La directrice de la photographie Jordane Chouzenoux parle de son travail sur "Qui vive", de Marianne Tardieu

Jordane Chouzenoux est sortie de l’Ecole Louis-Lumière en 2003 et a notamment été l’assistante de Julie Grunebaum. C’est en éclairant Les Gueules noires, moyen métrage réalisé par Marianne Tardieu avec Rodolphe Bertrand en 2007, que Jordane consolide sa collaboration avec Marianne qui a suivi sa formation à Louis-Lumière dans la même promotion. Avec Qui vive, elles expérimentent ensemble un premier long métrage qui sera projeté sur la Croisette par la section parallèle de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion). (BB)

Synopsis : Retourné vivre chez ses parents, Chérif, la trentaine, peine à décrocher le concours d’infirmier. En attendant, il travaille comme vigile dans un centre commercial où une bande d’adolescents le harcèle. Il réussit malgré tout les écrits de son concours et rencontre une fille qui lui plaît, Jenny…

Sur le tournage de "Qui vive" - De g. à d. : Marianne Tardieu, réalisatrice, Marc-Antoine Mulliez (assis de dos), assistant caméra, Jordane Chouzenoux, derrière la caméra, et Ernesto Giolitti, chef électricien - Photo Eva Sehet
Sur le tournage de "Qui vive"
De g. à d. : Marianne Tardieu, réalisatrice, Marc-Antoine Mulliez (assis de dos), assistant caméra, Jordane Chouzenoux, derrière la caméra, et Ernesto Giolitti, chef électricien - Photo Eva Sehet

Quel support de tournage avez-vous choisi pour tourner Qui vive  ?

Jordane Chouzenoux : Nous avons tourné en Red Epic. Marianne avait envie du numérique et la production aussi ! Les essais réalisés avant le tournage avec cette caméra nous ont bien plu. J’aime bien cette caméra car je trouve qu’elle a du caractère. Nous avons pu bénéficier d’une série Ultra Prime dont le piqué et la gamme de focales correspondaient à nos envies pour le film.

La lumière du film est assez discrète, était-ce un parti pris de départ ?

JC : Disons que de nombreuses séquences s’appuient sur la lumière proposée par les décors, que nous nous sommes attachés à retravailler. C’est entre autres le cas du centre commercial avec son mélange de températures de couleurs qui participe au caractère naturellement anxiogène du lieu.
D’une manière générale, je n’ai pas recherché l’effet mais quand même une ambiance propre à chaque séquence, dont certaine un peu plus marquée.

C’est un peu plus stylisé pour le braquage en extérieur nuit, comment as-tu travaillé la lumière de cette séquence ?

JC : Je voulais utiliser la lumière existante du quai de livraison, de gros réverbères sodium et de grands fluos positionnés très en hauteur. Mais j’ai changé d’avis au dernier moment et j’ai fait tout le contraire de ce qui était prévu pour aller vers une séquence dans une unité de température de couleur. Le grand nombre de plans à tourner, la caméra à l’épaule, la lumière qui devait marcher dans tous les axes ont aussi participé à ce choix de tout rééclairer.
Avec Ernesto Giolitti, le chef électro, on a opté pour des Mini Brute quatre lampes en 3 200 K, certains sur le toit du centre commercial et d’autres en accroche sur les réverbères. Ces projecteurs matchaient bien avec les tubes industriels qu’on avait homogénéisés. Finalement, d’avoir éteint les sodiums du décor a permis de se concentrer sur l’action et les protagonistes et de faire oublier les alentours de ce parking que l’on redécouvre plus tard dans le film, en jour.

Le découpage a-t-il été décidé en préparation ?

JC : Oui, on y a consacré plusieurs séances de travail avec Marianne, à Paris puis en repérages. C’était d’autant plus nécessaire que nous avions beaucoup de choses à tourner en peu de temps.
Nous voulions être avec Chérif tout le temps, pour renforcer cette idée d’impasse dans laquelle il se retrouve tout au long du film. Nous avions le souci de la bonne distance, de la bonne hauteur, et puis la cinégénie de Reda Kateb a fait le reste… La caméra ne cherche pas à se faire remarquer, mais nous n’avons pas eu peur des gros plans. Nous avons tourné presque exclusivement avec le 40 et le 50 mm.

Reda Kateb - Photogramme © La vie est belle - Oriflamme Films
Reda Kateb
Photogramme © La vie est belle - Oriflamme Films

Aviez-vous abordé des références de film au préalable ?

JC : Oui, en dehors des références que l’on connaît depuis longtemps, on a revu des films de James Gray pour la narration tendue et la façon de filmer assez directe, qui montre les choses sans détour. Et puis Shame, de Steve McQueen, pour la récurrence et la longueur de certains plans.

Quels réglages as-tu choisis pour les rushes et comment s’est passée la postproduction ?

JC : Pour les rushes, j’ai utilisé un gamma et une matrice de couleurs de la caméra et je passais une heure ou deux chaque soir à les retoucher avec le logiciel de back-up RedCineX qui propose quelques fonctions d’étalonnage. Je voulais que les images pour le montage soient proches du rendu final. Les essais d’avant-tournage ont été l’occasion de rencontrer l’étalonneur, Yov Moor. Il m’a proposé deux ou trois LUTs avec des caractéristiques de pellicules positives pour la direction générale.
A l’étalonnage, nous sommes repartis de l’image Log en y appliquant l’une de ces LUTs que l’on avait appréciée aux essais. D’autre part, je suis assez sensible à la texture d’image et bien qu’en numérique, nous avons pas mal travaillé sur le grain du film.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)