Avec René Féret sur "La Communion solennelle", son chef-d’œuvre

Par Jean-François Robin, AFC
En 1976, on était jeune et beau, circonstance idéale pour tourner La Communion solennelle, un film écrit et réalisé par René Féret. Titre on ne peut plus juste, car ce tournage fut justement une intense communion. Une communion parfaite entre le cinéma, cette histoire de famille, exact reflet de l’Histoire, une équipe animée d’un vrai appétit d’images et de sons, et l’enthousiasme débordant d’un metteur en scène.


La production (dont René était partie prenante) n’avait pas beaucoup de sous, qu’importe, on ferait un grand beau film de pauvres. Pas de luxe, pas d’apparat, tout à l’image.
Le scénario écrit par Féret était un fourmillement, le film serait comme on le dit maintenant un film choral avec quarante acteurs, dans les grands décors du nord, les terrils et les mines de charbon. Cette histoire sonnait juste parce qu’elle était l’histoire de René, de sa famille, de son pays, une histoire qu’il n’a cessé de raconter tout au long de sa vie.
Grâce à son charisme et sa vivacité, le travail semblait facile, jeune directeur de la photo je n’avais peur de rien, ni d’éclairer de grandes scènes avec cinq cents figurants ni les scènes de nuit les plus intimes et subtiles.

Initialement le film devait se tourner en format 1,66 et grâce à Albert Viguier, mythique patron d’Alga, (c’était encore l’époque où les "industriels" aidaient la création en s’intéressant à son contenu) le film fut tourné en Scope Panavision. Je lui avais raconté le scénario. « Je veux le lire », m’a-t-il dit. Il l’avait lu vite et m’avait déclaré : « Mais c’est un film en Scope, il vous faut du Scope. »
J’étais bien d’accord avec lui, mais à l’époque, tourner en Panavision anamorphique coûtait très cher. « Avec quel argent ? » lui demandai-je. Il me répondit immédiatement : « Mais le Scope je vous l’offre, vous payez le sphérique et moi je paie la différence. » Et ainsi fut fait.

René avait le chic, oui le chic pour rassembler les forces vives dont le film allait se nourrir. Les quarante acteurs, possédés par leur rôle, les quarante techniciens concentrés sur le plateau, René savait les stimuler tous ; s’il y avait des obstacles il trouvait la manière de les sauter ou les contourner. Inutile d’ajouter que ce film fut l’occasion de rencontres exceptionnelles, Hilton Mc Connico, le décorateur soulevait des montagnes, il avait reconstruit le carreau de la mine et quand René avait obtenu qu’on fasse tourner à nouveau la roue du chevalet de la mine, les anciens mineurs qui figuraient dans le film avaient pleuré. Sans cesse l’exaltation se mêlait à l’émotion. Chaque jour cette foule qui s’agitait sur le plateau créait une incroyable émulation qui ne pouvait être que des “ plus “ dans le film ; chaque soir, on le voyait sur les images des rushes qu’on projetait dans la salle de cinéma du village.

Après L’Histoire de Paul, son premier film autobiographique, René avait compris que le cinéma n’est pas qu’une affaire de travellings mais un brassage d’idées, de gens, des jeunes, des vieux (Dalio était un grand-père grandiose en coiffeur libertin !) et que mêler la parole, la musique (en direct sur le plateau) et les images, c’est plus qu’une philosophie mais un art de vivre.

Et le plus bel hommage qu’on puisse rendre à René Féret, c’est d’aller voir ou revoir La Communion solennelle, son chef-d’œuvre.

René Féret (1945-2015)