Jour J

J’ai rencontré Reem Kherici sur la recommandation de Nicolas Massart, que je remercie au passage. Lors de notre première entrevue, j’ai été sidéré par toute l’énergie que Reem dégageait et qu’elle insufflait dans son projet. Nous avions tous les deux comme référence Crazy, Stupid, Love, de Glenn Ficarra et John Requa, quelques notes des Nouveaux sauvages, de Damian Zsifron, ou de Joy, de David O Russell.

Au fur et à mesure de l’avancement de la préparation, Reem nous a convaincus avec Alan Corno, conseiller technique et fabuleux collaborateur, que le film qu’elle nous proposait avait sans doute tout le potentiel pour nous réconcilier avec la comédie. Les échanges auxquels nous avons assisté et participé avec Eric Altmayer, producteur, tournaient autour de ce sujet : quelle proportion de comédie romantique ou de burlesque dans ce projet ? Parfois le romantisme anglais l’emportait, parfois le burlesque.

Lors du découpage puis au tournage, il a fallu trouver cet équilibre entre la délicatesse d’un mouvement d’appareil et la fixité d’un plan qui sert de ponctuation et prépare l’arrivée du bon mot. Cet exercice est bien différent de la prise de vues que j’avais l’habitude de pratiquer sur mes projets précédents, tout en retenue où la caméra n’avait de cesse que d’essayer de s’abstraire pour laisser toute sa place à la liberté du jeu des comédiens. Je passais d’une prise de vues qui sert à souligner et accompagner une nuance de jeu, à une prise de vues qui a pour tâche de structurer un récit et de le ponctuer.
Nicolas Duvauchelle et Julia Piaton se sont révélés de très bons alliés dans cet espace de mise en scène proposé par Reem. Nicolas, comme l’axe qui structure cet espace, et Julia, qui, avec la richesse de ses propositions, remplissait cette mise en scène avec beaucoup de vie. La spontanéité du jeu de Reem et de Julia nous a permis de déborder le cadre de ce que nous proposions, et a offert au film un dynamisme assez édifiant.

Les nécessités du plan de travail nous ont amenés à être assez inventifs à la prise de vues mais aussi à la lumière. Nous avons tourné quelques séquences très chargées (le mariage catastrophe et le banquet) à plusieurs caméras. Pour ces séquences chargées d’effets et de cascades nous utilisions la seconde caméra presque comme une seconde équipe. L’équipe principale donne le rythme et la seconde caméra tourne les plans que nous avions imaginés en étant assez autonome sur le plateau.
Eric Blanckaert, cadreur, et Valentin Monge, opérateur Steadicam de la seconde caméra, ont réussi à remporter ce challenge. Il y a des jours où l’on n’ose pas trop compter le nombre de plans qui ont été tournés tellement ils sont nombreux.

Pour la séquence du banquet à la fin du film, le choix de Reem de placer cette nouvelle cérémonie sur un ponton au milieu d’un lac représentait un nouveau défi. Comment éclairer une mariée toute blanche, au milieu d’un lac, à midi en plein été ? Un cas d’école sans doute.
Plutôt que de trop éclairer dans ces cas-là on pense à couvrir raisonnablement les comédiens mais sur un ponton... J’ai pensé aux barges mais le rythme de tournage était très serré et nous empêchait de pouvoir correctement les manœuvrer. Et puis sur le lac, pas de moteurs thermiques... Une contrainte de plus.
Ensuite, j’ai imaginé utiliser les ballons à hélium Pad et Cloud 6x6, mais trop de vent en fin de journée. J’ai donc fait construire une structure type “sunbox” (rencontrée avec Pascal Pajaud et Laurent Dailland). Une sorte de cube fait de cadres 6x6 et 4x6 que j’ai fixé sur la plateforme du décor. Nous ajustions sa position pour sortir du champ les montants qui nous gênaient. Nous avons aussi créé un système de jambes amovibles pour libérer les axes. Les toiles étaient fixées au velcro et non pas aux tendeurs pour que les transitions ombre/lumière soient filmables.
Avec un plan de tournage précis et surtout adapté à l’orientation presque minutée du soleil, nous avons réussi à tenir notre raccord lumière de milieu / fin d’après-midi sur deux jours de tournage bien remplis. A cause des reliefs autour du plateau nous n’avions qu’un créneau précis de lumière entre 9h et 16h30. Une sacrée gageure.

Je suis très attentif sur le plateau au pré-étalonnage des rushes. Pour plus de commodité j’ai préféré travailler avec une Red Weapon 6K pour utiliser les métadonnées d’étalonnage disponibles dans la caméra. Je les ai parfaitement retrouvées ensuite à l’étalonnage avec Guillaume Lips.
La Red est parfois un peu critique en haute lumière mais les courbes que j’avais chargées dans la caméra nous ont permis de maîtriser parfaitement les hautes lumières et d’offrir à Reem une image lumineuse et élégante. Je suis très vigilant au contraste de telles conditions de prises de vues. Je suis passé sur ce film d’une image douce, dont je soigne souvent la pose en basse ou très basse lumière, à une image très lumineuse mais tout aussi délicate en termes de rendu des peaux et des hautes lumières.
Concernant ce travail, je tiens tout particulièrement à remercier Eric Baraillon, chef électricien, qui a réussi à me convaincre que nous pouvions travailler très rapidement avec de grosses sources. Avec son équipe il m’a permis de réaliser certaines images en rendant la lumière extrêmement légère quoi qu’en dise le poids des projecteurs.

Pour la partie province du tournage nous avions à notre disposition des paysages et des décors spectaculaires : les gorges du Verdon, le lac de Sainte Croix, le château Margui, etc. La nécessité du 1:2,40 s’est faite rapidement sentir. Voulions-nous du Scope anamorphosé ou du 1:2,40 sphérique ? Le capteur de la Weapon est finalement tellement grand et défini en termes de nuances de couleurs et de contraste que nous avons choisi de travailler en sphérique pour ne pas trop abstraire les fonds. En travaillant parfois à 1,3 avec la série Leica Summilux C, j’avais la possibilité de moduler le rendu de la profondeur de champ parfois de manière assez franche.
Merci à Maud Lemaistre, première assistante opérateur, pour son talent de pointeuse. Pour moi, le fait de travailler avec des capteurs de plus en plus grands nous approche d’un effet 70 mm, où pour un angle de champ équivalent on allonge la focale et on modèle la profondeur de l’image de manière parfois plus délicate qu’en anamorphique. Il me semble que ce film en tant que comédie se prêtait assez bien à ce type de rendu.

Production : Mandarin, Eric Atmayer

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photo de tournage de Jour J.

Portfolio

Équipe

Opérateurs Steadicam : Valentin Monge et Mathieu Caudroy
Assistante opérateur : Maud Lemaistre
Chef électricien : Eric Baraillon
Chef machiniste : Carlos Ribeiro
Coloriste : Guillaume Lips

Technique

Caméra : TSF caméra, Red Weapon 6K
Objectifs : série Leica Summilux C, zoom Angénieux 28-340 mm
Lumière : TSF Lumière
Machinerie : TSF Grip
Laboratoire : Le Laboratoire