Disparition du directeur de la photographie Allen Daviau, ASC
Par Marc Salomon, membre consultant de l’AFCNé le 14 juin 1942 à la Nouvelle-Orléans, il avait grandi à Los Angeles où il se souvenait avoir été fasciné, vers l’âge de 12-13 ans, par une démonstration de la télévision en couleurs. Sa passion pour la photographie ne cessera de murir durant les années de lycée, entre lecture de Colour Photography in Practice - un ouvrage de D. A. Spencer paru en 1938 -, et pratique de la prise de vue et du laboratoire en amateur. Il suit aussi les cours de Bob Epstein qui lui font découvrir les cinéastes Vittorio De Sica, Federico Fellini, Ingmar Bergman, Robert Bresson, Yasojiru Ozu, et Akira Kurosawa.
En 1961, il réussit à forcer les portes d’un studio afin d’observer le tournage de La Vengeance aux deux visages, le seul film réalisé par Marlon Brando, et photographié par Charles Lang, ASC. Voir le légendaire directeur de la photographie s’activer sur le plateau décide de sa vocation : « Il semblait être partout à la fois, affinant le cadre avec l’opérateur, ajustant les positions des figurants en arrière-plan, ajustant la lumière d’au moins une douzaine de Fresnel. Alors qu’il indiquait ses marques à une ravissante actrice et peaufinait subtilement l’ombre sur son front, je me suis dit que cet homme avait le meilleur job du monde. »
Tout en exerçant divers petits boulots, dans un magasin de caméra et dans un laboratoire, il acquiert en 1965 une caméra Beaulieu R16 "Electric" avec trois optiques fixes Angénieux et commence à tourner, en free-lance, des spots publicitaires, des documentaires industriels et films musicaux (Aretha Franklin, Jimi Hendrix, les Doors, les Who...). En 1967, il participe en seconde caméra au tournage de Slipstream, premier court métrage inachevé de Spielberg. Il collabore aussi à la réalisation des effets visuels psychédéliques pour The Trip, un film de Roger Corman photographié par Archie R. Dalzell.
L’année suivante, Allen Daviau signe la photographie de Amblin’, de Steven Spielberg, un road-movie de 25 minutes, dans la mouvance "Summer of Love", et sans paroles qui débute avec une succession de plans sur fonds de ciels au levant et au couchant, une figure de style récurrente chez Spielberg et dans la filmographie de Daviau.
Ne parvenant pas à intégrer le syndicat de la côte Ouest (IATSE Local 659), Allen Daviau travaillera pendant une dizaine d’années pour la télévision, il tournera des centaines de spots publicitaires et autres clips tout en restant en contact avec Spielberg. En 1973, il participe avec John Hora aux prises de vues d’un étrange documentaire, New Gladiators, autour d’Elvis Presley et sa pratique du karaté ! Le film ne sera exploité qu’en 2002. En 1978, Daviau est enfin reconnu par le syndicat et tourne ainsi son premier "Union Film" mais toujours pour la télévision, The Boy Who Drank Too Much, de Jerry Friedman, avec John Toll comme cadreur.
