Odette Toulemonde

Tournage du 25 mars au 1er juin 2006 à Charleroi, Bruxelles, mer du Nord et Paris. _ Ci-dessous un entretien avec Carlo Varini à propos d’Odette Toulemonde par Lucie Adalid (17e promotion Image de La fémis, 2006)

Lucie Adalid : Quelles ont été tes impressions lors de ta première lecture du scénario ?

Carlo Varini : Je savais que Eric-Emmanuel Schmitt était un grand écrivain mais je n’avais pas encore lu grand chose de lui. J’ai été séduit par la lisibilité de l’histoire. J’ai tout de suite eu très envie de connaître ses intentions pour mettre des images sur ce scénario.

Pourtant le film est très construit, il y a beaucoup de petits rôles qui semblent très écrits.

CV : Au premier abord c’est d’une grande simplicité, ce n’est qu’en creusant que l’on s’aperçoit que c’est volontairement beaucoup plus complexe qu’il ne paraît.

Comment se sont prises les décisions au niveau technique ?

CV : Pendant la lecture du scénario avec tous les chefs de poste, EES nous a exposé ses envies visuelles et personnelles.
Par exemple il avait écrit que cette femme volait lorsqu’elle était heureuse, il fallait donc le faire, dans la grâce, comme une chose naturelle.
Ces envies étaient si simples, que nous avons décidé de faire les trucages plutôt à la Méliès qu’en numérique.
C’est à ce moment-là que nous avons décidé comment Odette allait voler, à quelle vitesse, quelle hauteur, quelle devait être l’impression produite sur le spectateur.

Sur le tournage d'" Odette Toulemonde "
Sur le tournage d’" Odette Toulemonde "


Catherine Frot sur une nacelle prête à l'envol
Catherine Frot sur une nacelle prête à l’envol

C’est aussi à ce moment que vous avez trouvé les solutions pour le poster de la chambre d’Odette ?

CV : Oui, de la même manière, nous avons trouvé une solution artisanale. Un petit cyclo avec la photo de l’horizon marin imprimé sur un support suffisamment translucide pour permettre l’effet soleil qui se couche en transparence. En calculant tous les paramètres de taille et d’objectif, nous ne pouvions avoir des silhouettes plus grandes que 1,55 m ! Puis on a collé la photo des silhouettes devant le cyclo, sur la feuille que l’on pouvait enlever ou poser, selon les nécessité des plans, très facilement grâce à un système de guillotine.

Comment s’est passé ton travail avec la déco (François Chauvaud) ?

CV : Nous avons dû collaborer très étroitement. D’un côté nous faisions le découpage, de l’autre il dessinait et commençait à construire.
Par exemple, la scène où Odette écrit sa lettre ; lorsque nous avons décidé du travelling circulaire, en calculant la distance minimum et l’encombrement de la caméra nous nous sommes aperçus que le décor était encore trop étroit de 20 cm et qu’il faudrait sans doute enlever des feuilles au fur et à mesure du plan. François a donc dû faire évoluer son projet en fonction du découpage.

Vous enleviez les feuilles par le haut ?

CV : Oui, car chaque élément était si imbriqué dans les autres qu’un déplacement classique aurait été très compliqué. François avait installé un système de poulies très pratique et rapide.
Et finalement c’est ce travelling circulaire, qui a défini les dimensions du studio puisque nous voulions donner l’impression d’être très à l’étroit mais nous savions qu’il ne pourrait pas être plus petit.

Vous avez donc réussi à faire un découpage en amont et à vous y tenir ?

CV : Nous nous y sommes tenus globalement. Ce découpage était surtout l’occasion d’une réflexion. Ce n’était pas la bible, au contraire, sur le plateau nous avons fait autre chose chaque fois que l’on pensait pouvoir aller plus loin.

Ce n’était pas un problème pour EES de réfléchir à un découpage sur le scénario, sans comédien ni espace ?

CV : Non. En fait, j’ai fait beaucoup de premiers films, plus d’une dizaine, je crois. Je les ai acceptés à condition que l’on puisse les découper à l’avance. C’est une assurance pour moi et pour la production. De plus, je pense que sur le tournage, le metteur en scène doit se vouer aux comédiens, puisque ce sont eux que l’on verra principalement à l’écran. Il me semble essentiel qu’auparavant il se soit déchargé, autant que possible, de tout problème technique.

Comment se sont passées les séquences d’envol d’Odette, cela ne devait pas être simple pour Catherine Frot de jouer un bonheur tel qu’elle vole alors…

CV : Qu’elle est à vingt mètres du sol et qu’elle a un peu peur. Oui c’est sûr, mais nous avons travaillé avec Yves Barta qui tenait à ce que Catherine Frot soit à l’aise. Avant le tournage, il lui a demandé de venir dans son atelier à plusieurs reprises, afin qu’elle prenne confiance. C’était très intéressant de collaborer avec lui car, comme il vient de la magie, il cherchait à faire des trucages presque invisibles à l’œil nu.

