Mathieu Plainfossé, AFC, "Partir ailleurs"
Par Ariane Damain Vergallo, pour Ernst Leitz WetzlarPour la génération qui suit, l’évolution de la société amène son lot d’incertitudes et d’échecs qui éloigne les hommes de la famille et laisse les enfants à leurs mères. Mathieu Plainfossé est alors élevé par des femmes bienveillantes mais sévères de peur que ce petit garçon aimable mais dissipé ne suive les traces d’un géniteur trop flamboyant pour mener à bien ses projets.
Il habite Boulogne-Billancourt avec sa mère et sa sœur aînée et se désintéresse complètement de l’école où, mauvais élève, il n’obtient aucune reconnaissance et où il finit par croire qu’il n’est pas quelqu’un de bien. À part le foot avec les copains de son âge, un de ses plus grands plaisirs est celui du dimanche après-midi quand son père l’emmène au cinéma voir des films comme Top Gun et Greystoke où des hommes, incarnés par Tom Cruise et Christophe Lambert, sont enfin des héros.
Pourtant en classe de 3e, M. Lesage, son professeur de français, le distingue enfin et, semaine après semaine, lit ses rédactions à la classe. Une petite lueur s’allume alors comme un début de confiance en lui et d’espoir en son avenir.
Le baccalauréat scientifique est obtenu tardivement. Nous sommes en 1999 et Mathieu Plainfossé a 20 ans. Comme il n’a absolument aucune idée de ce qu’il voudrait faire, il entreprend des études de médecine. C’est une erreur bien sûr et il s’en aperçoit d’une étrange manière.
La faculté de médecine est située près du jardin du Luxembourg où il passe beaucoup de temps à se promener et à lire Crime et châtiment, de Dostoïveski, qui raconte l’histoire d’un jeune homme de son âge qui commet un crime à titre expérimental et en observe attentivement les conséquences. Ce livre, on ne sait pourquoi, est une révélation. Il arrête les études de médecine et convainc sa mère de se lancer dans des études de cinéma.
Son parrain, croyant le sermonner, lui communique à l’inverse une rage de réussir et de prouver à la terre entière qu’il a raison de suivre son instinct.
Et, alors qu’il s’était lancé dans diverses expérimentations hasardeuses, il devient subitement sérieux et se lance dans les études de cinéma avec passion.
Il obtient le BTS audiovisuel Image et, durant deux ans, avec quelques amis commence à participer comme électro à quelques tournages mais le "grand" cinéma est loin.
Il se souvient alors que le voisin de la maison familiale de Saint-Malo est un producteur, Éric Névé, qui lui donne le numéro de téléphone du chef opérateur Guillaume Schiffmann qu’il harcèle au téléphone pendant des semaines jusqu’à ce que celui-ci, excédé, le propose comme stagiaire électro sur un court métrage.
De cette première expérience, en extérieur et en plein hiver, il retient qu’il faut impérativement avoir des vêtements très chauds et il s‘équipe en conséquence.
Éric Névé le prend ensuite comme stagiaire sur un long métrage mais il se rend compte qu’il n’est que "le stagiaire amené par la production", une position assez défavorable pour rentrer dans une équipe. Un téléfilm plus tard, il fait aussi le constat que cinéma est une famille avec ses codes et ses usages propres et qu’il n’est pas si facile d’en faire partie.
Pour parfaire sa formation, il fait alors un stage d’étalonnage avec Isabelle Julien au laboratoire Éclair sur une nouvelle machine, le Lustre.
Nous sommes à l’aube des années 2000 et le numérique est en plein essor. Il est ébloui par le travail d’Yvan Lucas sur le film Alexander, d’Oliver Stone, et n’en revient pas de côtoyer les stars de l’image alors qu’il n’a que 20 ans.
« En regardant leurs images, je me suis projeté dans l’esprit de grands chefs opérateurs comme Tetsuo Nagata et Rodrigo Prieto et j’ai entrevu ce que pouvait être la cinématographie. »
S’ensuivent plusieurs courts métrages comme machino puis des mois de galère où il travaille comme vestiaire dans une boîte de nuit, le Tryptique.
En 2005, Mathieu Plainfossé a 26 ans et tout arrive en même temps. Il fait ses premiers clips comme chef opérateur et, parallèlement, est engagé comme second assistant caméra sur le plus gros film de l’année, Da Vinci Code, tourné en 35 mm.
Au musée du Louvre il charge les magasins des cinq caméras du tournage devant La Joconde et Les Noces de Cana. C’est « une expérience phénoménale » qui lui donne des ailes.
Il devient ami avec André Chemetoff et Laurent Tangy, surnommé "Renzo", dont il sera aussi l’assistant. Ils partagent tous les trois une ambition et un même amour du cinéma et de la lumière. Renzo sera le parrain de sa fille née à un mois d’écart de celle d’André Chemetoff. Une génération de jeunes chefs opérateurs prometteurs est en train de naître et ils resteront amis.
Puis tout s’accélère avec les premières pubs tournées à l’étranger. Le producteur Mourad Belkeddar monte sa boîte Iconoclast et produit l’artiste Yoann Lemoine "Woodkid", qui réalise le très beau clip "Iron" dont Mathieu Plainfossé fait la lumière.
Ce clip, en noir et blanc, est tourné en studio sur fond vert incrust. Il teste diverses quantités de lumière sur le fond vert afin d’amener des densités de gris différents qui serviront d’écrin à un subtil travail de lumière en avant-plan.
"Iron" est un succès international - le clip fera 100 millions de vues sur YouTube - ce qui l’oblige à prendre un agent aux USA. Sa carrière explose déjà alors qu’elle a à peine commencé. La pub et le clip le réclament tandis que le cinéma s’éloigne momentanément et qu’un premier divorce se profile à l’horizon.
Mathieu Plainfossé part s’installer à New-York suivre « un amour d’été qui s’est transformé en amour d’hiver ». Une nouvelle compagne et un nouvel enfant.
Il travaille sur des grosses pubs et les clips des stars comme Sia, Taylor Swift ou Katy Perry. Il devient bilingue et fait ses premiers longs métrages dont The Iron Orchard, de Ty Roberts, qui sera promu à Camerimage en 2018. « C’est à Camerimage, alors que j’avais déjà 40 ans, que j’ai commencé à être un peu content de ce que je faisais. »
En 2019, il divorce et rentre en Europe. À Paris, il habite chez sa mère, dans l’appartement de son enfance mais, la plupart du temps, vit à Londres où la mère de son fils s’est installée. Il commence à travailler sur des séries Netflix comme "Mortel" et "La Révolution" et continue de traverser l’Atlantique pour des pubs aux USA jusqu’à ce coup de fil, en novembre 2019, qui allait durer plus d’une heure, où le réalisateur Anthony Byrne lui propose de tourner la sixième saison de la série "Peaky Blinders". Il commence les repérages à Manchester et photographie tous les décors du XIXe siècle avec son boîtier Leica M6.
Mais, début 2020, le Covid survient et le confinement est décrété à une semaine du début du tournage. Mathieu Plainfossé file alors à Paris avec son jeune fils de 3 ans.
Il est épuisé et accueille avec bonheur ce moment suspendu en tête-à-tête avec son fils. « À cette époque je vivais à cent à l’heure, le confinement m’a sauvé la vie. »
C’est donc heureux et en pleine forme qu’il attaque ensuite, à Manchester, le tournage de la saison 6 de "Peaky Blinders" qui se tourne en large format avec trois univers distincts.
Pour deux d’entre eux, les optiques Leica R et M0.8 de Leitz s’imposent « brillantes et claires avec de la beauté dans les flous et aussi, comme ce sont à la base des optiques photo, une légère distorsion du suivi de point qui m’a paru intéressante ».
Bizarrement le succès international de la série lui redonne du crédit en France et en Allemagne. Il tourne alors deux premiers longs métrages dont Tropic, d’Édouard Salier qui est ce réalisateur, devenu un ami, qui lui a fait faire ses premières armes 12 ans auparavant.
Il le retrouve en 2023, sur la série Canal Plus "Les Sentinelles" qui se déroule durant la guerre de 14-18.
Cette collaboration étroite avec un réalisateur l’enchante particulièrement car Mathieu Plainfossé ne se sent vraiment à sa place que quand il se met au service d’un cinéaste et d’une histoire.
« Je ne suis pas un skipper incroyable mais je suis un très bon matelot. »
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