Hommage à Mireille Aranias, agente artistique nous ayant quittés
Mireille Aranias, par Laura de Bettencourt et Yannis Mangematin
Mireille Aranias était un personnage à part dans le monde du cinéma français, une femme passionnée, déterminée et pleine d’audace, qui a su laisser une empreinte indélébile dans un milieu qu’elle aimait profondément. Mireille, c’était une histoire de cinéma à elle seule.
Née dans une période tourmentée, Mireille Aranias était une rescapée de la Shoah. Elle aurait pu laisser ce passé douloureux la définir. Mais, avec une force incroyable, elle a choisi de transformer cette épreuve en une énergie de vie hors du commun. Avec un humour décapant et un regard lucide, elle a fait de sa résilience un moteur pour avancer et inspirer ceux qui l’entouraient.
Cinéphile dès son plus jeune âge, Mireille voyait le cinéma comme un refuge, un lieu où les histoires pouvaient apaiser les blessures et offrir un espace de rêve. Mais elle ne s’est jamais contentée d’être spectatrice. Elle admirait profondément le travail des directeurs de la photographie, ces véritables artistes de la lumière capables de sublimer une scène et de donner une âme aux images.
Dans les années 1980, après des débuts comme journaliste culturelle et directrice de production, elle découvre sa vocation sur les plateaux de tournage, au contact des chefs opérateurs. Ces rencontres mènent à une révélation : ces artistes, essentiels au cinéma, manquent cruellement de reconnaissance. Mireille décide de changer cela.
En 1990, elle fonde First One, la première agence en France dédiée aux directeurs et directrices de la photographie. Une initiative visionnaire et audacieuse dans un milieu où ces artisans étaient souvent relégués au rôle de techniciens de l’ombre. Ce combat n’était pas simple. Les débuts furent marqués par le scepticisme, parfois les moqueries. Mais Mireille, avec son courage et sa détermination, a imposé sa vision : donner plus de reconnaissance et offrir davantage de droits à ceux qui travaillent dans l’ombre pour faire briller les autres.
Plus tard, avec cette même volonté de valoriser les talents de l’ombre, elle a élargi son agence à d’autres métiers essentiels du cinéma : costumiers, chefs décorateurs et make-up artists. Elle a donné une voix à ceux dont le travail reste souvent invisible mais est pourtant indispensable à la magie du grand écran.
Grâce à son travail acharné, de nombreux chefs opérateurs ont collaboré avec les plus grands réalisateurs, de Paris à Hollywood, et bien au-delà. Elle a ouvert des portes et créé des opportunités dans un monde où cela semblait encore marginal. Aujourd’hui, voir des chefs opérateurs français travailler à l’international paraît normal, mais cette réalité doit beaucoup à Mireille et à sa volonté inébranlable de leur donner une voix.
Mireille, cependant, n’était pas seulement une professionnelle accomplie. Elle était un véritable personnage de cinéma à elle seule : une héroïne qui aurait pu être imaginée par Truffaut, Woody Allen ou Almodóvar. Elle vivait chaque instant avec une intensité et une passion remarquables.

Au-delà de son travail, Mireille avait cette capacité unique à tout tourner en dérision, à rire de tout, même des moments les plus difficiles. Cette joie de vivre, elle l’a transmise à sa famille et à tous ceux qui ont eu la chance de la connaître.
Elle avait également une admiration sans bornes pour ceux qu’elle représentait. Dans son hommage à Jean-Yves Escoffier à l’AFC, l’un des premiers chefs opérateurs à rejoindre son agence, elle écrivait : « Tu es parti aux USA, où ton talent a été reconnu. [...] C’est en souriant que je revois les magnifiques images du film de Léos Carax, Mauvais sang, la beauté de Juliette Binoche, illuminée par ton regard ».
Aujourd’hui, la famille des directeurs de la photographie se souvient de tout ce qu’elle leur a apporté. Les messages tombent, les hommages arrivent. Mireille, avec son courage, sa générosité et son amour du cinéma, a contribué à écrire une page importante de l’histoire du cinéma français.
Témoignages
Jean-Claude Aumont, AFC
Mireille a été la première, je crois, agente de directeur de la photo en France.
Nous avons fait un bon bout de chemin ensemble, dès le début de First One.
Je ne sais comment lui rendre hommage, mais c’est une démarche à laquelle j’adhère.
Caroline Champetier, AFC
Mireille m’a demandé de rentrer à First One vers 1992 après La Sentinelle, d’Arnaud Desplechin.
