Leçon de choses ou de l’usage de la fiction pour adoucir les mœurs…

par Jean-Noël Ferragut

par Jean-Noël Ferragut La Lettre AFC n°183

Parmi les billets d’humeur auxquels vous aurez eu la chance d’échapper ces dernières années, il en est un provoqué en son temps par la disparition annoncée des lucioles et autres vers luisants due à la prolifération tous azimuts de l’éclairage urbain. Etait-ce l’informatique l’une des causes, elle a bon dos parfois, qui a fait que ce billet, n’ayant sans doute pas bonne presse à ses yeux, a été relégué dans les colonnes de la rubrique " documents écrasés "…

Rien de gravissime en soi, comparé à ce qui agite le monde par les temps qui courent, du meilleur en passant par le pire, si ce n’est le fait que les plus sensibles d’entre nous devront se résoudre un jour ou l’autre à verser une dernière larme sur l’extinction de deux de nos plus mystérieuses sources de lumière naturelle !
Or voici nos lucioles à nouveau sur le devant de la scène, sous le feu des projecteurs dirions-nous, toute proportion gardée, accrochées aux cimaises d’une galerie parisienne par la volonté artistique d’un photographe, Michel Séméniako*. Celui-ci met en scène, dans le champ de son objectif, des paysages verdoyants et nocturnes illuminés d’une envolée de lucioles, ces sources que pourraient qualifier non sans une certaine emphase de " diégétiques " certains de nos chers étudiants en cinéma, si par malheur ils avaient mal digéré la lecture ou l’écoute intensive d’universitaires de talent.

Nommées sous d’autres cieux mouches à feu, les lucioles, ces créatures enchanteresses des nuits chaudes, et chez nous estivales, émettent, tout comme leurs larves, les vers luisants, de la lumière visible au moment de leurs parades amoureuses par un phénomène appelé bioluminescence. Ces petites bêtes sont capables de produire de l’énergie lumineuse à partir d’énergie chimique.
Les cellules d’une partie de leur abdomen contiennent une protéine, la luciférine, qui, une fois oxydée à l’aide d’un enzyme, la luciférase, émet de la lumière colorée (bleue, verte, jaune ou rouge selon les espèces). Cette lumière émise est froide, car, contrairement au soleil et à d’autres sources telles que les ampoules à incandescence **, presque toute l’énergie est transformée en lumière et très peu en chaleur.
En règle générale, le mâle vole alors que la femelle reste à terre. Passons sur l’alchimie complexe des échanges à l’intérieur de l’abdomen donnant naissance à l’une des couleurs précitées. L’habit ne faisant pas nécessairement le moine, passons également sur l’horreur des cruels festins auxquels se livrent ces prédateurs lumineux dont nombre de gastéropodes sont les premières et innocentes victimes.

Profitons par contre de ces périodes de fêtes pour détendre une atmosphère morose et laisser voguer ce billet vers la lumière-fiction. Sous le chapiteau d’un cirque imaginaire, où l’on croiserait, entre clowns et acrobates, un de ces fameux dompteurs de puces, rêvons plutôt d’un dresseur de lucioles dont le numéro, ou plus exactement le travail, connu des plateaux du monde entier, consisterait à réunir, si le temps est serein, les espèces par émission de couleur, discrimination positive oblige, les " bleues ", les " vertes ", les " rouges ".
Et à les mélanger, par petits groupes de trois, dosant habilement la trichromie, en artiste, pour ne faire qu’une seule et unique nuée de lumière blanche, telle le plus large de nos ballons éclairants. Et si un certain Monsieur Loyal, verre de contraste et thermocolorimètre en main, trouvait sa lumière un peu froide, qu’à cela ne tienne, il courrait à l’arrière du camion chercher une volée de " jaunes " restées sagement sur une étagère, histoire de réchauffer la scène. Même chose avec quelques vers luisants en guise de bain de pied pour remonter le niveau de la lumière ambiante… Et voilà bien, par temps de crise, un nouveau métier pour les années à venir !

Et partant du principe qu’une fausse bonne idée peut en cacher une autre, voici livré à votre curiosité un deuxième sujet de lumière-fiction. Ce que vous n’auriez pas trouvé dans le " billet écrasé " dont il est question plus haut, c’est une information lue tout récemment dans la presse et qui laisse rêveur à plus d’un titre.
Dans un article consacré à la condamnation par le tribunal de grande instance de Tulle de RTE, Réseau de transport d’électricité, filiale d’EDF, à verser de grosses sommes pour les dommages causés par les méfaits des ondes électromagnétiques qu’émettent les lignes à très haute tension (THT, entre 250 000 et 400 000 volts) sur les animaux de ferme d’une famille de paysans, on pouvait lire que « ces ondes sont tellement puissantes qu’elles sont capables d’allumer un néon tenu à bout de bras en plein champ ! ».

Rêvons donc à nouveau et posons quelques questions frappées au coin du bon sens. Au lieu d’installer des studios de cinéma au beau milieu de champs de pommiers ou dans d’anciennes usines électriques désaffectées, pourquoi ne pas les faire sortir de terre tout juste sous des lignes THT aux abords de nos villes, là où l’on en entend grésiller des dizaines à la ronde ? Et par conséquent, pourquoi ne pas économiser l’énergie dispensée par les groupes électrogènes en demandant à nos amis électriciens de tenir à bout de bras dans chaque main un ou plusieurs tubes fluorescents ? Un peu comme là-bas, du côté de " Bollywood ", où l’on compterait, selon une légende colportée par de grands voyageurs, un électricien par pied et par projecteur…
Mis à part le fait, et c’est à prendre le plus sérieusement du monde s’agissant de l’impact sur la santé, pour résumer et être bref, qu’il est recommandé d’appliquer le principe de précaution et d’éloigner toute habitation d’au moins 400 mètres des lignes THT, si l’on est assez malin pour trouver la parade et passer au travers des mailles du filet santé-sécurité, voilà bien du travail assuré pour une génération d’électriciens !

Comme quoi, pour trois euros six centimes de fiction, la lumière peut faire tomber quelques pans les plus durs de la réalité de la vie… CQFD.

Lettres d'amour des mouches à feu - Photographie de Michel Séméniako
Lettres d’amour des mouches à feu
Photographie de Michel Séméniako

Notes
* Depuis 1980, Michel Séméniako photographie de nuit paysages, architectures et objets. Il privilégie les lieux de mémoire sur lesquels il intervient à l’aide de faisceaux lumineux. Pratiquant des temps d’exposition très longs, il se déplace, sans jamais apparaître, dans l’espace photographié qu’il éclaire à l’aide d’une torche électrique diversement colorée.
Consulter le site www.michel-semeniako.com

** Ampoules dont la suppression est aussi annoncée d’ici le 1er septembre 2012 par l’Union européenne.