La Cour des comptes conseille à l’industrie du cinéma de produire moins et mieux

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°242

Le Monde, 3 avril 2014
« Cette fois-ci, on n’a pas fait l’addition… », sourit un conseiller de la Cour des comptes. Comprendre : il n’est pas question de chiffres chocs sur le coût du cinéma français dans le rapport que l’institution de la Rue Cambon a rendu public mercredi 2 avril. Son titre, aux accents modestes – « Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle. Des changements nécessaires » –, est là pour en attester.

Dans une version non achevée du rapport, dont Le Journal du dimanche avait publié des extraits, le 8 décembre 2013, la Cour des comptes avait au contraire agité la facture, et calculé que « l’effort public » en faveur du cinéma et de l’audiovisuel s’élève à « 1,6 milliard d’euros ». Trop d’argent au regard de la rentabilité des films, tel était le verdict.
Ce chiffrage, contesté par les professionnels du cinéma, avait été obtenu en additionnant des données diverses, telles que les taxes prélevées sur les diffuseurs, et affectées au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), mais aussi les aides des régions, les crédits d’impôt, etc.

Limiter l’envolée des cachets des stars
Dans le rapport définitif et édulcoré de la Cour des comptes, le ton est plus nuancé. Et le cinéma nettement plus épargné que l’audiovisuel. Il faut dire que le secteur du cinéma français n’en finit pas d’être ausculté, après les rapports de Pierre Lescure (mai 2013) et de René Bonnell (janvier 2014) sur le financement du cinéma (et de la culture) à l’ère numérique.
Pour cette raison, certaines recommandations de la Cour des comptes sont déjà dans l’air du temps, comme celle « de plafonner la prise en charge par le soutien public des rémunérations les plus élevées » afin de limiter l’envolée des cachets des stars.
En revanche, une autre proposition brise un tabou : il faut limiter la production de films. Celle-ci est en hausse quasi constante, avec 209 films d’initiative française en 2013 (comprenant une majorité de capitaux français), et 270 au total. L’année 2014 a toutefois démarré avec une baisse d’un tiers des dossiers présentés pour une demande d’agrément, en janvier et février, selon le CNC.

« Réduire le nombre de projets éligibles »
« Est-ce que l’on ne produit pas trop d’œuvres, lesquelles ensuite pâtissent d’une mauvaise exposition en salles ? », s’interrogent les magistrats de la Cour des comptes. Le remède proposé est radical : il faut, à l’avenir, évaluer « les besoins du secteur », puis établir « une trajectoire pluriannuelle des dépenses du CNC ».
Aujourd’hui, en schématisant, les différentes taxes approvisionnant le budget du CNC permettent de produire autant de films, en faisant le pari que certains d’entre eux rencontreront un succès commercial, et/ou révéleront de nouveaux talents. La Cour des comptes recommande de « réduire le nombre de projets éligibles afin d’augmenter le montant unitaire pour chacun des projets retenus ».
De même, le soutien des collectivités locales doit être revu : actuellement, l’aide d’une région à un film déclenche automatiquement le soutien du CNC. Il faut « mettre fin à cet abondement automatique », au profit d’un « conventionnement au cas par cas » des projets « les plus innovants ». Le crédit d’impôt domestique ? Il n’a pas fait ses preuves en terme de relocalisation des films, assurent les magistrats.

Besoin d’un coup de balai
Ce besoin d’un coup de balai est encore plus vif dans le secteur de l’audiovisuel. Commentaire d’un magistrat : « Vu la force de frappe financière dont bénéficie le secteur, le compte n’y est pas ! » Même si des signes de redressement sont perceptibles, avec de meilleures performances à l’export, cela ne suffit pas.
En 2012, selon la Cour des comptes, la production audiovisuelle a mobilisé près de 800 millions d’euros d’investissement des chaînes de télévision, et 332 millions d’euros d’aides publiques. Mais les leviers ont été orientés vers un soutien quantitatif à la production, davantage qu’à la création.
Pour améliorer la qualité, il faut « consacrer une part plus importante des aides sélectives du CNC à la phase d’écriture et de développement » des projets. Il faut aussi d’urgence lutter contre la fabrication de documentaires à bas coût, et resserrer les critères de définition – une réforme est en cours. Toutes ces mesures visent à préserver un modèle original, plutôt essoufflé, assure-t-on Rue Cambon. Mais il ne s’agit pas de casser la baraque en petits morceaux.

(Clarisse Fabre, Le Monde, jeudi 3 avril 2014)