Festival de Cannes 2024
Sébastien Buchmann, AFC, accompagne à l’image "Maria", de Jessica Palud
Par Brigitte Barbier pour l’AFCMaria Schneider n’est pas encore une adulte et elle veut faire du cinéma, comme son père, Daniel Gélin. Lorsqu’un jeune et prometteur réalisateur italien lui propose un premier rôle dans un huis clos mêlant sexe et violence, aux côtés d’une star américaine, elle accède à la célébrité et devient une actrice iconique. Mais sans savoir que la gloire et le scandale allaient la détruire.
Avec Anamaria Vartolomei, Yvan Attal, Matt Dillon, Céleste Brunnquell.
Maria couvre une vingtaine d’années, du début des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980. L’image souligne l’époque mais sans accompagner cette évolution, pourquoi ?
Sébastien Buchmann : Annamaria Vartolomei incarne Maria Schneider de ses 16 ans (1968) à ses 30 ans (1982) sans intervention de vieillissement volontaire par le maquillage ou par des VFX. De la coiffure, oui !, afin d’accentuer la jeunesse ou la maturité du personnage.
Nous aurions pu, à l’image, souligner plus fortement le passage des décennies en marquant le style de la fin des années 1960, puis des années 1970 et 80 mais ce n’était pas le désir de Jessica : le film devait refléter une trajectoire en ligne droite, dont la figure centrale était Maria. Nous avons préféré laisser les décors et les costumes seuls faire sentir cette évolution.
Expliquez-nous votre démarche pour que l’image de Maria reflète cette époque.
SB : J’avais expérimenté, avec Florine Bel, Color Scientist, la recherche autour d’une image d’époque pour Les Passagers de la nuit, de Mikhaël Hers, qui se passe à Paris dans les années 1980. Pour Maria, j’ai repris cette collaboration avec Florine et l’étalonneuse du film, Mathilde Delacroix, qui m’ont permis d’élaborer un look. Ce travail s’est effectué en amont du tournage.
Nous avons tourné des premiers essais, sans lumière et sans maquillage ni costume avec Annamaria, en extérieur sur le pont de Passy et dans un appartement que nous avions repéré, qui est celui dans lequel elle se drogue. Ils étaient destinés à saisir des couleurs et des matières. On a étalonné ces essais avec un premier look élaboré par Florine à partir d’images de référence que je lui avais confiées. Au départ, l’image avait plus de désaturation et de grain, on a calmé un peu ce parti pris à l’étalonnage final. Puis on a tourné d’autres essais, avec l’intervention cette fois du département HMC pour affiner les coiffures, les costumes et le maquillage des personnages principaux et la poursuite de notre recherche sur le look avec notamment l’introduction de filtres qu’on a choisis à cette étape. Le look finalement adopté a été appliqué sur les rushes, ce qui a facilité l’étalonnage bien sûr mais qui a permis aussi d’avoir, au montage, une image déjà très proche de l’image finale. Sur le tournage, nous appliquions des LUTs qui donnaient un bon aperçu du look sans en avoir toutes les caractéristiques (sans grain et sans halation).
Comme le contraste est assez doux et que l’on sent une diffusion dans les hautes lumières, on peut penser à une évocation du 35 mm des années 1970.
SB : On ne s’est jamais dit : imitons l’image du 35 mm, d’ailleurs le choix du numérique était pleinement assumé, Jessica voulait tourner en numérique et désirait une image qui reste moderne. Mais toutes nos références étaient des références argentiques, à commencer par celles du Dernier tango à Paris donc effectivement on peut dire que l’image évoque le 35 mm de cette époque.
Jessica Palud me parlait aussi beaucoup du film d’Andrzej Zulawski L’Important c’est d’aimer (1975) qui n’est pas du tout le même genre de film mais dont elle aimait beaucoup l’image. Une autre référence nous a pal mal guidés, le film de Jerry Schatzberg Panique à Needle Park (1971), pour les scènes de drogue car Jessica voulait qu’elles soient très réalistes voire un peu crues.
La reconstitution des scènes de tournages de cette époque a dû être une étape passionnante pour un directeur de la photo !
SB : Absolument ! Je tiens avant tout à remercier le directeur de la photo Jean-Marie Dreujou et Natasza Chroscicki, directrice d’Arri France, qui, à eux deux, m’ont fourni toutes les caméras des tournages reconstitués. Jean-Marie possède une collection incroyable de caméras 35 mm de toutes les époques. Il nous a prêté l’Arri BL, le Camé 300, un Nagra et bien d’autres choses encore, Natasha la Mitchell BNCR utilisée pour Le Dernier tango à Paris. Cette caméra est un héritage de son père Henry Chroscicki, le fondateur de Technovision qui était très ami avec Vittorio Storaro, le directeur photo du Dernier Tango.
C’était très excitant de trouver tout le matériel de l’époque et de respecter les modèles utilisés par les équipes.
D’autant plus qu’il n’y a pas que Le Dernier tango à Paris, on voit aussi d’autres tournages, pour lesquels le matériel est différent.
