On projette la dernière séquence de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau

La Lettre AFC n°125

On projette la dernière séquence de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau

P. L. : Là c’est donc le décor où va se passer toutes la fin du film. Ce qui est rééclairé ici c’est les visages. Mais rééclairer dans un lieu comme ça c’est souvent enlever de la lumière et non pas en mettre. J\’étais équipé d’autant de toiles noires que de toiles blanches. C’est vrai que sachant que j’allais avoir toute la fin de la scène dans ce décor, en allant du jour à la nuit, j’étais complètement angoissé, plusieurs jours à l’avance.

E. G. : Par exemple la fumée que l’on voit derrière, c’est quoi ?

P. L. : On était en plein été, mais on voulait donner l’impression que c’était l’automne, donc on avait répandu des feuilles partout, et on les a brûlées. La fumée c’est bien, quand ça n’apparaît pas comme une coquetterie, ici ce sont juste des jardiniers qui travaillent. Ce que l’on imagine difficilement, c’est la quantité énorme de lumière qu’il faut pour compenser les visages par rapport au décor .

En se tenant à un niveau qui permette aux acteurs de jouer. Parce que je vois souvent au cinéma des acteurs qui ne peuvent pas jouer, tant ils ont de lumière sur eux. Ils ne peuvent pas ouvrir les yeux, ils sont éblouis par des projecteurs ou par le soleil. Si on place bêtement un acteur par rapport au soleil, il ne peut pas jouer, il ne peut pas ouvrir les yeux.
Au tournage, on a sans arrêt des alternances soleil-pas de soleil. Je pense que tout cela s’arrange très bien au moment de l’étalonnage et que si l’on arrive à tenir une certaine balance couleur et un certain contraste et bien, qu’il y ait du soleil ou non ça n’a pas d’importance.
On a tourné dans l’ordre la scène de fin. C\’est tourné sur cinq jours, c’est peu, parce qu’il y a plus de 50 plans et connaissant Rappeneau on peut difficilement faire plus de 10 plans par jour. Pour les premiers plans, il y a absolument tout le matériel dont je disposais et à la fin, il y a une mandarine et des bougies.
Au début, il y a une quantité de lumière énorme de façon à réduire le contraste, toute la lumière dont je disposais : deux 12 kW HMI, environ six 6 kW et ce dont je me sers énormément, c’est les Sunpar plus des miroirs que j’envoie sur des cadres spi parce que je n’avais pas assez de HMI de façon à me rééquilibrer par rapport aux taches de vrai soleil qu’il y avait.
A l’endroit où les comédiens jouent vraiment, André Bouladoux m’a accroché des borniols dans les arbres de façon à avoir les taches de soleil sur le décor mais jamais sur les acteurs. En fait, soleil n’était pas mon ami dans cette séquence.
Donc là, étant donnée la nature des taches de lumière, on est à quantité de lumière maximale, et j’ai des dégradés gris neutres en tête et à droite. Et ça marche, ça donne de la profondeur, de plus, à ce moment-là on était à de très forts diaphs ce qui donne un certain contraste et une certaine brillance.

R. A. : Justement, quand tu as vu les premiers rushes, tu étais rassuré ou tu as beaucoup travaillé à l’étalonnage pour obtenir ces couleurs ?

P. L. : Non c’est pratiquement un étalonnage droit. Le plus gros du travail a été fait sur le tournage. Sous chaque projecteur, il y avait des gélatines, la gamme des magentas, des verts et des neutres. La température de couleur donnée par mon éclairage additionnel est rigoureusement la température de couleur du décor sur l’ombre et c’est là où je me suis vraiment facilité l’étalonnage.

E. G. : Je pense que la poésie de cette séquence passe par la lumière, l’image que tu as faite participe à la mort de Cyrano.

P. L. : Sur le plan de travail, c’était en nuit vraie. On a cherché le décor, quand on l’a trouvé, je me suis dit : « Comment je vais faire dans ce gigantesque décor. Le temps de sortir la lumière, d’installer, d’éclairer, et d’attendre la nuit au mois d’août... ». Même avec une équipe formidable, tu mets une heure, cette heure de réglage tu la prends sur la mise en scène et puis tu n’as pas la possibilité de dépasser, le soleil ne t’attend pas, il se lève. Par conséquent, je suis parti sur des plans de nuit américaine en sous-bois et je me suis dit que nous pourrions avoir une journée de travail normal. En tournant de jour, je gagnais une journée. J’ai expliqué à la production qu’il nous fallait 5 jours et non pas 4 nuits. Tout le monde était gagnant et éventuellement on pouvait faire une heure supplémentaire.

E. G. : Tu n’avais pas trop de remontée de vert malgré le fait que l’action se passe dans l’ombre sous des arbres ?

P. L. : J’ai utilisé mon thermo, \" miss Minolta \". A l’œil je me serais planté sur cette séquence. Mais pour un plan comme ça, tu dois maîtriser la température de couleur et, effectivement, j’avais du vert sur les projecteurs.
A ce moment-là, je suis en 125 sous-développée pour réduire un peu le contraste (Photo 14).

E. G : Tu as mélangé de la 125 sous-développée avec de la 125 normale ?

P. L. : Pas mélangé, disons que j’avais imaginé des charnières en suivant le texte, charnières qui correspondaient pour moi à un changement visuel aidé par un changement de pellicule et de temps de développement (développement normal et grain fin de la 125 et de la 500 ISO). Tous les jours, avec l’assistant réalisateur, on décalait le début de tournage pour que j’aie de moins en moins de soleil et de plus en plus la possibilité de faire des plans en fin de journée.
Là, je suis complètement sous-développé pour réduire le contraste au maximum, car enlever les contrastes et les couleurs, c’est ce qui caractérise l’arrivée de la nuit.

Ce plan, je me rappelle,


c’est du genre F11, donc dans les petites fenêtres que vous voyez au bout, j’avais des 5 kW à bout portant pour donner l’impression que le soir venait et que les bonnes sœurs avaient éclairé les pièces. Et je me souviens que dans les derniers plans où l’on voit ces fenêtres, il y avait un Mizar et une bougie.
Là, je suis pratiquement monochrome et cette précision de couleur, il n’y a que le thermo qui peut te la donner car c’est trop pointu.
Cette séquence a été tournée en plein jour à côté de Paris et je savais que j’allais aborder la vraie nuit car l’endroit était très sombre.


Je suis à F2 et si je sors du sous-bois, je suis à 11. Dès que l’ambiance s’est baissée en dehors du sous-bois, j’ai rééclairé le sous-bois et l’on a démasqué des éclairages petit à petit, au fur et à mesure que le soir tombait. Mais ça restait faux soir parce que, si tu sortais du sous-bois, tu étais en plein jour.
Là (plan final, photo 17), c’est un plan qui me faisait très peur.

Au sol, j’étais à F2 et je ne voulais surtout pas perdre les personnages alors j\’ai été voir ce qui se passait en haut de l\’arbre car je voulais peindre les feuilles en noir de façon à ce qu’en reculant je conserve la nuit et je puisse garder de la lumière sur les personnages, et à ma stupéfaction quand je suis arrivé en haut, les feuilles étaient noires, elles étaient noires du kérosène que les avions larguent avant d’atterrir. Donc je me souviens que j’ai joué sur deux diaphragmes et les personnages ne disparaissent jamais.

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