Benoît Delhomme, AFC, juré à la Caméra d’or

La Lettre AFC n°300

Benoît Delhomme représentait cette année l’AFC en tant que membre du Jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes. Interrogé par Caroline Champetier, Michel Abramowicz et Hélène de Roux, il revient sur cette expérience étrange et difficile d’avoir à départager des films à un train d’enfer (vingt-six films en dix jours), quand on est un chef opérateur qui exerce son métier sans juger les films ni les metteurs en scène.

J’avais très peur d’être juré parce que, si quand j’étais jeune chef opérateur je voyais beaucoup de films – c’est en voyant des films que j’ai appris à en faire – maintenant j’en vois très peu. Quand Caroline m’a appelé je me suis dit que ça allait me faire du bien, c’était intéressant de voir si j’arrivais à le faire. Vingt-six films en dix jours, alors que je ne vois pas un film par mois… je pensais que je n’allais pas tenir le coup… Je n’ai pas tellement la curiosité du cinéma aujourd’hui, j’aime bien faire des films sans faire référence à d’autres films. Je ne suis pas le genre de chef opérateur qui regarde quinze films avant d’en faire un. Je n’aime pas quand un metteur en scène me dit « on va voir des films ensemble, ça va être génial », je m’imagine sur un canapé pendant deux jours… Mais j’avais accepté, donc j’ai tenu cette parole. Je me suis dit que j’allais regarder les films comme si je les filmais, comme un chef opérateur, pour trouver la manière de bien les intégrer, différemment d’un public normal. Au début j’ai trouvé ça bien, d’imaginer les plans suivants, essayer d’imaginer ce que le metteur en scène voulait faire… et je me suis rendu compte que c’était très fatigant. On est passif, c’est dur de passer des jours à absorber des images de films de tous les pays, surtout qu’on ne connaît rien des histoires au départ. Entre nous, dans le jury, on se donnait toujours des coups de coude si on s’endormait.

Je n’aime pas trop le côté distraction du cinéma, donc je me suis dit qu’il fallait que je sois ému si le film était émouvant, ce qui était souvent le cas, amusé si le film est drôle, mais peut-être que je n’étais pas la bonne personne : je ne sais pas être critique, voir un film en me disant « après il va falloir que je défende, ou pas ». Je me suis rendu compte dès les premières délibérations à quel point c’était violent, au point de perdre un peu le plaisir de voir les films. On n’était que cinq, c’est Rithy Panh qui présidait. On jugeait les films au fur et à mesure pour éliminer ceux qu’on ne voulait pas garder, sans retour en arrière possible. Maintenant je crois que c’est une erreur. Je trouvais ça assez injuste : tous les deux jours on va déjeuner et « ça non, ça on garde », alors que des films qui ne me plaisaient pas trop quand je les ai vus restent plus que certains autres. Des séquences restent.

Par exemple, Ceniza Negra qui est l’histoire d’une jeune fille qui habite avec son grand-père dans la jungle. Elle a quatorze ou quinze ans et son grand-père pense qu’il élève des chèvres, mais, comme il est presque aveugle, il ne sait pas si elles sont toujours là, et la jeune fille lui fait croire qu’elle nourrit les chèvres tous les jours. C’est très simple. Le grand père est très vieux, très sombre, très noir, très beau. Parfois l’amie du grand-père, une vieille femme, vient dormir là aussi. Elle est un peu sorcière, et on la voit vendre des serpents morts sur la route. J’ai aimé le film pour cette séquence : cette vieille femme qui vend des serpents morts aux touristes. Mais c’est difficile de dire dans un jury : « Je pourrais sauver le film pour cette séquence-là. » ! Quand je regarde un film je suis très rarement l’histoire, ça ne m’intéresse pas. J’ai un rapport au cinéma qui est plus poétique, plus qu’une histoire je cherche des images, comme dans les livres. Cette séquence avec le serpent, je pourrais en faire une peinture. De plus en plus je vois comme un réservoir à images, souvent même certaines intrigues très simples, je les oublie quand le film est fini. Les gens du jury me disaient : « C’est parce que tu as bien aimé les images », parce que je suis opérateur, mais ça n’est pas ça du tout. Il y a des séquences dans ce film que je trouve belles, la fille qui renverse le réservoir avec la nourriture des chèvres, dans la boue derrière la maison et revient, je trouvais ça beau, c’est difficile de le vendre à un jury !