Comment avez-vous imaginé le plan où Balthazar est dans sa voiture et Odette dans sa chambre ?

CV : On aurait pu faire un split screen normal, mais on avait peur que ce soit trop " effet numérique " par rapport aux autres trucages. Or on venait de décider du travelling vertical allant de chambre en chambre, on s’est dit que puisqu’on avait la grue on pouvait le faire dans le studio. Ça a donc été le dernier plan tourné en studio, après avoir repeint la chambre de Sue Helen en noir, on a borniolé le sol et rentré la voiture.

Combien de temps de tournage pour un plan comme celui du bus par exemple ?

CV : Très peu finalement, mais beaucoup de préparation par contre. Je me souviens de cette journée parce qu’elle était particulièrement chargée, avec deux différentes équipes de prélight. Le même jour, nous avons tourné tous les éléments de la scène de Jésus marchant sur l’eau, le plan du bus, et les plans où Odette traverse le pont de nuit.
Pour le bus, il a fallu installer sur un côté, un rail de travelling avec 4 chariots équipés de projecteurs différents et de l’autre côté il y avait une grande roue à lumière avec 3 mandarines, sans compter le système d’élévation conçu spécialement par Yves Barta.

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Séquence du bus - Plans et notes de Carlo Varini
Séquence du bus
Plans et notes de Carlo Varini

Pour le plan du pont où il faisait nuit noire, j’ai fait poser 10 poteaux électriques par la décoration, il y a un 18 kW sur nacelle…
C’était une journée un peu particulière, je me suis beaucoup amusé.

Justement, quelle a été votre chaîne de post-production pour ce qui est de la finalisation des trucages ?

CV : Mikros s’est occupé de toute la partie numérique des trucages (effacer les fils, le plan de fin etc.). Le négatif était développé chez Eclair et scanné chez Mikros, ces derniers shootaient ensuite un internégatif truqué qui était développé chez Arane. Le tout étant ensuite réintégré au montage chez Eclair. J’ai d’ailleurs eu quelques problèmes d’augmentation de contraste sur certains plans dont je ne connais toujours pas vraiment la cause.
J’ai l’impression qu’aujourd’hui on a beaucoup plus de surprise avec ce genre de chaînes. Alors qu’il y a 15 ans en une ou deux semaines d’étalonnage, j’obtenais ce que je voulais. Aujourd’hui pour le même résultat, il faut quelques mois. Finalement les nouvelles techniques ne s’orientent pas forcément vers la rapidité.

Après coup as-tu des regrets sur les choix de certains trucages ?

CV : Je regrette que le tournage en 3 perfos, malgré ses énormes avantages (économie de pellicule, développement, bruit caméra…), ne nous ait pas permis une seule projection de rushes correcte avant la fin du tournage. Je suis convaincu que l’on aurait pu aller plus loin dans la lumière si j’avais pu montrer une vraie image à EES en cours de tournage.
De plus, il n’y a pas eu de retour film avant la copie finale, et nous avons eu quelques surprises lorsque nous avons vu la première projection.

Aurais-tu aimé être aussi au cadre ?

CV : J’aime beaucoup faire les deux, mais cela dépend si le réalisateur préfère avoir un ou deux interlocuteurs. Sur ce film, cela aurait été très fatigant, car il y avait autant de travail au cadre qu’à la lumière. De plus j’ai beaucoup aimé travailler avec Chris Renson, qui a fait de très belles choses. Par ailleurs, j’ai cadré la deuxième caméra.

Je vois que tu as essayé beaucoup de pellicules…

CV : Oui pour le grand magasin. J’ai choisi la pellicule qui me plaisait le plus lorsqu’il y avait, simultanément, plusieurs sources de lumières (sodium, fluorescentes, etc.). Je voulais jouer avec les différences de couleur ; que ce ne soit pas trop plat, que ça puisse être un peu plus vert à certains endroits. Le plus important étant la peau de Catherine Frot, qu’elle n’ait pas l’air d’un ovni au milieu d’un décor tout vert.

Je trouve que la façon d’éclairer les deux acteurs principaux est très juste, ni trop plate ni trop dure, quelles étaient tes idées sur ce sujet ?

CV : Lui devait être le " Parisien " normal et elle l’" ouvrière " ordinaire. Il fallait que l’on croit à leur histoire et qu’on les aime sans les éclairer comme des stars.

Avec le recul, quelles conclusions tires-tu de cette expérience ?

CV : Ça a été un grand plaisir, je n’imaginais pas, en le rencontrant, pouvoir aller aussi loin dans la fantaisie d’Eric Emmanuel Schmitt.