La Caméra d’or

par Alain Choquart

par Alain Choquart La Lettre AFC n°133

Or (Mon trésor) de la réalisatrice israélienne Keren Yedaya remporte la Caméra d’or 2004.
Deux mentions spéciales sont décernées à Lu Cheng (Passages) de Yang Chao (Chine) et Khâb é Tâlkh (Bitter Dream) de Mohsen Amiryoussefi (Iran).
« Pour le 57e Festival de Cannes, 21 films concouraient pour ce prix prestigieux qui, par le passé, a récompensé Jim Jarmush, Mira Naïr, Claire Devers, John Turturro, Vitali Kanevski, Naomi Kawase, Tranh Anh Hung, Zacharias Kunuk...

Les œuvres en compétition pour la Caméra d’or sont les premiers films issus des différentes sélections du festival : Officielle, Un Certain Regard, Quinzaine des réalisateurs, Semaine Internationale de la Critique. Il est à noter que cette année, neuf films de jeunes réalisatrices étaient sélectionnés, de pays aussi divers que le Kazakhstan, l’Australie, le Liban, la Suisse, la France, l’Angleterre, les USA, Israël.

La richesse et la diversité des

Réalisateurs et jury
Réalisateurs et jury

films présentés nous a permis de vivre un marathon de projections extrêmement exaltant.

Tim Roth a présidé notre jury avec un sérieux et une cordialité rares. Il connaît l’enjeu d’un premier film, ayant réalisé au cœur d’une prestigieuse carrière d’acteur son magnifique The War Zone.
Je représentais l’AFC au sein de ce jury, en compagnie de Diego Galan (Festival de San Sebastian que je vous recommande tout particulièrement), Isabelle Frilley (Titra Film), N.T. Binh (distributeur mais aussi critique pour Positif, réalisateur du récent documentaire sur Claude Sautet), Anne Théron (réalisatrice), Alberto Barbera (Musée national du cinéma, Turin), Aldo Tassone (critique de cinéma en Italie et merveilleux créateur d’un autre très recommandable festival de films, à Florence), Laure Protat (Cinéphile Cannes).

Euphonie issue de neuf voix et personnalités très diverses, partageant un même appétit de cinéma durant ces dix jours.

Hormis les échanges discrets et informels entre deux projections, nous nous sommes réunis deux fois en cours de festival pour " éliminer " de la délibération finale les films qu’aucun d’entre nous ne voulait retenir. Nous avions aussi décidé qu’un membre du jury pouvait demander à ce qu’un film soit maintenu pour le débat, quand bien même était-il seul à le défendre.

La Caméra d’or fut décernée

l'attente
l’attente

à Or, qui retrace avec une intensité et une honnêteté incroyable la vie d’une jeune fille de dix-sept ans vivant seule avec sa mère, détruite par la prostitution à laquelle elle ne peut plus s’arracher. Le systématisme d’un principe de cadrage très hasardeux s’efface heureusement devant les deux extraordinaires actrices et une mise en scène puissante et engagée.

La réalisatrice, Keren Yedaya, a décidé qu’une partie de son prix servirait au financement d’un centre d’accueil pour les femmes qui tentent de quitter le trottoir. Lors de la cérémonie de clôture, ses propos à la fois patriotiques vis-à-vis de son pays mais très accusateurs quant à la « souffrance et l’esclavage subis par plus de trois millions de palestiniens » lui ont valu, quelques heures plus tard, des remontrances plus ou moins officielles.

Nous avions la possibilité de décerner une mention spéciale et avons décidé d’en attribuer deux, d’autant que cette mention n’est pas " scindée " mais bien " doublée ".
Nous avons retenu le film chinois Passage et le film iranien Bitter Dream.

Passage, de Yang Chao, est certainement d’une approche plus difficile, reposant sur l’écoulement du temps au travers même de chacun des plans qui finissent par créer un envoûtement faisant preuve d’une audace et d’une réelle réflexion sur le cinéma. Comme pour Or, d’ailleurs, le dernier plan du film est d’une magnifique intelligence et d’une extraordinaire sobriété.

Bitter Dream, de l’Iranien Mohsen Amiryoussefi, nous raconte le quotidien d’un laveur de cadavres qui sent qu’il est temps de passer la main tandis que les signes de la mort viennent le visiter. Le film est d’une irrésistible drôlerie qui s’appuie sur une direction d’acteurs non professionnels extrêmement maîtrisée et une invention visuelle et narrative très étonnantes.

Aldo Tassone et Tim Roth
Aldo Tassone et Tim Roth

Il y a finalement peu de récompenses pour des sélections qui auront été de grande qualité, révélant par leur première œuvre des cinéastes très prometteurs qui, pour beaucoup d’entre elles et eux, affirment un style véritable et s’emparent du cinéma pour être témoin de leur monde.

On peut citer la rigueur formelle du Palestinien Tawfik Abu Wael pour Atash (une sorte de Padre Padrone sur un territoire oublié), l’inventivité narrative de Temporada de Patos du Mexicain Fernando Eimbcke (comédie en huis-clos entre trois ados et un livreur de pizza désabusé).
Il faut aussi remarquer l’arrivée des deux jeunes comédiennes Abbie Cornish (Sommersault de l’Australienne Cate Shortland) et Lola Naymark (Brodeuses de la Française Eléonore Faucher) ou le formidable casting de Schizo de la Kazakhe Guka Omarova.

Cet exaltant parcours à travers la planète grâce au cinéma nous fait espérer qu’une telle diversité trouve sa place dans les salles, ou plutôt cesse de la perdre. »

Les photographies qui illustrent cet article ont été prises par Alain Choquart avec un appareil numérique Kodak Easyshare DX6490. Elles sont visibles, avec d’autres, sur le site www.kodak.com/go/cannes (cliquer sur Photos of the Day)