"Ceniza Negra"
"Ceniza Negra"

Pour moi, Ceniza Negra était un film de Caméra d’or : il n’est pas parfait, le cinéaste ne sait pas raconter une histoire parfaitement mais il a des pulsions. Cette séquence avec le serpent est la plus belle que j’ai vue dans tous ces films. C’est quelque chose que je n’ai pas beaucoup vu dans ma vie au cinéma. Dans les discussions du jury, il fallait toujours remettre dans le réel en fait, savoir si politiquement… est-ce que c’est plausible, à cette époque-là, au Guatemala sur les massacres et les guérilleros… il y a eu peu de rapport poétique. J’étais le chef op’ là-dedans, j’avais le sentiment que je m’intéressais à ça parce que j’étais chef op’. Pas du tout ! je m’intéresse à l’histoire d’une autre manière. Je vois un film toujours de manière un peu flottante.
Il y a forcément un côté injuste de l’ordre dans lequel on voit les films, comme dans un concours. Cet ordre était bizarre, complètement aléatoire. Je prenais des notes quand même, pour ne pas les oublier.

Caroline Champetier : Comment se passaient les délibérations du jury ?

Je me rendais compte que les gens s’intéressaient à des choses qui ne m’intéressaient pas forcément. Je n’ai jamais eu le temps de décrire aussi bien qu’à vous la séquence de cette grand-mère et de ses serpents morts. Ce n’était pas possible de passer cinq minutes à parler de ça, tout le monde m’aurait dit « on n’a pas du tout aimé le film, on continue… » C’était scolaire, et moi je suis de moins en moins scolaire. On était très encadrés. Au début, Thierry Frémeaux fait un speech, avec Olivier Gotron, et ils nous disent : « Vous faites ce que vous voulez, si vous voulez ne parler des films qu’à la fin vous êtes libres ». Mais en fait ça leur fait un peu peur parce qu’ils aimeraient bien savoir vers quoi on s’oriente. Comme la Caméra d’or croise les compétitions, chez nous il y avait des films de la sélection officielle, Atlantique et Les Misérables. On se dit que les sélectionneurs en attendent beaucoup, forcément, si on les a remontés d’Un Certain Regard ou de la Semaine de la Critique, c’est qu’il y a une grande ambition pour ces films. Personne ne te le dit clairement mais je l’ai senti comme ça.

C. C. : Est-ce que tu pourrais parler de la nationalité des films ?

Les films arrivent du monde entier, c’est ça que j’ai adoré. J’ai le sentiment d’avoir fait un voyage, un truc planétaire incroyable, que toutes les histoires, au bout d’un moment, pouvaient s’imbriquer entre elles, comme une espèce de film-monstre. C’était comme une sorte de série, les thèmes se répondaient, les zombies et les morts vivants étaient dans tous les films. Je pense que les sélectionneurs, un peu comme les commissaires d’exposition, ont envie que les choses se ressemblent un petit peu. Il y avait le film de Jim Jarmusch, Atlantique de Mati Diop, Abou Leila, un film algérien, et il y a du vaudou dans un film brésilien que j’ai beaucoup aimé aussi, Sem Seu Sangue, (Sick sick sick en anglais). J’ai eu le sentiment de faire un voyage, j’ai pioché à droite à gauche les pays. J’adore voir les films d’autres pays, c’est vrai, comme j’aime aussi tourner dans d’autres pays, filmer des gens que je ne connais pas, le cinéma a aussi ce rôle-là pour moi.
Je suis plus attiré par un film péruvien qu’un film français mais il y a un film français que tout le jury a aimé, Les Particules : c’est l’histoire d’un groupe d’ados en province, près de l’accélérateur de particule souterrain du CERN, un peu comme ce que j’ai connu quand j’habitais à Cherbourg, à côté du CEA. Cette bande d’ados fume des pétards et mange des champignons hallucinogènes, ils ne font pas grand-chose a priori, et petit à petit tout se met en place de manière assez belle, et des personnages se transforment en paillettes, une sorte de gaz lumineux. C’est assez bizarre, poétique et très subtilement fait. Un langage très beau de la province, avec un fort accent, presque comme un film d’Eustache, se mêle à cette métaphore de l’accélérateur de particules souterrain à la fiction. Ce sont les particules qui s’entrechoquent, les choses de la vie de tous les jours, inscrites dans un lieu. Ce film-là a touché tout le monde dans le jury, on l’a gardé jusque à la fin.

