Laurent Tangy, AFC, évoque le tournage de "L’Amour et les forêts", de Valérie Donzelli

Par Brigitte Barbier, pour l’AFC

Pour son sixième long métrage, la comédienne et réalisatrice Valérie Donzelli adapte le roman éponyme L’Amour et les forêts, d’Éric Reinhardt publié, en 2014. Ce thriller psychologique nous montre la mécanique de la culpabilité et de la maltraitance dans une mise en scène tenue et une direction d’acteurs impeccable. L’image qui accompagne la tension dramaturgique du film est signée par Laurent Tangy, AFC. Il revient sur ce tournage entre mer et forêt, entre argentique et numérique. L’Amour et les forêts est présenté à Cannes Première au Festival de Cannes 2023. (BB)

Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux...
Avec Virginie Effira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond.

Accompagner la dramaturgie du film 1/3 : le choix des supports

Laurent Tangy : L’histoire commence au bord de la mer, avec une image solaire et se poursuit à la montagne, dans la forêt. On passe donc d’une image très solaire à quelque chose de plus sombre. Pour appuyer ce contraste nous avons choisi de travailler en Super 16 que j’ai exposé pour une image plutôt douce puis en numérique que j’ai travaillé de manière plus contraste.

Laurent Tangy
Laurent Tangy


Le S16 avait quelque chose de presque réconfortant avec son grain et avec ses couleurs. Avec le numérique, je voulais partir vers une image un peu plus brutale, moins charnelle.

Accompagner la dramaturgie du film 2/3 : le choix des couleurs

LT : Les couleurs accompagnent le mental et les émotions des protagonistes tout au long du film. Le rouge est présent dans la rencontre, dans les scènes d’amour sur les peaux. Puis le bleu intervient pour contraster les visages, celui de Grégoire (Melvil Poupaud) pour incarner sa folie, tandis que le chaud éclaire le visage de Blanche (Virginie Efira) pour faire exister sa douceur et sa retenue.

Virginie Effira - © 2023 Rectangle Productions-France 2 Cinéma-Les Films de Françoise
Virginie Effira
© 2023 Rectangle Productions-France 2 Cinéma-Les Films de Françoise


Accompagner la dramaturgie du film 3/3 : cadre et profondeur de champ

LT : Même si ce n’est pas systématique et que c’est plutôt discret, les cadres sont plus simples et les mouvements plus doux pour la première partie. Nous avions tendance à isoler beaucoup plus les personnages dans le cadre lorsque la situation au sein du couple commence à se détériorer. Nous avons voulu isoler Blanche (Virginie Effira) de son mari en réduisant la profondeur de champ ou en utilisant des optiques à décentrement. Réduire la profondeur de champ nous a permis d’effectuer quelques bascules de point pour souligner les liens, rassurant ou toxique, entre les personnages.

Melvil Poupaud et Virginie Effira - © 2023 Rectangle Productions-France 2 Cinéma-Les Films de Françoise
Melvil Poupaud et Virginie Effira
© 2023 Rectangle Productions-France 2 Cinéma-Les Films de Françoise


Donner une unité au film, malgré tout.

LT : Nous avons choisi une transition entre les deux supports de l’ordre de la sensation, ce n’est pas spécialement visible. Pour cela, avec l’étalonneur Yov Moor, nous avons texturé l’image de l’Alexa pour la rapprocher de celle de la pellicule. Les images de flashback très furtives sont tournées en Super 8 et apportent une texture encore différente, avec un peu plus de grain.

Ce n’est pas du tout un film d’effets spéciaux.

LT : Valérie Donzelli aime qu’on fasse le plus de choses possible au tournage. Blanche (Virginie Effira) a une sœur jumelle, Rose (Virginie Effira). Nous avons eu recours aux VFX a minima, préférant les split screen pour les plans où elles sont réunies à l’image, et qui sont peu nombreux. Virginie Effira ayant un visage familier, c’était assez délicat de rendre crédible sa double présence dans le cadre.

Avoir les codes du film d’angoisse sans être une caricature de thriller.
(Etre et avoir)  

LT : Être coloré sans être glauque ni froid.
Être assez saturé en couleur.
Avoir une image brillante avec des beaux contre-jours.
Avoir une cinématographie expressive.
Avoir des cadres qui enferment ou qui libèrent.
Avoir un lien avec une scène d’un film d’Hitchcook.

Des caméras et des optiques, des projecteurs, allez moteur !

LT : Une Arri 416 et des optiques Zeiss Ultra 16. Une Alexa avec des Mamiya Medium Prime.
Pour l’une des scène au début du film, nous avons tourné des plans qui alternent entre Blanche, Rose et leur mère. Blanche annonce qu’elle va partir, quitter sa mère et sa sœur. Pour accompagner la dramaturgie de ce moment du point de vue de la mère et de Rose, nous avons fait avancer le temps pendant les plans pour passer du jour à la nuit. Pour cela, nous avons passé des gélatines devant les projecteurs qui se trouvaient à l’extérieur du décor et en même temps joué sur les lumières de jeu à l’intérieur en les allumant et les éteignant.

Un travelling circulaire et un changement radical d’exposition pendant le plan.

LT : C’est un plan au Steadicam avec une brutale fermeture de diaph pour isoler soudainement les personnages du décor et du contexte de la scène.

Pour une première collaboration avec Valérie Donzelli, c’est plutôt réussi !

LT : J’ai beaucoup aimé travailler avec Valérie. Elle est curieuse et instinctive, et elle a un grand intérêt pour l’image. On s’est très bien entendu.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC)