Membre du jury de la Caméra d’or, une expérience exceptionnelle

Par Nathalie Durand, AFC

par Nathalie Durand Contre-Champ AFC n°343

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8h30, les lumières s’éteignent et le film commence. Début d’une journée de festivalière. Début de journée pour une membre du jury de la Caméra d’or. Je suis très honorée et reconnaissante à l’AFC d’avoir pu passer ces deux semaines à Cannes. J’ai tenté de faire de petites apparitions du côté du stand de l’AFC mais mon emploi du temps ne m’a pas laissé beaucoup de créneaux. Voir des films fut l’unique occupation pendant dix jours, en parler, en discuter, partager mon ressenti avec les autres membres du jury.

Un jury composé de six personnes cette année : Anaïs Demoustier, la présidente, Raphaël Personnaz, Sophie Frilley (pour la Ficam), Nicolas Marcadé (pour le syndicat de la critique SFCC), Mikaël Buch (scénariste-réalisateur pour la SRF) et moi-même (pour l’AFC). J’en profite ici pour les remercier et leur dire à quel point leur compagnie a rendu cette expérience passionnante et joyeuse !

Les membres du jury de la Caméra d'or - De g. à d. : Anaïs Demoustier, Mikaël Buch, Raphaël Personnaz, Nicolas Marcadé, Sophie Frilley et Nathalie Durand
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Les membres du jury de la Caméra d’or
De g. à d. : Anaïs Demoustier, Mikaël Buch, Raphaël Personnaz, Nicolas Marcadé, Sophie Frilley et Nathalie Durand _

Aller au cinéma, c’est une chose que je fais toute l’année. Le plaisir de voir un film en salle, je l’éprouve régulièrement. Alors ? Où est la différence ? Comment se fait-il qu’à Cannes au cours du Festival, la sensation est tellement plus prégnante ? Parce que vraiment, voir les films tout au long de la journée jusque tard le soir pour certaines, dans des salles combles et attentives nous plonge dans une véritable communion. L’air est plus dense, le silence plus enveloppant, l’écran le centre de toute notre attention.
La tâche était ardue car sur 23 premiers films, il nous fallait en choisir un et un seul. 23 films qui viennent des quatre coins du monde, 10 nouvelles réalisatrices et 13 nouveaux réalisateurs. Des talents à découvrir, des créations à savourer, des erreurs à pardonner.
Assez vite nous avons compris au sein du groupe que les valeurs que nous recherchions dans ces premiers films, c’était un regard et une âme.

Nous avons vu les films tous les six ensemble et échangé à chaud au sortir de la projection. Puis trois fois au cours du Festival nous avons fait des pré-délibérations. Ce qui fait que la délibération finale du samedi matin (jour de la cérémonie de clôture) ne nous a pas pris trop longtemps… Nous sommes tombés d’accord sur l’attribution de la Caméra d’or à Pham Thien An pour son film Inside a Yellow Cocoon Shell (ou, mystère de la traduction, L’Arbre aux papillons d’or, en français). Encore un film de 3 heures vous allez me dire… mais il y a là une œuvre singulière avec un premier plan magnifique qui nous permet de glisser doucement dans ce voyage. Les choix formels de ce jeune cinéaste de 33 ans pour être audacieux n’en sont pas moins enthousiasmants. On attend avec confiance les films à venir.

Pham Thien An , Caméra d'or en mains, et Anaïs Demoustier
Pham Thien An , Caméra d’or en mains, et Anaïs Demoustier
Pham Thien An et sa Caméra d'or
Pham Thien An et sa Caméra d’or

Longtemps le film How to Have Sex, de Molly Manning Walker, récompensé par le prix Un Certain Regard, nous a trotté dans la tête. Le film russe d’Ilya Povolotsky, Blazh (La Grâce) m’a particulièrement touchée par ses longs plans chorégraphiés (tourné en Super 16 mm). Je voudrai citer aussi Les Meutes, de Kamal Lazraq, Banel et Adama, de Ramata-Tolaye Sy, tous deux impressionnants (Amine Berrada à l’œuvre pour l’image !). Et The Feeling That the Time for Doing Something Has Passed, de l’Américaine Joanna Arnow, qui nous a proposé un cinéma complètement décalé, sincère, déroutant. Il me tarde de voir la suite de son travail.

Vous l’aurez compris, c’est une expérience exceptionnelle. En tout cas en ce qui me concerne, j’ai vécu cette bulle cannoise comme un voyage extraordinaire avec mes comparses du jury.
C’est difficile de faire abstraction de nos différences culturelles et d’arriver à définir notre jugement sur des œuvres qui peuvent nous paraître insipides ou violentes.
Il a été souvent question, dans ces premiers films, de la condition des femmes, des menaces qui pèsent sur leur quotidien. Et de manière générale, de la quête d’une vie plus sereine. Partout dans le monde, l’argent ou les moyens de subsistances semblent une lutte de tous les jours. Sans parler de la violence des rapports humains…

18 pays, 18 cultures, 23 manières d’en parler. Le Festival de Cannes est une belle agence de voyage. On est passé par la Chine, le Vietnam, la Corée, la Malaisie, le Pakistan, la Mongolie, la Russie, le Soudan, la Jordanie, le Congo, le Sénégal, le Maroc, le Chili, le Brésil, l’Algérie, la Belgique, le Royaume-Uni, les États-Unis, et la France. Pas étonnant que je sois fatiguée !

Je ne peux pas ignorer les différentes polémiques qui ont émergé avant et au cours du Festival. Mais j’ai savouré le cinéma indépendant, courageux et il m’a paru plus que nécessaire de continuer à le célébrer. En cela, la sélection des films de la Quinzaine était formidable.

Il faut aussi saluer la délicatesse de l’encadrement du jury de la Caméra d’or : Stéphane Letellier et Olivier Gautron, assistés de Philippe Gautier. Ils ont été là tous les jours pour s’occuper de tout. MERCI à eux !

Dans le portfolio ci-dessous, quelques-unes des photos de Nathalie Durand ayant contribué aux portfolios cannois quotidiens.