C’est sur un film guatémaltèque, Nuestras madres, qu’on s’est tous mis d’accord. Il est dans la lignée de ce qu’a fait Rithy Panh, pas sur un génocide mais quasiment. C’est l’histoire d’un jeune anthropologue qui fouille des charniers où les militaires ont enterré leurs victimes pendant les massacres des années 1970. Ils essayent de récupérer des squelettes entiers, ils les mettent dans des boîtes et les gens viennent chercher leurs morts, des femmes qui viennent voir si c’est leur mari ou leur fils. C’est un film très émouvant. Il commence avec ce jeune homme, filmé en plongée, qui dispose parfaitement sur une table qui occupe tout le cadre un squelette entier, petit à petit, pour faire un corps, avec la tête sur un petit coussin. Le film nous a gagnés avec ce premier plan. C’a été unanime. Il était visuellement d’une grande simplicité mais son histoire est poignante et la révélation de la fin nous a retournés comme des crêpes. Tous les autres films avaient des défauts et celui-là est presque parfait, voilà. Par exemple, on avait vu un film avant qui parlait de la Bosnie, et qui parlait mal des morts, on trouvait que c’était un peu bizarre, alors que là, il y avait un respect énorme. A un moment donné il filme ces gens qui sortent avec les cartons, qui les transportent, on sait qu’il y a un mort dans chaque carton, après dans des bureaux les gens sont là à attendre comme chez le médecin, savoir si c’est leur boîte ou pas, c’est très dur. Le film traite son thème avec rigueur, sans faille sur le plan historique. On s’est tous mis d’accord, sans que le président ait eu à pousser. On l’a vu quatre jours avant de voter, le mardi de la seconde semaine, à 11h45 au Miramar, après un film très éprouvant à 8h15, long et antonionien. Là, c’était presque mathématique, l’homme pose un os puis un autre, et le réalisateur construit son film comme ça : une séquence, puis une autre, c’est tout simple. On comprend que le personnage fait ce travail parce que son père a été tué aussi, et dans chaque corps il pense trouver celui de son père. A un certain moment sa mère lui dit : « On part en vacances », ils partent au bord de la mer – beaucoup de films vont au bord de la mer, c’est un peu la solution, tout le monde fait ça, les gens vont en week-end au bord de la mer, les films aussi. Les films à la Caméra d’or, à un moment donné, partent en vacances au bord de la mer. C’est difficile de filmer la mer, d’ailleurs on a parlé de ça avec le jury, la mer souvent ça ne veut pas dire grand-chose au cinéma, on voit des vagues, souvent pas grand-chose sauf que là, c’est le crépuscule, et elle lui fait une révélation. J’avais le sentiment que le réalisateur dès le départ avait cette idée des squelettes, et après a essayé de faire un film avec. Très clairement, moi j’aimais des films qui étaient moins parfaits.

"Nuestras madres"
"Nuestras madres"

C. C. : Est-ce que ce qui s’est dit sur le cinéma t’a intéressé ?

J’ai vécu ça de manière assez forte quand je voyais le film mais les discussions disaient très clairement : « Il faut trier, il faut éliminer ». J’étais le seul à raconter des séquences, sinon c’était tout de suite un avis global, et sur la légitimité des cinéastes à faire leur film. On était au-delà du cinéma.

C. C. : C’est surtout du jugement. Nous, on est assez habitués à ne pas juger, parce qu’on accompagne les metteurs en scène. C’est un apprentissage de ne pas juger.