C’était une femme d’esprit, souvent drôle, qui avait un vrai goût de cinéma. J’entends par là qu’elle avait son goût, le cinéma d’auteur anglais, le cinéma indépendant américain et quelques cinéastes français avaient grâce à ses yeux mais elle était hors de la doxa auteurs français.
En 2000, elle m’a présenté David Teboul avec qui j’ai tourné Yves Saint Laurent, 5 avenue Marceau 75116 Paris, le documentaire sur la maison Saint Laurent qui est un souvenir inoubliable, trois mois dans les ateliers à suivre les modèles de ce qui sera la dernière collection Saint Laurent.
J’ai partagé avec Mireille une grande affection pour Jean-Yves Escoffier, initiateur de Leos Carax.
Je pense à tous ceux qui ont travaillé avec elle, dont Véronique Lhébrard, et aussi évidement
à ses enfants Yannis et Laura.
Rémy Chevrin, AFC
En 1991, je venais de tourner mes premiers clips et publicités comme chef opérateur lorsque j’ai rencontré Mireille. Depuis quelques années, elle avait créé l’agence de directrices et directeurs de la photographie "First One". Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer chez Bandits, qui était aussi à Boulogne, près de ses locaux. Nous avions évoqué le travail d’opérateur et notre discussion avait glissé tout doucement vers le cinéma d’une manière générale, puis les films qui avaient marqué nos parcours respectifs. Un point commun apparaissait : l’amour de la photographie et du texte, mais aussi du cinéma puis avaient jailli la littérature et la peinture et la Photgraphie qui nous nourrissaient. Quelques jours plus tard, une autre conversation nous amenait à envisager un parcours commun, ensemble, défendant les idées que nous avions évoquées auparavant. Ce fut le début d’un beau parcours partagé, des bureaux de Boulogne à ceux du 8e arrondissement, au gré des mouvements de l’agence, entourés par Véronique Lhebrard, fidèle collaboratrice. Avec les années, j’ai appris à la connaître, à apprécier son regard tendre et parfois moins sur la vie. Son parcours de jeunesse lui avait forgé un tempérament fort, entier qui était une de ses forces. Nous avons marché ensemble une quinzaine d’années : elle était entourée de certains de mes collègues, Caroline Champetier, Laurent Dailland, Eric Gautier, Jean-Yves Escoffier et tant d’autres, toutes et tous "bourrés de talent". Puis nos chemins se sont écartés au milieu des années 2000, comme cela arrive si souvent, une recherche d’un souffle nouveau, un regard différent sur notre travail… Elle a été à mes côtés lors de mes premiers pas au Festival de Cannes et m’a rassuré, orienté pour ne pas faire de faux pas. Je retiendrai d’elle un force incroyable, une notion puissante de la famille, évoquant ses enfants, Laura et Yannis, comme les perles de sa vie.
Sans elle, mon parcours n’aurait pas été le même et elle a su canaliser mes envies, mes questionnements.
Je pense à elle, probablement très heureuse maintenant auprès des grands cinéastes du siècle.
RIP Mireille
Laurent Dailland, AFC
Le dialogue AFC est souvent porteur de tristes nouvelles, c’est par lui que j’ai appris le départ de Mireille. Mes pensées vont bien sûr à Laura et Yannis ses enfants.
Le premier mot qui me vient à l’esprit quand je repense à elle, c’est « Merci ».
Je ne l’ai pas connue quand elle était directrice de production, mais quelle idée formidable de monter une agence de techniciens de cinéma. First One, sa première agence portait bien son nom, première en tout. D’ailleurs cette innovation n’était pas du goût de tout le monde… Nos producteurs et directeurs de productions aimaient un peu trop souvent compter sur nos passions pour nous rémunérer au juste prix.
Mireille a demandé à me rencontrer en 1996 après la sortie du film de Nicole Garcia Place Vendôme et bien j’aurais dû la rencontrer avant ! Je suis resté dans son agence plus de 20 ans. First One est devenu MAM Agency. On lui doit beaucoup. Aujourd’hui, je crois que presque toutes les directrices et tous les directeurs de la photographie de l’AFC ont un agent. Elle a imposé sa vision de nos métiers à la profession.
Mireille Aranias : Respect !