En 1980, Spielberg lui confie les prises de vues additionnelles dans le désert de Gobi pour la réédition de Rencontres du troisième type. Puis, Daviau enchaîne avec Harry Tracy, Desperado, un film de William A. Graham, tourné dans les paysages enneigés de la Colombie britannique, au Canada, une sorte de Butch Cassidy et le Kid dans les paysages de John McCabe. « Un petit film que j’aime beaucoup mais que peu de gens ont vu », déclarait-il en 1999. « Nous avons eu la malchance qu’il sorte en même temps que La Porte du paradis. (…) Il y a des lumières et des scènes dans ce film que j’aime beaucoup. La fin de Harry Tracy reste une des plus belles choses que j’ai faites à ce jour. »
Depuis leur première collaboration, Spielberg avait réalisé six films avec des directeurs de la photographie confirmés : Jack Marta, Vilmos Zsigmond, Bill Butler, William Fraker et Douglas Slocombe. Après avoir visionné trois bobines de The Boy Who Drank Too Much, Spielberg décide de lui confier, en 1981, la photographie de son prochain film, E.T., avec pour consigne de voir le moins possible la créature extra-terreste, sinon ses yeux. « Je ne t’en voudrai pas si tu te plantes en prenant des risques », lança-t-il à son chef opérateur, « Je t’en voudrai si tu te plantes en jouant la sécurité. »
Admirateur du travail de ses confrères Vilmos Zsigmond, Caleb Deschanel, Conrad Hall, Vittorio Storaro, David Watkin mais aussi James Wong Howe et John Alton, Allen Daviau s’était déjà forgé un style où commençait à s’affirmer un goût pour une approche à la fois naturaliste et stylisée de la lumière, à grand renfort de puissantes sources diffuses, de contre-jours et silhouettes, d’extérieurs sous la fameuse "magic hour", d’effets de brouillard et faisceaux de lumières. « J’essaie de ne jamais avoir de préjugés en faveur d’un seul type d’éclairage », déclarait-il en 1983. « J’aime toujours explorer différentes manières d’éclairer. Ici [E.T.], j’ai pu utiliser à peu près toutes les techniques d’éclairage que j’avais apprises - sources directes, à l’ancienne, sources visibles dans le champ, petits points de lumière. Nous voulions une couleur propre, non filtrée, avec de vrais noirs profonds. » Tout au long du film, Daviau alterne avec une réelle virtuosité des séquences plutôt réalistes avec parfois de violentes directions de lumière, supposées extra-terrestres. « Il est très important », lui indiqua Spielberg , « que tous ceux qui verront le film soient convaincus que E.T. pourrait débarquer dans leur arrière-cour et entrer dans leur maison pour rendre visite aux enfants. »
Allen Daviau tourne ensuite avec John Schlesinger, Le Jeu du faucon, puis retrouve Spielberg sur La Couleur pourpre, en 1985, l’histoire de deux sœurs noires et de leur famille au cours de la première moitié du XXe siècle dans le sud des Etats-Unis. « Je veux voir les visages », lui dit Spielberg , « je ne veux pas voir uniquement les yeux et les dents ». Pour pouvoir illuminer suffisamment les visages, Daviau demanda donc au chef décorateur, Michael Riva, de concevoir des décors très sombres : « Ainsi, je pus éclairer fortement à travers les fenêtres sans impacter les murs avec la lumière qui éclairait les visages ».
L’Empire du soleil, de Barry Levinson, tourné en 1987, est l’odyssée du jeune fils d’un industriel britannique résidant à Shanghai, capturé par les soldats japonais et séparé de ses parents en 1941 après l’attaque de Pearl Harbour. Une épopée lyrique, la guerre vue à travers le regard d’un enfant, vaste entreprise tournée en Chine (Shanghaï), Angleterre et Espagne. On pense à David Lean - qui avait un temps songé à adapter le roman éponyme de J. G. Ballard -, et bien sûr à Freddie Young, dont Allen Daviau admirait particulièrement le travail.
Allen Daviau remporta donc ses trois premières nominations aux Oscars avec ces films de Spielberg avant d’en ajouter deux autres grâce à deux films d’époque réalisés par Barry Levinson : Avalon, en 1989, et Bugsy, en 1991. Regrettons que par la suite, et à l’exception de Fearless (État second), de Peter Weir, Daviau n’ait pas trouvé de réalisateurs à sa mesure. Mentionnons tout de même, aux confins du fantastique, Cœurs perdus en Atlantide, de Scott Hicks, en 2001, et son dernier long métrage en 2004, Van Helsing, de Stephen Sommers.
Durant toutes ces années, Allen Daviau resta toujours très actif dans le domaine de la publicité, un lieu d’expérimentations techniques et artistiques sans limites, mais qui l’aura sans doute éloigné des longs métrages de fiction, d’autant que Spielberg avait, entre temps, noué une collaboration étroite avec Janusz Kaminski.
- Lire le témoignage de Denis Lenoir, AFC, ASC, ASK. : "Quelques souvenirs que j’ai d’Allen Daviau, ASC"
- Hommage à Allen Daviau sur le site Internet de l’ASC.
En vignette de cet article, photo d’Allen Daviau extraite de l’hommage rendu par l’ASC.