Je n’ai pas encore complètement réussi à le faire, mais c’est exactement ça. Je pense que pour être un bon chef opérateur, il ne faut pas juger. Si quelqu’un a envie de faire un plan, il faut le faire au mieux, sans juger. Un film où l’on juge ce que fait un metteur en scène chaque jour, ce n’est pas intéressant du tout, c’est horrible. Quand je fais un film, j’ai le sentiment d’être celui qui croit le plus que le film va se faire. Plus que le metteur en scène qui parfois doute. On est habitué à accompagner le metteur en scène, on est une force derrière eux, on croit plus qu’eux que ça va se faire. C’est ça notre truc aussi. Au-delà de l’image.

Michel Abramowicz : C’est pour ça qu’on est toujours surpris quand un film s’arrête.

Remettre un prix, faire le tri, je trouve ça difficile, je n’ai jamais fait partie d’un jury et je ne compte pas en faire beaucoup. On en est réduit à j’aime-je n’aime pas. Chacun votait pour sa sensibilité, on n’échange pas d’arguments, chacun dit ce qu’il aime. Il y a des films dans lesquels j’aimais deux séquences, un acteur, une actrice…

C. C. : C’est aussi parce que ce sur quoi nous travaillons, c’est l’atome, le plan et après le plan, c’est la séquence : on les voit. J’ai l’impression que la plupart des spectateurs sont déjà dans un tout du film.

C’est exactement le problème. Ils pensaient même distribution, est-ce que le film a un gros ou un petit distributeur, qui est l’attaché de presse… Moi, ce n’est pas mon truc du tout. Il m’est arrivé de faire un film pour une séquence, la séquence de fin par exemple, que j’aimais dans le scénario. J’ai fait tout le film en pensant à la séquence de fin. Ça sauve l’idée de faire le film, c’était important. C’est très rare de trouver un film parfait.

C C. : C’est comme si on était des chimistes et qu’on regardait des molécules, on voit des molécules de cinéma, et c’est rare que dans un film entier, toutes les molécules soient vivantes.

Quand j’étais là-bas, je pensais à comment les metteurs en scène doivent réfléchir à la "fatigue", quand on regarde un film il y a réellement une perte de concentration. On ne pense jamais à ça au moment de faire le film, chaque jour on est reposé. Au théâtre, l’acteur se fatigue pendant le cours de la représentation, au cinéma, tout le monde est frais pour faire le plan chaque matin. Il faut étudier la manière dont le film épuise ses cartouches, et son pouvoir d’excitation. C’est étonnant, quand on voit autant de films on le comprend.

C. C. : Le savoir du cinéaste serait de tenir le souffle.

Le plus beau au cinéma, c’est ça, c’est ceux qui comprennent comment garder le souffle. Je crois que c’est ça.

M. A. : Souvent ça se fait au montage.

C. C. : On comprend que de jeunes sportifs comme ça n’aient pas encore beaucoup de souffle.

Exactement. C’est un marathon, tout à coup il y a un sprint et après il ne se passe pas grand-chose, ils sont fatigués, c’est vrai. Il y a beaucoup de films sur la marche d’ailleurs, sur le mouvement. Il y a un truc sur le manque de souffle, et ça le jury ne l’a pas analysé. On n’a jamais eu ces discussions comme on a là. J’ai fait un film qui a eu la Caméra d’or, L’Odeur de la papaye verte, tout le monde était très surpris, et je trouve maintenant que c’était un film qui était trop parfait, très scolaire, très bien fait mais parfait. Un film justement qui perd son souffle, je trouve ça plus chouette, plus émouvant. A un moment donné tu luttes contre le film, tu as ta vie à toi, et le film n’est pas assez intéressant, tu t’évades. Comme au musée, tu ne regardes pas un tableau trois heures. Les gens qui le font sont très rares. Même des Picasso, trente secondes, les gens l’ont photographié, ils passent au suivant.

C. C. : Pour rester, il y a quelque chose de l’ordre de l’intelligence de la fabrication qui doit se déployer. L’image de Picasso est extrêmement forte mais comprendre comment il l’a construite, d’où ça vient, ça devient un autre regard.

