L’éditorial de février 2022
"Parler haut et fort", par Céline Bozon, coprésidente de l’AFCCe qui était très émouvant pour moi dans l’intervention d’Adèle Haenel (sur Mediapart en novembre 2019), c’était la colère sourde, le bouillonnement intérieur, la nécessité d’être mesurée pour être entendue, voir comprise mais à l’intérieur : une rage qui se lisait dans ses yeux, dans son corps, dans ses attitudes. Il y a la parole et il y a les actes. L’acte d’Adèle est d’ouvrir un champ de parole ; c’est un tsunami physique, intellectuel. Ce moment de plateau m’avait beaucoup plus émue, interpellée que tous les films de l’année. Le présent de la parole, l’intensité de l’énergie physique, de la colère ; tout au long de l’entretien, je me disais qu’elle faisait tout pour ne pas pleurer, de manière à ce que la vérité surgisse. Je sentais aussi toutes les années de silence, de questionnements et puis le travail de formulation, de hiérarchisation des idées, d’écoute intense du journaliste. Un moment chargé, tout sauf hasardeux. Un moment historique.
C’était un évènement au sens où dans ma vie, et sûrement pas que dans la mienne, il y a un avant et un après.
Une parole qui en ouvre d’autres.
Une voie(x) qui en ouvre d’autres.
Un nœud qui se dénoue.
Nous avons besoin de parler haut et fort car nous nous sommes tues trop longtemps et du coup ça braille et ça coupe des têtes (ou un autre endroit du corps masculin) ; comme pendant la révolution. On ne peut éviter la violence pour faire foncièrement bouger les choses.
J’ai vu le week-end dernier en salles en Belgique un film de Michel Franco qui s’appelle New Order, magnifiquement photographié par Yves Cape, AFC.

Synopsis : Un somptueux mariage de la classe dominante à Mexico dégénère en un soulèvement populaire inattendu cédant la place à un violent coup d’État.
Ce qui est magnétique et inébranlable dans le film, c’est la nécessité sourde de sortir d’un état de torpeur et d’humiliation pour le peuple.
Et pour la bourgeoisie de sortir de la torpeur de la domination.
Tout le monde est pris dans les filets indestructibles de leur propre prison/logique.

Personne n’a le choix, il faut que ca change, que les rapports changent, ce n’est pas possible autrement. Le mouvement est en marche, implacable, irréversible.
Et il faut l’envisager comme tel pour continuer à avancer.

Et la sensation d’un mouvement dont on ne peut sortir ou s’échapper est physique. Tous les choix de mise en scène du film vont dans ce sens Comme un moteur inébranlable. (Lire ou relire l’entretien avec Yves sur le site de l’AFC).
C’est ce que les hommes dominants ne comprennent pas, nous les femmes ne pouvons pas être mesurées, continuer comme si rien n’avait changé. Il faut des têtes qui tombent sur le chemin. Oui nous serons injustes et cruelles. Nous n’avons pas le choix.
Faut-il aimer ou haïr pour sortir d’un joug ?
La colère est un moteur très fort d’émancipation.
Parler haut et fort devient nécessaire et j’espère que l’année 2022 suivra cette belle étoile.