Le directeur de la photographie Guillaume Schiffman, AFC, parle de son travail sur "Bonne figure", de Sandrine Kiberlain

Le Graal des Actrices

par Guillaume Schiffman

Réunies en clôture de cette 55e Semaine de la critique, les comédiennes Laeticia Casta, Chloé Sevigny et Sandrine Kiberlain sont venues montrer au public cannois leurs première œuvres respectives en tant que réalisatrices. Si les deux comédiennes françaises ont toutes deux choisi un thème lié au showbusiness (une soirée dans la vie d’une actrice pour Bonne figure et la journée d’un metteur en scène au bord de la crise de nerf pour En moi), l’égérie du cinéma indépendant US a, elle, opté pour un film plus onirique mettant en scène la très simple mutation d’une fillette en chaton. Guillaume Schiffman, AFC, nous parle du tournage de Bonne figure. (FR)

Premier film
Bonne figure est partie d’une envie très simple, très instinctive de Sandrine Kiberlain. Comme souvent sur les premiers films, j’ai essayé de m ’impliquer sans pour autant prendre le pouvoir. Lui laisser le temps de mûrir son découpage... Par exemple, son envie de mouvements pour le début du film, avec notamment ce long plan séquence au Steadicam du milieu de la réception à sa sortie du théâtre.
Ça permettait de noyer un peu Chiara Mastroiani dans ce flot de personnes, de recréer ce tourbillon visuel et sonore. Au contraire, pour la deuxième partie, quand elle rentre seule chez elle, tout devait soudain devenir très fixe. Par exemple, cette série de plans avec le lit où elle se démène avec la fermeture éclair de sa robe. Cette fixité renforce bien sûr l’effet comique de la situation, mais aussi la solitude un peu tragique de cette femme.

Le Noir et Blanc
Le noir et blanc nous a surtout servi à décontextualiser l’histoire. Sandrine ne souhaitait pas qu’on reconnaisse l’époque, ni certains éléments comme la voiture. On a même passé du temps à trouver le modèle adéquat, ni trop récent ni trop ancien... une espèce de décor transparent. A ce sujet, Sandrine m’a parlé du noir et blanc de Huit et demi, et de La Peau douce, deux passerelles évidentes vers Chiara Mastroiani. J’aime d’ailleurs beaucoup cette séquence en voiture dans laquelle elle tente de chanter en yaourt sur un tube italien !
Le film est finalement tout en nuances de gris, un peu à l’ancienne, très en rupture avec ce qui est actuellement tourné en pub ou en clip. Comme j’avais déjà pu tester la caméra Red Monochrome sur quelques tournages pubs auparavant, ça a été pour moi l’excellente occasion de l’utiliser sur une courte fiction, avec un traitement d’image adapté à la situation.

La douceur et la texture
On est parti sur des optiques douces (des Cooke S5), associés souvent à des diffuseurs Mitchell qui permettent de casser la définition et le contraste fort de la RED sans pour autant ramener des halos dans les hautes lumières. C’est particulièrement visible sur les plans à la fin, dans la chambre, avec les nombreuses lampes et appliques dans le champ. Lors de l’étalonnage, on a pu, avec mon complice Richard Deusy, rajouter un peu de texture ce qui a abouti à une tonalité que je trouve très proche du rendu pellicule.

Tourner en Monochrome
Un des avantages de tourner avec une caméra Monochrome, c’est bien sûr de pouvoir mélanger les sources comme on veut. Sur la plupart des scènes, des projecteurs LED SL1 sont par exemple utilisés sur les visages, tout en se mélangeant avec de la lumière tungstène en arrière-plan sans n’avoir à craindre aucune dérive ni dominante comme en couleur.
Sur la scène tournée au théâtre du Châtelet, j’ai pu utiliser les gamelles en place pour les spectacles (qui étaient parfois gélatinées en rouge ou en bleu très denses) sans me préoccuper de quoi que ce soit, le rendu sur un moniteur de plateau étant particulièrement fidèle avec cette caméra. C’est un peu du « What you see is what you get », c’est très agréable et on gagne bien sûr beaucoup de temps en installation.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Dans le portfolio ci-dessous, quelques images de Chiara Mastroiani dans Bonne figure.