Jonathan Ricquebourg, AFC, parle de son travail sur "Tralala", des frères Larrieu

Un Parisien à Lourdes

par Jonathan Ricquebourg

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Dans la lignée de leurs autres films, Tralala, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, est un poème un peu foutraque où Mathieu Amalric, leur comédien de prédilection, incarne cette fois-ci un musicien clochard visité par la passion. Filmé entre Paris et Lourdes (leur ville natale), ce film est également une comédie musicale où les différents morceaux sont interprétés par les comédiens eux-mêmes. Jonathan Ricquebourg, AFC, est cette fois-ci derrière la caméra pour accompagner les deux frères cinéastes dans leur étrange périple par temps de Covid dans une ville désertée par les pèlerins. (FR)

Comment les Larrieu vous ont-ils présenté le film ?

Jonathan Ricquebourg : L’idée de départ était de partir d’un film assez réaliste, pour glisser peu à peu vers la comédie musicale, au fur et à mesure que Tralala s’invente un nouveau personnage. C’est pour cette raison que le film démarre avec une caméra épaule, des plans plus courts, parfois des "jump cuts"... L’ouverture même, avec le réveil du personnage de Tralala dans son squat, alors qu’il enregistre des idées de paroles pour une composition, en est l’exemple. Quoi qu’il en soit, les frères Larrieu sont toujours préoccupés par le réalisme de leur film. Les situations, les lieux, la lumière... leurs influences viennent clairement de Godard, ou d’autres cinéastes de la nouvelle vague, et on est loin de l’univers des comédies musicales de Vincente Minelli.

Jonathan Ricquebourg et les frères Larrieu - Photo Jérôme Prébois
Jonathan Ricquebourg et les frères Larrieu
Photo Jérôme Prébois

Pourtant cette scène est presque la seule à faire un peu studio... vous ne trouvez pas ?

JR : Oui, c’est vrai. Pourtant on n’a pas tourné en studio... Mais la lumière solaire très fabriquée à travers les volets, le petit peu de fumée dans la pièce, donnent effectivement cette impression. Je réalise que, pour moi, cette séquence c’était un peu mon hommage à Un Américain à Paris quand Gene Kelly se réveille sous les toits... Une vision très hollywoodienne de la chambre de bonne parisienne !

La rencontre avec le personnage de Lili (Josiane Balasko) marque un tournant dans l’histoire...

JR : C’est le moment où le film commence à basculer concrètement dans la comédie musicale. On découvre que tous les personnages vont se mettre à chanter et que le chanteur devient quelqu’un d’autre. C’était une scène importante sur laquelle les Larrieu voulaient, au départ, vraiment filmer Josiane Balasko comme une forme floue. Comme une chose assez abstraite qui annonce la bascule du film. En contre-champ, la décision de placer Mathieu Amalric en pleine lumière est devenue ensuite assez logique. J’ai orchestré une montée de lumière très douce au fur et à mesure que Tralala accepte de reconnaître ce nouveau personnage comme sa propre mère, permettant de découvrir son visage. A ce moment du film, on ne sait absolument pas si Tralala est en fait Pat ... ou pas ?

Mais Pat… C’est vous !

JR : Oui, c’est moi ! Les frères trouvaient que parmi les membres de l’équipe, c’était moi qui ressemblait hypothétiquement le plus à un Tralala dans le passé... J’ai donc accepté par sympathie de jouer ce caméo via cette petite photo.

Comment se déroule le tournage ?

JR : Ce sont des cinéastes du plan. C’est très rare pour eux d’appréhender une scène dans son intégralité. Ils fabriquent littéralement leur film comme des artisans, plan par plan. En tant que directeur photo, on s’aperçoit qu’il est compliqué de leur demander, par exemple, de regrouper les plans larges séparément des plans serrés, comme la logique de travail d’un plateau de cinéma l’impose. Ils peuvent très bien sur une scène commencer par un gros plan qu’ils ressentent comme primordial, pour ensuite filmer un plan large en travelling, et repartir sur des gros plans selon comment les choses évoluent.

Photo Jérôme Prébois


Combien de temps de tournage ?

