Le directeur de la photographie Christophe Duchange parle de son travail sur "Nos héros sont morts ce soir", de David Perrault

Originaire du Maine-et-Loire, Christophe Duchange a d’abord abordé l’image par le travail de photographe de presse. Migrant ensuite vers le milieu de l’audiovisuel, il a pratiqué le travail de chef électro en plateau à la télévision, au théâtre, puis en pub et en clip. Peu à peu, il passe chef opérateur sur des courts métrages, notamment avec son ami angevin David Perrault. C’est avec le même David Perrault qu’ils signent ensemble leur premier long métrage de fiction : Nos héros sont morts ce soir, un film en noir et blanc qui se déroule dans le milieu parisien du catch en 1960.
Sans doute le film français le plus intriguant de ce 66e Festival de Cannes. (FR)
Christophe Duchange - DR
Christophe Duchange
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Quelle est la genèse de ce premier long métrage ?

Christophe Duchange : Le projet a mis près de quatre ans à se monter. Mais tout s’est vraiment accéléré dans la dernière année, notamment après le feu vert de Canal+, qui a permis de déclencher toute une série de financements complémentaires en région, et boucler le budget (1,4 millions à l’origine, finalisé à 2,2 millions). Pendant ce temps, on a continué à travailler sur des courts métrages avec David, et même jusqu’à très récemment, puisque la postproduction du dernier (No Hablo American, un western tourné dans le sud de la France) vient à peine de s’achever. Nos héros s’est tourné à l’automne 2012, après une préparation qui nous a pris une grande partie de l’été. 34 jours de tournage, principalement en région pour recréer l’ambiance du Paris du début des années 1960.

En région ?

CD : Oui... on a tourné principalement dans la région de Tours et celle de Bordeaux. Le choix de tourner en région plutôt que Paris était essentiellement un choix de production, car nous avons pu obtenir une partie du financement via des aides locales. Après, le choix des régions s’est imposé par rapport à la nécessité de pouvoir recréer une ambiance parisienne d’époque sans rentrer dans trop de complications... Et puis la faculté de certaines régions à nous fournir une aide en matériel et en moyens humains. Bien sûr on a quand même tourné quelques plans de situations à Paris, histoire de situer tout de suite l’action au début du film.

Vous connaissez le réalisateur depuis longtemps, comment travaillez-vous ensemble ?

CD : Ce qui est bien avec David, c’est qu’on a vraiment la même culture cinématographique et les mêmes références. On n’a souvent pas trop besoin de se parler sur le plateau pour apprécier tel ou tel plan, ou telle ou telle lumière. Du coup, on essaie juste de faire selon nos goûts de spectateurs..
Pour ce film, par exemple, on a pensé aux Forbans de la nuit, et White Heat, deux classiques du cinéma noir. Les costumes et les accessoires d’Un singe en hiver ou de Touchez pas au grisbi nous ont aussi inspirés. Pour les intérieurs, je peux citer le travail de Sven Nykvist sur les films de Bergman, ou celui de Christian Berger sur Le Ruban blanc de Michael Hanneke. Une lumière glacée, avec beaucoup de densité. Autrement Raging Bull est dans toutes les mémoires dès qu’il y a un ring à l’image en noir et blanc ! Là, on a plutôt essayé de se démarquer de ce film mythique !

Vous êtes-vous immergés dans la lumière des années 1960 ?

CD : On a surtout essayé d’utiliser beaucoup de sources de lumière de ces années-là... Le chef décorateur nous a fourni beaucoup de lampes et d’appliques qu’on a pu placer à l’image. Certaines scènes, comme celle du vestiaire, sont éclairées par des fluos tels qu’ils étaient déjà utilisés dans ce genre de lieu à l’époque. Dans la salle de combat, on a pu jouer avec des projecteurs d’époque à réflecteurs, avec des lampes épiscope qui fonctionnaient réellement. Pour l’éclairage du ring en lui-même, on a conçu, avec mon chef électro, un luminaire en forme de pyramide inversée remplie d’une multitude d’ampoules tungstène.
C’est un objet un peu bizarre mais qui s’intègre assez bien dans le décor et qui évoque ce genre de fabrication artisanale que pouvaient très bien entreprendre les responsables d’un tel lieu. Les centaines d’ampoules qui composaient le luminaire étaient câblées sur plusieurs circuits séparés, de manière à pouvoir faire varier la lumière en intensité et en surface suivant les scènes. Rien que pour arriver à l’installer au-dessus du décor du ring, il a fallu mettre au point une structure de machinerie qui partait des encadrements de vitraux car il n’y avait absolument aucune solution d’accroche depuis la voûte située à une quinzaine de mètres au-dessus. Quasiment une semaine de prélight a été nécessaire sur ce lieu...

Quelle est votre méthode de travail en tant qu’opérateur ?

CD : J’essaie à chaque fois de donner un maximum de latitude de jeu au réalisateur et aux comédiens dans le cadre esthétique mis au point pour le film. Ça repose essentiellement sur une grande préparation en amont, pour travailler vite sur le plateau, et aussi une collaboration avec mon cadreur, mon chef électro et mon chef machino.
J’avoue que la démocratie au sein d’un tournage est pour moi fondamentale ! Sur ce film, comme sur les courts métrages qu’on a tournés précédemment avec David, on est à l’écoute de ce que l’équipe, toujours très impliquée, peut proposer. D’ailleurs, c’est à peu près avec les mêmes personnes que tous ces films se sont tournés.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)