Le directeur de la photographie David Cailley parle de son travail sur "Les Combattants", de Thomas Cailley

Thomas Cailley et son frère David sont aux commandes d’un premier film sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. Ces deux jeunes cinéastes, issus respectivement de La fémis et de Louis-Lumière (promotion 2009), ont déjà travaillé ensemble sur un court métrage Paris Shanghai, qui a valu à David le Fuji Award 2011 de l’image.
Thomas et David Cailley sur le tournage des "Combattants"
Thomas et David Cailley sur le tournage des "Combattants"

Quelle est la genèse de ce premier film avec votre frère ?

David Cailley : Les Combattants est un film que Thomas a commencé à écrire lors de sa dernière année d’études à La fémis, en section scénario. Ça fait donc un peu plus de trois ans qu’on réfléchit ensemble au film, au fur et à mesure des versions. Le fait d’en parler beaucoup en amont était très précieux pour nous mettre d’accord sur les choix d’images et gagner ainsi du temps en préparation, pour se consacrer ensuite au découpage.
Des repérages très en amont nous ont permis de nous mettre d’accord sur les ambiances et ce que les décors extérieurs devaient raconter : le bord de lac, la forêt… On a finalement tourné à l’été 2013, pendant six semaines et demi, entre début août et mi-septembre, entre la Gironde, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques. Le film a été fait avec 1,5 millions d’euros. J’avais six personnes avec moi, deux assistants caméra, deux machinos et deux électros.

Comment l’image du film s’est-elle construite ?

DC : Le film est divisé en trois parties, d’abord dans une petite ville de bord de lac des Landes où le personnage d’Arnaud évolue, ensuite dans le camp militaire et enfin dans la forêt. Pour mettre au point la tonalité des différentes parties, on a fait un grand tableau avec toutes les scènes du film et à chaque fois des références visuelles : des photos (Philip-Lorca Di Corcia, William Eggleston…), des tableaux (Edward Hopper, Brent Lynch, David Hockney…), et des photogrammes issus de films très variés (A Serious Man, Swimming Pool, Skyfall, Take Shelter ou Social Network… ).

Nous nous sommes aussi servis d’images trouvées sur Internet ou prises en repérages, et peu à peu on s’est aperçu que pas mal des décors et d’ambiances de la première partie (le lac, la piscine, la boite de nuit...) nous guidaient vers le bleu. Cette dominante bleue laisse peu à peu la place au vert pour tout ce qui se passe dans le camp militaire. Et puis dans la forêt, pour la dernière partie du film, on s’est dirigé vers des tonalités plus chaudes, avec une lumière de fin de journée, le jaune du sable de la rivière… Finalement cette évolution nous a semblé assez justifiée, vu le sujet de fond : le trajet d’un personnage qui part d’un deuil pour ensuite s’ouvrir au monde.

Des inspirations de mise en scène ?

DC : Thomas avait envie que le film démarre en étant posé, cadré et devienne plus libre au fur et à mesure que l’histoire entre Arnaud et Madeleine évolue. Là encore, un peu comme le personnage d’Arnaud s’ouvre au monde, la caméra passe progressivement à l’épaule, dans une forme plus dynamique. L’une de nos références principale pour ce type de mise de scène était Y tu mama tambien, d’Alfonso Cuaron, entièrement tourné à l’épaule, ce qui donne un vrai sentiment de liberté. Thomas aime aussi beaucoup le cinéma des frères Coen, et il avait en tête No Country For Old Men pour la précision du découpage, des raccords, des plans subjectifs : ce que le personnage voit et ce que le spectateur découvre avec lui.
J’ai pensé aussi à Paris Texas pour ses ambiances colorées et ses fins de journées où lumière artificielle et lumière naturelle se mélangent. On est allé chercher aussi du côté de la photographie, notamment à travers le travail de Grégory Crewdson qui nous parlait beaucoup, là encore par l’ambiance lumineuse parfois artificielle des fins de jour reéclairés.

Grâce à ces directions, on a cherché à s’éloigner un peu du naturalisme, avec du contraste, des couleurs et un univers qui tend parfois vers l’onirique ou le surnaturel. On a par exemple opté pour une séquence de nuit américaine dans la forêt (vers la fin du film) tournée au coucher du soleil pour avoir un rendu très bas contraste, en faisant parfois chuter la luminosité pendant un plan à l’étalonnage, afin que les yeux du spectateur ne s’habituent pas trop à l’obscurité, on voulait que l’œil continue à chercher… Je suis assez content du résultat doux qu’on obtient.

Et le décor du camp militaire ?

DC : Les nuits en forêt ont été éclairées avec des projecteurs en 3/4 contre ou latéraux pour les fonds. Pour les acteurs, on voulait jouer avec des lampes à gaz et des lampes torches, on a donc dû adapter un niveau de lumière général assez faible afin que toutes les petites sources puissent avoir un véritable effet sur le décor et sur les acteurs. L’important pour Thomas était de sentir le moins possible les projecteurs sur les acteurs, il voulait que seuls les yeux émergent du noir, ce qui était rendu très difficile par le maquillage militaire brillant et très sombre. C’était un vrai challenge !

Quel matériel avez vous choisi ?

DC : En préparation, on a fait des tests comparatifs chez Technicolor entre la Red Epic en 6 pour 1 et l’Alexa utilisée en Prores 4:4:4. On avait vraiment plus de couleur avec la RED et une image de base moins grise et plus contrastée. Ce qui correspondait plus à ce qu’on s’était fait de l’image du film.
En outre j’ai été très satisfait de la latitude d’étalonnage à partir du signal RED. Pour les optiques, j’ai choisi les Cooke S4 pour leur douceur ce qui cassait un peu la définition 5K de la RED, avec en plus une série Classic Soft pour parfaire les choses.

Avez-vous utilisé le mode HDR de la RED ?

DC : Le mode HDR a été utilisé au début du film sur deux plans, qui n’ont finalement pas été montés. C’était pour casser une brillance dans l’image mais ça n’a pas vraiment bien fonctionné. Comme la procédure est un peu contraignante, on a rapidement laissé tomber cette option, et je dois dire qu’à l’étalonnage avec Natacha Louis, on n’a pas vraiment trouvé plus de dix plans où le HDR nous aurait peut être aidé...

Avez-vous eu recours à des effets spéciaux numériques ?

DC : La séquence de fin dans la fumée à été réalisée presque entièrement en VFX à la Compagnie générale des effets visuels, après en avoir beaucoup parlé en préparation et avoir hésité avec des effets de plateau. Nous avons été très impressionnés par le résultat final !
Pour le tournage de cette séquence, nous avons tourné dans la continuité, en laissant le jour décliner pour les trois derniers plans, puisque c’était l’intention de la séquence, afin de terminer pour le dernier plan dans une ambiance beaucoup plus contraste, de nuit, éclairée par deux projecteurs en contre jour, qui simulent des phares de voiture.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)