« Tu as vu le dernier film de X, le travail de Caroline est à tomber par terre ! » Son enthousiasme pour nos parcours était tellement sincère et son exubérance vocale dissimulait mal une véritable passion de l’image et de ceux qui la font. Elle prenait son travail à bras le corps et c’est sans doute Véronique Lhébrard, son ancienne assistante, qui en parlerait le mieux. Il y avait de l’ambiance dans les bureaux. Parfois après un déjeuner avec Mireille, j’aimais la raccompagner et rester un peu l’écouter passer ses coups de fils…
Une fois, je lui ai même fait remarquer qu’il valait mieux raccrocher et respirer avant de dire : « Mais quel c… celui-là », je suis sûr que son interlocuteur avait eu le temps d’entendre sa "remarque".
J’aimais beaucoup aussi ses changements d’avis à 180°. Par exemple à propos d’Éric Gautier, de « Mais c’est qui celui-là, aucun intérêt » à « Quel type et quel chef op génial » dès qu’il fut rentré chez First One. J’en souris encore.
Sans m’en rendre vraiment compte, depuis qu’elle est partie, je pense souvent à elle. Elle va nous manquer.
Nous, ses ouailles, avons a participé à la réputation de Firs One et MAM Agency, mais Mireille a largement contribué à la nôtre.
Mireille, Merci pour tout !

Véronique Lhébrard, agence artistique Apicorp
J’ai eu le privilège de partager des années avec Mireille chez First One. Pionnière dans son domaine, Mireille était une force vive, une âme passionnée par l’art et le cinéma. Sa fantaisie, son extravagance parfois, cachaient une personnalité plus complexe, une intelligence, une sensibilité, un goût très sûr et beaucoup de courage.
Travailler avec Mireille était joyeux et dépassait les codes. Son tempérament en a bousculé plus d’un.
Nous partagions une grande complicité. Mireille m’a montré qu’exprimer qui nous sommes, écouter nos sensibilités et notre intuition pour faire nos choix, est possible. J’exprime ici toute ma gratitude pour cette liberté dont j’use chaque jour à mon tour.
Son ton franc et libre va nous manquer.
Chère Mireille, c’est avec une grande tristesse que je te souhaite bon voyage. Toute ma tendresse à ses enfants et petits-enfants.
Denis Lenoir, AFC, ASC, ASK
Quand Mireille Aranias créa First One, la première agence française à représenter des chefs opérateurs, elle comblait pour moi un manque important, et je devins très vite un de ses clients. Mais une agence en soi n’est pas grand-chose, ce qui compte c’est l’agent, et Mireille s’imposa très vite, car elle avait un œil remarquable, un réel goût de l’image et enfin, surtout, un vrai amour du cinéma.
C’est elle qui au début des années quatre-vingt-dix nous fit rencontrer, Jean-Yves Escoffier et moi, Sandra Marsh venue faire son "marché" en France à la suite de quoi cette dernière nous signa tous les deux. Jean-Yves émigra très vite, je mis plus longtemps.
À l’exception d’une brève infidélité avec Kinou, je suis resté avec Mireille pratiquement jusqu’à la fin, nous fûmes en effet, je crois, Yorick Le Saux et moi, ses deux derniers clients. Passionnée, très drôle, des jugements à l’emporte-pièce, parfois franchement impossible. Je lui reprochais, en vain, elle ne m’entendait pas, quand nous nous parlions au téléphone et que j’étais, comme on dit à Los Angeles, « between projects » de me bassiner avec tous les merveilleux projets que ses autres clients avaient grâce à elle, cela m’horripilait, mais c’était Mireille, bavarde, énergique, généreuse. Je pense à elle avec tendresse.
Philippe Piffeteau, AFC
C’est au milieu des années 1990 que j’ai rencontré Mireille Aranias et intégré First One. J’étais très fier de faire partie dans la première agence de directeurs de la photographie, où étaient de prestigieux chefs op’, Jean-Yves Excoffier, Denis Lenoir...
Elle a su créer un nouveau rapport avec les productions et défendre notre statut, ce qui n’était pas gagné ! Beaucoup de nouvelles agences de chefs op’ sont apparues depuis.
Merci Mireille de m’avoir fait confiance à mes débuts. Je garderai toujours en mémoire ces déjeuners parisiens où tu me racontais les carrières magnifiques de mes collègues !
Je pense fort à ses enfants, Yannis et Laura.
Laurent Tangy, AFC
Mireille Aranias, que bon nombre d’entre nous ont connue, nous a quittés.
Elle a beaucoup fait pour notre métier.