Cannes 2019, retour sur le Premier Prix de la Cinéfondation

La Lettre AFC n°299

Présidé par Claire Denis, le Jury des courts métrages et de la Cinéfondation du 72e Festival de Cannes a décerné le Premier Prix de la Cinéfondation à Mano a mano, réalisé par Louise Couvoisier et photographié par Augustin Bonnet, étudiants de la promotion 1 (2015-2018) de la CinéFabrique. Ils parlent pour l’AFC de leur travail sur le film.

Louise Couvoisier évoque l’atmosphère de son film et ses idées de mise en scène
Mano a mano est un court métrage de fin d’études de la promo 1 de la CinéFabrique. Le film raconte un duo de portés acrobatiques se produisant de scène en scène, dont le couple se délite de jour en jour. Le temps d’un voyage en camping-car, ils tentent de regagner confiance l’un dans l’autre avant de remonter sur scène ensemble.
Je connais très bien le milieu du cirque et voulais montrer l’envers du décor, les coulisses de cet art souvent méconnu, à travers cette histoire d’amour et ses difficultés.
Le choix de l’anamorphique nous permettait de filmer autre chose que les acrobaties, plutôt ce qui allait se jouer entre les personnages. Sur scène, cet art des portés acrobatiques étant plutôt dans la verticalité, le choix du format 2,35 nous a forcés à recentrer l’action sur les enjeux internes des personnages lorsqu’ils étaient sur scène.
Le découpage est né de discussions en préparation du tournage. Pour certaines scènes, elles étaient évidentes pour nous deux dès le scénario. Pour le plan-séquence du début du film, Augustin a imaginé une lumière qui faisait partie du décor, nous emmenant au fil du plan d’une ambiance lumineuse à une autre, construisant ainsi l’espace des coulisses du spectacle.

Louise Couvoisier et Augustin Bonnet sur le tournage de "Mano a mano"
Louise Couvoisier et Augustin Bonnet sur le tournage de "Mano a mano"

A l’inverse, pour le voyage en camping-car, nous avons voulu créer une rupture forte avec la séquence du cirque, ses couleurs éclatantes et ses mouvements de caméra. Les séquences de voyage tiennent en quelques plans, souvent un ou deux, accompagnant le silence et le paysage. Nous aimions utiliser le jeu des regards, la profondeur de champ pour laisser les deux personnages vivre à l’intérieur du plan. Parfois le découpage s’inventait aussi sur le tournage.
Pour la séquence où ils s’habillent dans le camping-car, nous avions prévu de filmer de l’extérieur du camping-car, à travers la porte. Mais en regardant la scène, Augustin a proposé de rentrer avec eux pour vivre cet espace confiné avec eux, en leur ajoutant cette contrainte pour qu’ils aient le moins de place possible. Ce n’était pas prévu dans le découpage et finalement, c’est la scène que je préfère, racontant par l’espace la complexité de leur vie de couple à ce moment-là.

Augustin Bonnet précise ses intentions et son travail de cadre et de lumière
Pour nos films de fin d’études, les étudiants en scénario devaient proposer un synopsis et les étudiants en image devaient rédiger une lettre d’intention sur le film qui leur parlait le plus. Celui de Louise, Mano a mano, parlait d’amour qui va mal, le temps d’un trajet en camion. J’adore les histoires d’amour et j’adore la mobilité au cinéma, les moyens de transport. Et puis j’ai voyagé toute mon enfance dans un vieux Volkswagen Westfalia, donc le projet m’a vite parlé.

Augustin Bonnet et Louise Couvoisier
Augustin Bonnet et Louise Couvoisier

Le cirque est un art vivant, un spectacle. La question a très vite été de comment le filmer, tout en restant spectateur de cinéma. Je ne connaissais rien à ce domaine, Louise m’a emmené voir des représentations, nous avons pu assister à des répétitions d’acrobates, que nous avons filmées.
Les personnages du film pratiquent une discipline qui est toute en hauteur, l’un debout sur l’autre. Ce fut une contrainte de mise en scène et de cadrage tout de suite intéressante. Il y a plusieurs scènes qui se déroulent pendant leur spectacle et l’idée était d’éviter le style "captation". Nous avons donc choisi de tourner en 2,35, un format radicalement opposé à celui de leur spectacle, qui nous empêcherait de tout voir.

Après plusieurs tests d’optiques anamorphiques, nous sommes tombés d’accord tous les deux sur les Cooke S3 Technovision. Nous cherchions à mélanger une ambiance d’une part artificielle, de l’autre naturelle, pour rappeler ce que peut être la vie de circassien. Ces optiques flarent pratiquement jusqu’à 5,6. Leur bokeh est très marqué, elles déforment beaucoup. On avait l’impression de voir des peintures ! Tous ces effets nous ont beaucoup plu et on a pensé qu’ils raconteraient par eux-mêmes l’artifice dans la vie amoureuse et professionnelle des personnages.
L’histoire commence par un plan-séquence avec beaucoup de rythme, de lumières, de couleurs, et d’activité. Et petit à petit, le film se calme, se fige presque, avec de moins en moins de mouvements et de bruit. En lumière, j’ai essayé d’opposer les moments de spectacle, très chauds, jaune et rouge, aux moments de trajet, froids et bleu.

Sur le tournage de "Mano a mano"
Sur le tournage de "Mano a mano"

Nous n’avons pratiquement pas utilisé de projecteurs en dehors des lieux de spectacle, sauf une fois où nous avons tourné une scène d’aube dans la camion en pleine nuit. Ce qui était super à faire, c’était de partir du noir complet et d’utiliser toutes les fenêtres et différentes couches de rideaux pour faire entrer une lueur très douce à l’intérieur.
Nous avons choisi l’anamorphique également pour le rapport des personnages au cadre. Dans le film, leur amour fléchit et s’éloigne alors qu’ils sont obligés de rester dans l’espace asphyxiant de leur caravane. J’ai beaucoup tourné au 40 mm que je trouvais parfait pour raconter un petit espace tout en disposant les personnages chacun à une extrémité du cadre. Comme le camion avait trois places avant, l’image semblait vide au milieu. Et la déformation des bords de la lentille anamorphique suggérait juste assez que quelque chose ne tournait pas rond entre eux ! 

Louise voulait donner une vision interne du monde du cirque, pas celle qu’on peut imaginer d’une troupe ensoleillée et riante qui se déplace ensemble. Elle a choisi que le film se passe en hiver quand il fait froid et qu’il n’y a pas beaucoup de dates ni de spectateurs. Mais il fallait qu’à ce silence on oppose une image riche et engagée dans une direction, on ne voulait pas une histoire triste et une image terne, mais plutôt deux opposés. J’ai adoré avoir cette liberté et sa confiance à ce niveau-là. En voyant le film, j’ai eu peur que l’étalonnage soit trop stylisé, mais j’étais content que l’image soit loin du Log, parce que parfois, j’ai l’impression qu’on a peur d’étalonner.

Dans le portfolio ci-dessous, des captures d’écran de scènes de Mano a mano.