JR : On a tourné 27 jours. D’abord deux à Paris puis le reste à Lourdes entre septembre et octobre 2020, soit juste avant le deuxième confinement. Tout a été tourné en décors naturels et je dois reconnaître que l’épidémie nous a facilité la tâche pour pouvoir faire le film. Les touristes ayant déserté majoritairement les rues, on avait libre accès à tout !
J’ai pu faire mouiller les rues, travailler dans les hôtels (comme le Grand Hôtel de la Consolation, qui héberge une partie de l’action) ou dans les magasins. Par exemple, sur la chanson chorégraphiée de Mélanie Thierry dans le magasin de souvenirs que je trouve très réussie.

Oui, les couleurs apparaissent parfois très franches dans ce film...

JR : Comme ils aiment Godard, ils aiment les couleurs primaires, un peu en à-plat. A la fois, leur obsession du réalisme les freine souvent pour partir dans des choses trop saturées. Mais dans cette séquence, comme dans d’autres d’ailleurs qui exploitent les codes couleurs de la ville (le blanc et le bleu), on y est allé assez fort. A la fois le magasin est rempli de statues bleues et blanches de la Sainte Vierge... et il n’y a pas moyen d’y échapper ! Il y a une autre scène où j’ai aussi joué sur des lumières très saturées pour tordre le naturel, c’est celle de la chambre 617, avec le morceau chanté par Maiwen. Sur ce décor, l’idée était de faire se rejoindre cette chambre avec le décor du club.

On trouve aussi dans le film certains dialogues couverts en plans face à face à 180°, comme celui dans la forêt entre Tralala et Jeannie. La forme est assez iconoclaste, non ?

JR : C’est une manière de filmer qu’ils aiment. On la retrouve aussi sur le balcon, juste après les retrouvailles entre Josiane et Mathieu. Sur cette séquence entre Tralala et Jeannie, son ex amoureuse, j’ai choisi de ne pas rattraper du tout l’axe en contre-jour. On reste en silhouette tandis que le contre-champ à 180° est en pleine lumière de face. C’est assez brut, sans artifice. Ça me fait d’ailleurs me poser la question de l’artificialité à l’écran. Passer dans un dialogue d’un plan de face à un plan en contre c’est la nature... Mais pourtant, l’œil du spectateur est tellement habitué à ce que le directeur photo compense cet effet par des réflecteurs ou des diffusions que le naturel se traduit soudain comme un effet de mise en scène... C’est une vraie question sémiologique, non ?

Et pourquoi le Scope ?

JR : L’anamorphique me semblait incontournable pour une comédie musicale. En revoyant les films de Jacques Demy, entre autres, je trouvais que le Scope suffirait à donner le ton tout en restant dans une lumière assez sobre. Avec le recul, je m’aperçois de plus en plus que j’aime avant tout privilégier les décors les plus justes, avec le moins de transformations ou d’améliorations possibles pour simplement exploiter la justesse du réel. Par exemple, ramener telles ou telles petites lumières chaudes en arrière-plan pour un intérieur nuit, rend certes la scène plus facile à éclairer. Mais fait prendre de l’artifice au film. C’est dans cette idée de respect du réel que j’ai choisi les Arri Master Prime Anamorphic, une série d’optiques qui ne stylise pas trop l’image. Ces optiques ont une séparation de couleur excellente, un très grand piqué et peu ou pas d’aberrations. C’était important pour moi vu que les décors seraient exigus et que je ne voulais pas de problème avec certains plans en focale courte.

Quel bilan tirez-vous de ce film ?

JR : Jusqu’à ce film, je n’ai pas filmé beaucoup d’ambiances naturalistes. Par exemple, Shéhérazade était un film très stylisé, assez poussé loin de la réalité. C’était super pour moi d’avoir l’occasion de travailler différemment. Et quel plaisir de filmer des visages comme ceux de Mathieu Amalric, Josianne Balasko ou Mélanie Thierry. Plus le fait de tourner avec de la musique et de la danse, ça donne vraiment aux images une tonalité à part....

Tralala, la quarantaine, chanteur dans les rues de Paris, croise un soir une jeune femme qui lui adresse un seul message avant de disparaître : « Surtout ne soyez pas vous-même ». Tralala a t-il rêvé ? Il quitte la capitale et finit par retrouver à Lourdes celle dont il est déjà amoureux. Elle ne se souvient plus de lui. Mais une émouvante sexagénaire croit reconnaître en Tralala son propre fils, Pat, disparu vingt ans avant aux États-Unis. Tralala décide d’endosser le "rôle". Il va se découvrir une nouvelle famille et trouver le génie qu’il n’a jamais eu.

Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC