Lettre ouverte des créateurs

L’AFC signataire

La Lettre AFC n°248

A quelques semaines de la nomination d’un nouveau PDG à France Télévisions, le Groupe 25 images a publié, le 31 octobre dernier, un communiqué en forme de lettre ouverte dans laquelle les réalisateurs de films de télévision dressent un état des lieux de la fiction française aujourd’hui, de la production à la création, et s’inquiètent pour son devenir. A l’instar de onze autres associations, l’AFC a signé cette lettre du Groupe 25 images dont nous publions ci-dessous le contenu.

Vive la télé !
« C’est dans les temps de crise qu’il faut doubler le budget de la culture. » Victor Hugo
La télévision est devenue la première – et parfois la seule – pratique culturelle des Français. Elle devrait donc être une fenêtre essentielle de notre culture populaire vivante. Mais la France occupe le dernier rang européen en volume de production de fiction ! Pourquoi ?
1. Le budget global de la fiction française est tombé à la moitié du budget anglais et au tiers de l’allemand…
2. Notre contribution à l’audiovisuel public (ex-redevance) est basse : 133 euros par an, pour 182 euros au Royaume-Uni, 215 en Allemagne, 240 en Suède et 345 au Danemark ! La qualité des programmes de création (fiction, animation, documentaire, spectacle vivant) s’en ressent directement. Et nous sommes les seuls en Europe à ne pas tenir compte de la multiplication des écrans (tablettes, ordinateurs, smartphones…).
3. La France est le seul pays européen à diffuser autant de séries étrangères à 20h501. TF1 et M6 en diffusent en flot quasi-ininterrompu, et M6 ne produit plus de fiction pour cette tranche horaire.
4. L’interventionnisme des diffuseurs auprès des auteurs (scénaristes, réalisateurs, compositeurs) et des producteurs, souvent jusque dans le choix des acteurs et de la musique, est devenu contre-productif tout particulièrement en fiction, genre qui est passé du statut " d’œuvre " à celui de " produit "…
5. Six ans après la suppression de la publicité après 20h sur la télévision publique au profit du privé, la stratégie paradoxale qui a consisté à, plus que jamais, faire la course à l’audience avec TF1 et M6 a rencontré considérablement plus d’échecs retentissants que de réussites. Alors même que cette suppression de publicité devait libérer la création de la contrainte du chiffre !

Notre fiction nationale a perdu son feu créatif, et son savoir-faire. A part quelques trop rares (et très réussies) exceptions, elle s’est banalisée, formatée, refroidie. Notre télé s’étouffe, se nivelant par le bas, dans un parfait mépris du téléspectateur. Alors que le principe même de la fiction, pour étonner et séduire le public, c’est de transgresser les règles, d’oser, d’innover, d’inventer !
Les séries étrangères ne cessent de nous le prouver par leur diversité sociétale, leur insolence, la puissance et la liberté de leurs personnages, mais aussi la diversité des genres abordés : on y ose la science-fiction, le moyen-âge, le surnaturel, le super-héros, la guerre, la folie, les lesbiennes décomplexées, la religion… et même les pauvres !
Le petit écran (de plus en plus grand) devrait être le témoin de notre époque, le miroir de nos imaginaires. Pas celui de l’humeur des programmateurs qui imposent aux téléspectateurs ce qu’ils doivent regarder en prétendant savoir ce qu’ils veulent ! Le marketing doit être au service de la création, et non l’inverse.
A ce titre, la création sur France Télévisions devrait être un laboratoire d’idées. Elle devrait être audacieuse, surprenante, passionnée, transgressive, irréprochable, et montrer l’exemple aux diffuseurs privés.

« La télévision publique est là pour servir les citoyens et pas l’État ou les lobbys. » Chris Patten, Ex-PDG de la BBC
Quand allons-nous enfin nous réveiller pour sauver notre fiction ? Quand allons-nous briser l’hégémonie des fictions étrangères, et prouver à notre public que, nous aussi, nous sommes capables de rivaliser, d’inventer, de créer, de dépasser ! De le séduire.

Le problème, en France, n’est en aucun cas créatif, mais uniquement systémique.
Si nous laissons faire, le public va fuir sur Netflix, Hulu ou Amazon, à huit euros par mois ! Alors restaurons à tout prix la qualité par des financements ambitieux. Par exemple, le budget de Marseille, la première série française coproduite par Netflix, avoisine celui des séries Canal+ : de 1,5 à 2 millions d’euros par épisode. Un épisode de série française habituelle dépasse rarement 800 000 euros, pour 2 à 4 millions d’euros en série US.
C’est au prix de cette ambition que France Télévisions exportera ses fictions, comme Canal+ sait le faire…