Je pense qu’on est de moins en moins habitué à voir un film qui nous résiste un petit peu, qui ne nous séduit pas complètement. Même le corps, on oublie la fatigue réelle de voir un film. Et quatre dans une journée, c’est énorme, tu rentres chez toi le soir épuisé, c’est assez intéressant. C’était une expérience assez limite. Ça m’a questionné sur ce que j’avais envie de faire au cinéma. Est-ce que j’ai encore envie de faire d’autres films, est-ce que j’ai encore envie de me battre pour faire des films, est-ce que j’ai raison de me battre pour qu’un film soit meilleur, et quand je vois ça je me dis non, parfois ça ne sert à rien. Je me suis posé toutes ces questions-là en voyant ces films. Certains jurés disaient : « Ce film-là je pourrais le remonter, ça ferait un film formidable », c’est intéressant, sauf qu’on n’a pas dit comment on allait le remonter. Nous, on ne sait pas quel est le discours d’un chef opérateur en fait. On ne sait pas ce qu’un chef opérateur doit dire du cinéma.

C. C. : On est même étonné qu’ils parlent… [Rires]

C’est exactement ça ! On pense qu’ils ne parlent que de la technique. On se demande si on a, nous, une voix audible. Or jamais, vraiment jamais je n’ai été influencé par la technique en voyant ces films.

"For Sama"
"For Sama"

Par exemple, j’ai pleuré plusieurs fois devant For Sama, un documentaire de Waad Al-Kateab, qui filmait pendant le siège d’Alep. Son mari chirurgien monte des petites cliniques qui se font détruire les unes après les autres et elle le suit partout, au début avec son iPhone, puis des caméras de plus en plus grosses. Elle se filme, elle filme l’hôpital où elle vit avec son petit enfant, au gré des bombardements, des blessés qui arrivent. Il y a une séquence extraordinaire qui m’a fait fondre en larmes : deux tout petits garçons couverts de sang et de gravats se tiennent au ras de la table d’opération, sur laquelle le chirurgien essaie de réanimer le troisième frère, aussi couvert de sang. Le chirurgien discute avec eux, à un mètre de leur petit frère qui est mort. Le chirurgien finit par leur dire et ils sont pétrifiés. La mère arrive, prend son enfant mort qu’ils ont déjà enveloppé dans un plastique horrible et part avec les deux autres. A un autre moment il essaie de réanimer un bébé pendant dix minutes, et on voit tout. Ce sont des séquences assez démentes. Après ça, les discussions du jury, c’était « est-ce qu’il y a du cinéma, est-ce qu’on a le droit de montrer ça… » Il y a des plans au drone et certains doutaient que c’était elle qui les avait faits… Mais c’est elle qui s’était acheté un drone, elle a fait son film, de l’iPhone au drone, pour montrer la situation de la ville détruite. Pour moi, c’est au-delà de la politique, mon père était chirurgien, je connais ça, et je me disais « quelle est la fille qui peut filmer ça ? » Ce film-là, techniquement, ne m’a pas révolutionné mais la séquence des trois frères, c’était quand même assez impressionnant. Pas poétique mais la vie. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui filme la vie normale, et la seconde d’après il est mort, là, au même endroit. Le film était monté par quelqu’un de la BBC, les Anglais l’ont sortie du pays, elle était à Cannes avec son mari, je leur ai dit bonjour à la sortie, c’était un peu bizarre de les voir à Cannes en smoking. J’ai dit à la réalisatrice à quel point ça m’avait ému, elle a fondu en larmes, j’étais embêté, « je ne veux surtout pas vous faire pleurer. » Ce n’est pas un très bon film mais c’est celui dont je me rappelle le plus, au bout du compte.

J’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience assez intime en fait…

PS : Au début je voulais faire un dessin par film, un dessin d’un plan. Il y a un film péruvien pour lequel on a failli voter, qui était presque trop beau, Cancion sin nombre, sur une paysanne au Pérou qui habite une petite maison sur une colline à 45°. Dans un plan magnifique au début, elle quitte sa maison toute petite dans un coin, ils marchent dans la brume, c’est en noir et blanc, format carré, un très beau plan. Chaque plan est une photo, hyper cadrée, c’est très séducteur.

En illustration de cet article, des peintures faites par Benoît Delhomme sur iPad en souvenir de certains films vus à Cannes.