Impressions au retour de la 80e Mostra de Venise

Par Guillaume Le Grontec, AFC
Nous apprenons la bonne nouvelle fin juin : A Short Trip est sélectionné à la 80e Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica de Venezia - Orizzonti Short film Competition. Erenik Beqiri, son réalisateur, est alors à Paris, moi aussi. Nous avons tourné ce film court (17 mn) un an plus tôt à Marseille (cf. l’entretien AFC par François Reumont) avec une caméra Sony Venice 2. Un signe ?

Le producteur Olivier Berlemont prend des billets d’avion. Décollage le 6 septembre, veille de notre projection au festival. Le festival a débuté depuis une semaine.
Nous débarquons : Olivier, Erenik, moi et nos deux acteurs principaux, Tristan Halilaj et Luana Bajrami (qui, elle aussi, présente un long métrage en tant que réalisatrice en compétition Orizzonti Extra). Cerise sur le gâteau : Stella Libert, ma fidèle et précieuse 1e assistante caméra, se joint à nous...

Sur le tapis rouge - De g. à d. : Tristan Halilaj, comédien, Olivier Berlemont, producteur, Luana Bajrami, comedienne, Erenik Beqiri, réalisateur, Guillaume Le Grontec, directeur de la photo, et Stella Libert, 1<sup class="typo_exposants">e</sup> assistante caméra
Sur le tapis rouge
De g. à d. : Tristan Halilaj, comédien, Olivier Berlemont, producteur, Luana Bajrami, comedienne, Erenik Beqiri, réalisateur, Guillaume Le Grontec, directeur de la photo, et Stella Libert, 1e assistante caméra

Mercredi 6
Arrivée à l’aéroport de Venise, un taxi-bateau est mis à disposition par le festival et nous emmène vers le Lido. La lagune s’ouvre devant nous, première fois à Venise pour moi, moment magique…
RDV protocolaire au Palais du festival : Jane Campion, membre du jury est là, assise sur un banc elle attend. Nous passons et repassons devant elle avec nos valises à roulettes. Nous nous sourions, je décide de l’approcher, lui dire que nous sommes là avec un court métrage. Elle semble un peu fatiguée, je n’insiste pas.
Je réussis à avoir les coordonnées des responsables de la projection afin de demander à voir quelques images du DCP de notre film dans la salle où aura lieu la projection. Je reçois rapidement un e-mail m’expliquant que ce n’est pas possible et qu’il faut leur faire confiance mais que tout va bien. Pas le choix.

Tapis rouge menant à la Sala Grande - Photo Guillaume Le Grontec
Tapis rouge menant à la Sala Grande
Photo Guillaume Le Grontec
La Sala Giardino - Photo Guillaume Le Grontec
La Sala Giardino
Photo Guillaume Le Grontec

Nous filons à notre hôtel avec Erenik, toujours sur le Lido, c’est parfait ! Tout se fera à pied…
Premier dîner et puis bar du festival en plein air au bord de l’eau.
Pas de service d’ordre ou de barrières, tout est très simple, ouvert à toutes et tous ; nous retrouvons l’équipe qui gère la sélection court métrage afin de tous se rencontrer à la veille des projections…
J’aperçois Robbie Ryan, BSC, ISC. Autant vous dire que je n’ai pas loupé l’occasion d’aller le saluer. La discussion s’installe. Il est en sélection officielle avec le film Poor Things, de Yorgos Lanthimos. Il connaît bien le festival et nous donne ses Tips pour passer un bon séjour. Il est très chaleureux et curieux. Il ira voir notre film. Malheureusement Poor Things a déjà été projeté. Pas de séance de rattrapage.

Guillaume Le Grontec et Robbie Ryan lors du dîner de clôture
Guillaume Le Grontec et Robbie Ryan lors du dîner de clôture

Jeudi 7
Notre projection est à 17h. La sélection est répartie en deux programmes de six films courts, soit cinq heures de projection en tout… Nous ouvrons le premier programme, le second programme sera projeté le lendemain.
La salle est pleine. On sent l’effervescence : les équipes s’encouragent sous les applaudissements à l’arrivée de leurs réalisatrices et réalisateurs. J’avais déjà vécu cela à Cannes en 2019 avec la sélection officielle de The Van, le précédant CM de Erenik Beqiri que j’avais déjà photographié.

Le projecteur s’allume, le jingle du festival apparaît… noir…
Le premier plan de notre film s’inscrit sur l’écran, je me tasse dans mon siège : la projection est mauvaise, virage chromatique du rouge vers l’orange… Impossible de se relaxer, damned ! Je ne veux pas gâcher l’ambiance. J’en parlerai plus tard mais je me suis promis d’en toucher un mot à l’équipe du festival. (Toujours pas fait !)

Le programme défile… Nous sortons de la séance après une apnée de plus de deux heures… Luana Bajrami présente son film une heure plus tard. Nous avons des tickets et assistons à cette première avec son équipe. Magnifique moment pour cette jeune actrice et réalisatrice de 22 ans.

Vendredi 8 septembre
11h Je fonce voir en Sala Grande le film de Michel Franco Memory, éclairé et cadré par Yves Cape, AFC… Jessica Chastain et Peter Sarsgaard au casting ! Le film est excellent, je prends littéralement une claque… Je laisse un message à Yves pour partager à chaud mon enthousiasme…

13h Je retrouve mon équipe pour un déjeuner avec notre co-production italienne pour le long métrage de Erenik. On parle beaucoup du futur mais à ce moment précis je préfère profiter du présent.

15h J’assiste au second programme de notre sélection. Je ne vois pas Erenik dans la salle, on me dit qu’il est encore en conférence de presse.

Le soir nous avions décidé de quitter le Lido et de se retrouver sur San Marco pour dîner. Chacun part de son côté après la projection. Toujours pas de Erenik en vue.

On flâne sur les ponts, on prend le temps, on sort un peu du festival. Je suis ébloui par Venise.
On finit par trouver le restaurant, pas simple. Erenik est déjà là. Tous me regardent avec l’œil qui brille. Ils sont au courant, moi pas encore : on a gagné.
Il me faut trois bonnes minutes avant d’y croire : « Arrêtez de me faire marcher, j’ai passé une excellente journée, ne me la gâchez pas… » Je finis par parier que si cela est véridique je plonge dans le canal ! Je plongerai bien le lendemain matin dans le canal au pied de l’hôtel bien que cela soit formellement interdit.
Le pacte est scellé : rien ne doit fuiter, interdit de communiquer à qui que ce soit la bonne nouvelle. Demain soir le palmarès sera dévoilé.

Samedi 9
7h : Après une nuit blanche à regarder le plafond de la chambre et un plongeon dans le canal, j’ai Yves Cape au téléphone. Il m’appelle suite à mon message de la veille, s’ensuit 30 minutes de conversation à propos de Memory, mémorable ! Merci d’avoir appelé, Yves !
Il est l’heure de changer d’hôtel. Le festival nous installe à l’Excelsior, le grand hôtel du Festival. Ils veulent nous garder pas loin. Tant mieux…

Midi : A l’arrivée dans le hall pendant le check in, Jane Campion est là, à coté de nous. Elle nous reconnaît avec Erenik. Elle s’approche, nous sourit, nous fait un clin d’œil…

16h : On se retrouve tous dans notre chambre pour se faire beau, c’est le chaos !

17h précises : RDV dans un salon de l’hôtel avec toutes les équipes primées. L’ambiance est électrique.
Tout va alors s’enchaîner très vite : tapis rouge, installation dans la salle du grand théâtre. L’équipe de Poor Things, de Lanthimos, est assise à côté de nous. La cérémonie commence.

C’est au tour du jury Orizzonti d’annoncer ses prix :
Le court métrage d’abord : A Short Trip !
Erenik prend sa respiration et rejoint la scène à quelques pas. Il est submergé par l’émotion, la salle l’applaudit, lui l’Albanais. Pas besoin d’antisèche pour son discours, il est à sa place ! Nous sommes tellement heureux pour lui, pour nous… Il revient s’assoir avec ce Lion Noir qu’il nous tend. L’objet fait son poids, au propre comme au figuré.
Robbie Ryan est là, à côté de nous, il nous fait un signe de victoire ! On est comme des gamins…

Erenik Beqiri, prix Orizzonti en mains
Erenik Beqiri, prix Orizzonti en mains
Prix Orizzonti du Meilleur court métrage
Prix Orizzonti du Meilleur court métrage

Deux moments vont retenir l’attention de la salle :
Le prix Marcello Mastroianni pour meilleur jeune acteur pour Seydou Saar dans le film Io capitano, de Matteo Garonne, qui, lui, recevra le Lion d’argent, Prix de la mise en scène.
Un film sur le voyage périlleux de deux jeunes hommes qui quittent Dakar pour l’Europe. Le jeune homme est en pleur, il ne peut dire un seul mot. Grosse émotion.
Puis le film Zielona Granica (Green Border), de Agnieszka Holland, Prix spécial du jury. Un film sur une famille syrienne coincée dans les forêts entre la Pologne et la Biélorussie, aux portes de l’Europe… Tout cela fait écho au scénario de notre film, A Short Trip.
Venise est aussi politique, merci au comité de sélection, au jury et aux cinéastes.

Peter Sarsgaard reçoit le Prix d’interprétation masculine pour son rôle au côté de Jessica Chastain dans Memory, de Michel Franco. Quelle chance a eu Yves de filmer ces acteurs incroyables.

Et enfin : Lion d’or pour Yorgos Lanthimos avec Poor Things. Le réalisateur, son directeur de la photo Robbie Ryan et son producteur sont invités sur scène. Standing ovation...

La cérémonie s’achève, nous croisons encore une fois sur notre chemin vers le dîner de clôture Jane Campion, elle s’arrête, nous félicite.
Maintenant c’est officiel, on peut enfin le dire…