SB : Oui, et c’était réjouissant de faire toutes ces recherches. Le premier tournage qui apparait dans le film a lieu dans les années 1960, avec le père de Maria Schneider, Daniel Gélin. Il a été tourné en studio avec un Caméflex 300 et des Fresnel. Le deuxième, c’est Le Dernier tango à Paris, en 1972. Puis il y a le tournage sur le film de Buñuel Cet obscur objet du désir, qui reprend une scène qui se passe mal pour Maria Schneider, qui finalement a été remplacée par Carole Bouquet qui a repris son rôle. Cette scène se passait en extérieur, on a utilisé des cadres, malheureusement ceux d’aujourd’hui avec des cadres en alu qu’il a fallu maquiller. Pour un autre tournage, j’avais trouvé des photos d’un film de Godard, Le Mépris, où l’on voit un incroyable dispositif de papier d’alu et des pinces bol dirigées sur ce papier d’alu.
Parlons plus précisément de la reconstituions des scènes du Dernier tango à Paris, de vos recherches pour identifier le matériel et la manière de les éclairer.
SB : La première fois que j’ai revu Le Dernier tango, j’ai remarqué que dans l’appartement du couple Schneider-Brando, toutes les fenêtres paraissaient faussement surexposées, sans doute occultées, avec une sensation de source derrière un tissu blanc. Pourquoi occulter des fenêtres ? Auraient-ils tourné en studio ? Ou dans un appartement en rez-de-chaussée ? Pourtant on savait de source sûre que tout avait été tourné dans des appartements.
Nous avons eu accès aux archives de la Cinémathèque et effectivement, c’était bien tourné dans un appartement qui de plus se trouvaient au 6e étage. Nous l’avons retrouvé mais il avait été entièrement rénové donc nous n’avons pas pu y tourner. Mais la chef déco Valérie Valero a pu avoir accès aux cotes de l’appartement et a fait le plan pour la construction dans le studio où nous avons filmé ces scènes.
J’ai écrit à Storaro qui ne m’a jamais répondu. C’est Renato Berta qui m’a parlé des Maxi Brutes et autres Mini Brutes utilisés en direct à cette époque et que probablement Storaro avait placés sur un balcon, juste derrière les fenêtres de l’appartement.
J’ai donc utilisé ces projecteurs à travers les fenêtres mais c’était un peu rude car ça chauffait énormément. Les acteurs n’ont plus l’habitude de ce genre de projecteurs !
Avez-vous respecté les axes et les cadrages des scènes du Dernier tango à Paris, notamment pour filmer celle qui a détruit Maria Schneider ?
SB : La production redoutait les problèmes de droit pour toutes les scènes reconstituées du film. On pouvait évoquer le film mais il fallait que rien ne soit pareil. Les couleurs sont dispatchées autrement, la couleur de la moquette, c’est la couleur des murs, le dégradé sur les murs est dans l’autre sens. Tous les costumes sont différents sauf le long manteau beige de Marlon Brando qui est un peu iconique et auquel Mat Dillon tenait absolument.
Aucun cadre n’est identique à ceux du film, aucun dialogue. On est, par exemple, dans un tout autre axe pour la scène qui a créé un scandale. Nous étions axés vers l’équipe de tournage, ce qui nous a permis de filmer les regards des techniciens qui ont été les témoins de cette scène. Des regards gênés, fuyants, qui suggèrent les émotions probablement ressenties par eux lors du tournage de cette terrible scène.
En dehors des reconstitutions des scènes de tournage qui parsèment Maria, l’une d’elle est particulièrement attachante et avec une lumière différente, celle où Noor (Céleste Brunnquell) la compagne de Maria Schneider, la persuade de changer de vie.
SB : Pour cette scène, il fallait marquer un point de rupture avec tout ce que l’on avait vu auparavant car quelque chose s’ouvre vers, peut-être, des jours meilleurs.
C’est la seule scène de nuit en pleine campagne. J’ai pensé que ce qu’il se passait avant dans le film était très sombre au niveau de la narration, et qu’il me fallait proposer un peu de chaleur et de contraste. Comment garder une stylisation cohérente avec le reste du film ? Je ne voulais pas de nuit américaine ou d’effet nuit trop classique ou très dessaturé. J’ai été inspiré - même si c’est loin d’être aussi beau ! -, par un film d’Apichatpong Weerasethakul, Tropical Malady. Dans ce film, il y a des nuits dans la forêt où l’on sent que c’est éclairé par des mandarines et des blondes en direct, avec du bleu, de l’orange, c’est très coloré, très artificiel mais très très beau. Je voulais éviter l’effet clair de lune, il fallait que cette nuit réchauffe, réconforte.
La lumière très chaude de la maison se sent en arrière-plan et cet effet est repris avec un PAR assez pointu placé loin et qui rappelle cette lumière chaude. Une ambiance à l’avant-plan adoucit l’image. Il y avait en plus des petits Dedolight orientés sur les feuillages pour apporter un peu de chaud en arrière-plan. J’aurais voulu travailler plus en détail les fonds mais le film s’est tourné en 25 jours, autant dire que c’était très court !
Remerciements : Jean-Marie Dreujou et Natasza Chroscicki.
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)