaucoup maquiller sur leurs films, elle ne voulait plus du tout de maquillage. Ensuite aux essais elle s’est rendue compte qu’il en fallait, mais elle voulait garder cette naturalité des visages.


C’est bizarrement un film d’époque, mais sans presque qu’on le remarque ostensiblement...

GS : C’est un film d’époque et ce n’est pas un film d’époque. C’est-à-dire qu’on ne voulait pas mettre tout de suite l’époque en images. C’était très important de donner un côté intemporel aux choses, même si c’est situé en 1942 et que c’est essentiel que ça le soit. C’est aussi pour créer une petite surprise quand les choses arrivent. On voulait que les choses arrivent petit à petit, le fait qu’ils soient juifs, le fait que ce soit en 1942. Et c’était important à l’image de ne pas marquer trop l’histoire pour la rendre un peu contemporaine. C’est un choix d’avoir des rues désertes, c’est un choix de ne pas avoir de costumes trop marqués trop vite, et que l’époque s’installe petit à petit.

Dans la première scène chez le médecin, un travelling surprend le spectateur

GS : 99 % du film a été tourné à l’épaule et à l’Easy-Rig. Elle voulait préserver cet aspect un peu naturel qu’elle aimait bien, et on a vraiment choisi les plans qu’on ferait sur pied. D’ailleurs il y en a très peu : le concert final, les auditions, et les rendez-vous sur le banc. Il y a effectivement un seul travelling dans le film, c’est le moment où elle rencontre l’amour. C’était important pour Sandrine d’avoir un mouvement de caméra à ce moment-là, et on a trouvé cette idée de travelling circulaire autour de la comédienne principale, Rebecca Marder, qui dévoilait le personnage dont elle va tomber amoureuse. Après, il y a des mouvements d’accompagnement à la Western Dolly, mais c’est le seul mouvement de caméra qu’on sent, quand sa vie bascule.

Parlons de l’appartement, le décor principal du film...

GS : On a trouvé cet appartement avant le confinement, c’était un des premiers décors qu’on voyait, il nous plaisait bien sauf qu’il faisait 2,10 m de haut environ. C’était tellement compliqué de relancer des repérages après le confinement qu’on a préféré relever le pari de tourner dans cet appartement-là. Par contre, je lui ai dit qu’il fallait changer les ambiances, pour ne pas qu’on se lasse de cet appartement qui allait être très compliqué à éclairer. On a donc recréé toutes les ambiances dont on avait envie pour raconter l’histoire : des petits matins, des soirs… Beaucoup à l’aide de boules chinoises avec des lampes que mon chef électricien contrôlait et variait en température et en intensité. L’avantage des petits films c’est qu’on peut garder la possibilité de tourner parfois au bon moment, pour utiliser la lumière naturelle qui rentre. De toute façon je ne pouvais pas vraiment utiliser autre chose : j’avais un balcon d’un côté, et rien de l’autre côté. On avait vaguement trouvé à l’étage du dessus comment mettre un 4 kW HMI pour faire des effets de soleil dans la cuisine, mais c’était très compliqué. Donc on a essayé de tourner aux bonnes heures, dans cette époque après le confinement où il faisait très chaud, dans un appartement borniolé à 80 % car le film se passe beaucoup de nuit...

La lumière devient, un moment, actrice à proprement parler...

GS : A un moment, Sandrine voulait qu’il y ait des extinctions dans une cour d’immeuble, un peu comme si une minuterie s’enclenchait... même si là encore on est dans l’anachronisme historique. Très vite, la question s’est posée de savoir si on faisait des noirs en post-production ou pas, mais on avait envie que les comédiens jouent ça. Donc on a vraiment créé des extinctions et des allumages pour que ça surprenne les acteurs. Dans la première prise qui est gardée, ils ne savaient pas à quel moment ça allait s’allumer et s’éteindre. On leur avait demandé de ne surtout pas parler dans le noir, et de continuer après. On avait des tops avec Sandrine, au départ il y en avait un peu trop, on a ajusté. C’était son idée, elle voulait que tout soit fait en vrai. D’ailleurs, il y a eu relativement peu d’étalonnage. A part quelques carnations, parce qu’on savait qu’on allait travailler là-dessus, les ambiances étaient toutes créées, elle y tenait, elle avait besoin de voir dès le tournage une image ressemblant à l’image finale.

La séquence sur le banc, dans le jardin du Palais Royal, prend une tournure dramatique dans la dernière partie du film...

GS : Il y avait trois rendez-vous du banc au départ, et on avait filmé les deux premiers de face, dont un en plan-séquence avec une fausse teinte qui est arrivée exactement au bon moment. Donc pour le dernier rendez-vous du banc, on s’est dit qu’on pourrait le faire de dos, parce qu’on connaît les personnages, on les a assez vus, et parce qu’il y a cette pudeur entre le père et la fille. On a joué cette pudeur aussi avec beaucoup de regards car Sandrine savait que c’était très compliqué à jouer. J’aime beaucoup les trois quarts dos, (même si j’adore filmer les comédiens) et c’est quelque chose qui est venu assez naturellement, à ce moment où, dramatiquement, c’est en train de se renforcer. On filme leur dos, leur nuque, tandis qu’ils se disent des choses assez fortes. Moi j’adore ça.

Et maintenant avec qui rêveriez-vous de faire le prochain premier film d’actrice ?

GS : Juliette Binoche faisait un documentaire qu’elle m’avait vaguement proposé, mais je n’avais pas pu le faire parce que c’était sur trop de longueur, et puis les documentaires c’est encore autre chose, même si j’aimerais en faire… Je ne sais pas, je pense qu’il faut que ce soit une comédienne qui a déjà un univers marqué : Sandrine Kiberlain trimballe un univers avec elle, tout comme Sara Forestier dont j’avais aussi éclairé le premier film. J’attends surtout de voir la notion de travail, d’envie et d’implication. Et j’aime quand ça raconte des choses intimes.
Bon, je vais vous dire, je ferais bien le premier film de Rebecca Marder !

Irène, jeune fille juive, vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.